Travail et droit naturel - France Catholique
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La justice de Dieu
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Travail et droit naturel

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Lorsque Winston Churchill fut triomphalement rappelé au pouvoir aux élections générales de 1950, il railla la suffisance du parti opposé qui s’était approprié le terme Travail : « ils ne sont pas les seuls à travailler dans ce pays. »

A l’approche de la Journée du Travail (NDT : 5 septembre 2011), il peut sembler étrange que ce jour soit devenu l’occasion de célébrer la place et la force des syndicats. Ces dernières années, les syndicats ont disparu des usines et du secteur privé ; mais soutenus par leur poids politique, ils ont tenu bon, voire grandi, au sein de la fonction publique. En 2010, le nombre de personnes syndiquées y a même dépassé celui du privé (7,6 millions contre 7,1). Mais ce qui est le plus surprenant est la façon dont les « droits des travailleurs » ont été identifiés aux droits des syndicats – et du même coup se sont détachés radicalement de la compréhension du « droit naturel » au travail.

Historiquement, cette compréhension a été mise en avant avec une force et une clarté rares par l’autorité politique, en particulier par une proclamation de Louis XVI en 1776. L’édit royal avait été préparé par Turgot, estimable ministre des Finances et défenseur de premier ordre du libéralisme en économie et en politique. L’objet de l’édit était de casser le privilège du contrôle de l’emploi qu’avaient les guildes, les compagnies commerciales et les monopoles en général, y compris ceux du gouvernement lui-même.
L’édit rejetait explicitement la prémisse faisant de l’Etat le propriétaire présumé de tout ce qui permet de gagner sa vie. Le monarque indiquait que ce système de régulation avait ses avantages pour ceux qui détenaient ces privilèges, mais que cette « illusion » de bénéfice dissimulait une « infraction au droit naturel ». Il rejetait donc l’idée que « le droit au travail soit un privilège royal que le roi puisse vendre et que ses sujets soient tenus de lui acheter ». Dieu, en donnant à l’homme des désirs et des souhaits l’obligeant à travailler pour les satisfaire, avait conféré à tous les hommes le droit de travailler, et cette propriété était le premier de leurs droits, le plus sacré et le plus imprescriptible.

Un peu plus d’un siècle plus tard, Léon XIII posa les bases morales de cette compréhension dans son encyclique « Rerum novarum » (1891). Le Saint-Père mettait en garde contre les schémas socialistes qui évacueraient la propriété, de telle façon que « les possessions individuelles dussent devenir la propriété de tous, administrée par l’Etat. » L’ouvrier lui-même, disait-il, serait parmi « les premiers à souffrir ». En effet, le rejet de la propriété privée en tant que droit supprimerait les bases sur lesquelles le travailleur s’appuie pour réclamer comme sien le fruit de son travail, à savoir « que tout homme a par nature le droit de posséder un bien propre. »

Les socialistes, pour leur part, en tentant de transférer les possessions des individus à la communauté au sens large, s’attaquaient aux intérêts de tous les salariés, puisque cela les privait de la liberté de disposer de leurs salaires et donc leur enlevait tout espoir et toute possibilité d’accroître leurs ressources et d’améliorer leurs conditions de vie.

Les syndicats, avec d’autres associations, pourraient apporter les bénéfices de la solidarité associée à l’amour et à la charité, puisque leurs membres s’entraident de multiples manières. Mais c’est autre chose quand les syndicats utilisent leur pouvoir pour empêcher les gens ordinaires d’accéder au travail légitime qu’ils souhaitent obtenir.

Ainsi, il y a quelques années, des New Yorkais entreprenants créèrent un système de taxis clandestins, qui emmenaient les gens chez eux en toute sécurité depuis les stations de métro pour environ 1 $. Ce service utile dut être arrêté parce qu’il entrait en conflit avec le pouvoir monopolistique des travailleurs du transport. Plus récemment, nous avons eu l’exemple du National Labor Relation Board (NDT : organisme indépendant en charge des élections syndicales et d’enquêter sur les pratiques illégales dans le monde du travail), très lié aux syndicats, luttant contre la liberté souveraine de Boeing de déplacer une partie des opérations en Caroline du Sud, parce que les 4000 postes créés là-bas le seraient dans un Etat du « droit au travail », c’est-à-dire un Etat sans syndicat.

Etonnamment, tout le monde semble avoir oublié le fait que la première opposition aux syndicats vint des juges qui avaient soutenu le mouvement contre l’esclavage. Le juge John Harlan, le grand dissident dans l’arrêt de la Cour Suprême « Plessy contre Ferguson » contre la ségrégation raciale, plaça la discussion sur le terrain du syndicalisme dans l’arrêt « Adair contre les Etats Unis » (1908). Le mouvement anti-esclavage confirma que l’individu était le propriétaire de son travail ; il n’était donc pas obligé de se justifier quand il choisissait de quitter un emploi.

Mais l’employeur n’était pas moins un homme que le travailleur. Si un travailleur voulait rejoindre un syndicat, ce droit lui était implicitement reconnu en tant qu’homme libre ; et de la même manière, il avait le droit de refuser de travailler dans une entreprise qui ne confierait pas le recrutement aux membres de son syndicat. Mais l’employeur avait précisément le même droit de libre association, incluant le droit de refuser une relation avec un syndicat de ce type, car cela limitait sa propre liberté d’association, incluant sa liberté d’employer les personnes qu’il choisirait lui-même parmi celles désirant travailler pour lui.

Que ces arguments semblent neufs pour tant de gens montre simplement que nos vies ont été enfermées dans un système de « droits », de franchises et de licences conférés par l’Etat. Et comme nous nous y sommes habitués, nous ne percevons plus avec la même intensité que le droit au travail trouve ses racines morales dans la loi naturelle.


Hadley Arkes est professeur de jurisprudence au Amherst College. Son livre le plus récent est intitulé « Constitutional Illusions & Anchoring Truths : The Touchstone of the Natural Law.” (Illusions innées et ancrage de la vérité : la pierre angulaire de la Loi Naturelle)

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Source

http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/work-and-natural-rights.html