Allégorie de la chasteté – Hans Memling (1430-1494)
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Comment la pratique que nous avons, dans de récents articles, appelée « gentilles coucheries », nuit-elle à ses adeptes? Comment, pour reprendre une expression du poète Chaucer, se coupent-ils avec leur propre couteau? [NDT: ou se tirent-ils une balle dans le pied?]
On pourrait écrire tout un livre sur ce sujet. Objectivement, ils commettent un péché mortel. S’ils le font sciemment, ils s’écartent de l’amitié de Dieu. S’ils pratiquent la contraception, ils dissocient l’acte sexuel de la possibilité de donner la vie, séparant l’acte de sa signification biologique et théologique.
Qu’ils le fassent ou non, ils ont un comportement insouciant, irresponsable envers l’enfant qu’ils pourraient concevoir. Ils jouent au couple marié, s’adonnant en quelque sorte à une forme de mensonge. Ils permettent aux expériences hédonistes de s’enraciner dans l’acte conjugal, ce qui, après leur mariage, se perpétue dans leur comportement habituel. Le malheur pour ceux qui se disent mariés avant le mariage est qu’ils ne se sentent nullement changés après la cérémonie.
Comme ils se sont toujours justifiés en citant leur « sentiment d’engagement mutuel » plutôt qu’en le prononçant publiquement ou en recevant le sacrement, ils ne pourront guère comprendre pourquoi l’engagement devrait durer si le sentiment disparaissait. On ne peut considérer l’engagement comme une simple formalité en couchant ensemble, puis, par la suite, comme un lien solennel et éternel. Pas possible. S’il n’est qu’une simple formalité, le mariage proprement dit n’est qu’un joli conte de fées. S’il s’agit d’un lien solennel et éternel, alors, il faut se comporter en conséquence, et ne pas, avec nos corps, jouer au couple marié avant d’avoir prononcé cet engagement.
Mais j’aimerais parler d’une grande bénédiction qui échappe aux « gentils compagnons », voici une histoire :
Fiancé, mon père devait d’abord faire deux ans d’armée, puis, démobilisé, il dût attendre encore que la jeune sœur de ma mère passe son bac. Ma mère travaillait pour soutenir sa famille, et devrait naturellement quitter son emploi en se mariant. Il était très amoureux, gentil garçon calme, peu expansif et profondément croyant. Ne se sentait-il pas assez sûr de lui? Il voulait avoir la certitude d’être aimé en retour.
Il lui demanda de faire un « voyage de noces » avant le mariage. Je suis persuadé qu’en le demandant, il souhaitait presque son refus. Tous deux étaient de gentils jeunes Italiens, solides, en bonne santé. Perplexe, ma mère en parla en privé au curé de la paroisse, qui fermement et en douceur lui rappela la beauté de la chasteté et la solennité du mariage, béni de Dieu depuis toujours. Ma mère transmit le message à mon père, et ils conservèrent leur innocence jusqu’au mariage. Je suis né onze mois plus tard.
Mon père n’était pas porté sur les élans poétiques, mais il remercia ma mère encore et encore d’avoir été forte quand il était faible. Dans ma tête je les vois montant à l’autel de l’église où j’ai été baptisé, puis mon frère, puis mes sœurs, où nous avons reçu la Sainte Communion, puis la Confirmation. C’est là qu’ils se prirent l’un l’autre, comme créés par Dieu au commencement des temps. Et dans leur mariage ils donnèrent la première place à Dieu, dans le temps comme dans la dévotion.
Tout ce qui avait précédé cet instant, le premier regard, leurs rencontres se courtisant, allant danser, s’écrivant, s’effaçait presque. Ils allaient se connaître l’un l’autre comme Adam et Êve, pour la première fois. Un mariage chaste est comme une création nouvelle, comme si on recevait la vision, comme Charles Péguy l’évoque en parlant de Marie, d’être « plus jeune que le péché ». Ils étaient unis par le saint engagement, Dieu leur disant: « croissez et multipliez. »
Sortant de l’église, ils n’étaient pas des grandes personnes douées d’une pseudo-connaissance du péché, mais deux enfants, en esprit, dans leur cœur, dans leur âme, un garçon et une fille prêts à bâtir le monde. Mon père et ma mère pouvaient se dire des mots incomparablement précieux. Ce n’était pas simplement « je serai à toi seule, à toi seul » mais « j’ai conservé ma pureté sous le regard de Dieu, et maintenant, devant Dieu et devant les hommes je me donne tout à toi pour toujours.» Leur amour avait reçu la graine du sacrement. Et il a porté des fruits.
Le jour de la mort de mon père, nous étions rassemblés autour de lui. Il était assis dans son fauteuil préféré au salon. Il ne pouvait plus s’alimenter ni boire. Parfois il somnolait, mais il était presque toujours éveillé. Mes cousins étaient venus pour un dernier adieu. Le curé était passé lui donner les sacrements.
En début de soirée, sa respiration devint pesante, irrégulière. Nous l’entourions, le touchant, lui parlant. Ma mère posa sa tête contre lui. C’était la seule femme qu’il eût jamais connue, et il l’avait connue comme reçue de la main de Dieu. Maintenant il retournait à Dieu. Il murmura dans son oreille ses dernières paroles: « je t’aime.»
Anthony Esolen
Source :
http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/cutting-yourself-with-your-own-knife.html