LA DENT EN OR DE PAPA FREUD (*) - France Catholique
Edit Template
Marie dans le plan de Dieu
Edit Template

LA DENT EN OR DE PAPA FREUD (*)

Copier le lien
sigmund_freud_1926.jpg

Le plus grand dérèglement de l’esprit, disait Bossuet, c’est de croire que les choses sont comme on voudrait qu’elles fussent. En science, ce dérèglement-là est bien connu. C’est de lui que procède la vieille manie de courir aux explications avant d’avoir examiné les faits dans leur objective complexité. Ainsi, pendant plus de deux mille ans, les « physiciens » expliquèrent-ils la nature à l’aide des quatre « éléments » : eau, air, terre, feu. Et de beaucoup, beaucoup de mots.

Ainsi, au XVIIIe siècle, disserta-t-on à perte de vue sur le cas de ce petit Allemand qui était né avec une dent en or. On écrivit des livres sur la dent en or. Les savants se disputèrent dans les Académies sur les causes et origines possibles de la dent en or. Puis un impertinent qui n’était pas assez instruit pour suivre ces doctes disputes voulut voir de ses yeux la belle dent en or, fit le voyage d’Allemagne pour la visiter, et découvrit qu’elle n’avait jamais existé. On aurait dû commencer par là. 1

Les refoulements du chat

Quand, vers 1960, les travaux de Kleitman et Dement, puis Jouvet, eurent montré que l’on pouvait fonder une vraie science du rêve, les psychanalystes, d’abord surpris et même hostiles, se hâtèrent de dire que tout cela confirmait les théories de Freud. Le docteur Charles Fisher expliqua que si la privation de rêve est si traumatisante, cela prouve que le rêve, comme l’avait dit Freud, permet à nos conflits refoulés de se libérer symboliquement. C’est le refoulement de nos conflits intérieurs (surtout sexuels, bien entendu) qui, privé de la soupape de sûreté du rêve, rend malade celui que l’on empêche de rêver.

Quand Jouvet eut constaté que le chat privé de rêve meurt en quelques semaines (a), Fisher ne jugea pas utile de nous expliquer en quoi consistent les conflits sexuels et les refoulements de la bestiole,2 mais n’importe, nous pouvons faire confiance aux théoriciens de la psychanalyse : ils ont leur explication, et plutôt deux qu’une. Je veux dire qu’ils l’ont si on la leur demande, car depuis les débuts de la science du rêve, ils ont appris à neutraliser celle-ci, à n’en tenir aucun compte, à poursuivre imperturbablement leurs discussions sur la dent d’or de papa Freud sans jamais se préoccuper de ce que trouvent réellement les savants occupés à étudier la psychophysiologie du rêve.

Ne voulant pas transformer la France catholique en une revue onirologique, je conclurai aujourd’hui sur ce sujet en évoquant rapidement quelques expériences montrant l’absurdité des théories freudiennes sur le rêve. Comme le sujet est brûlant (la psychanalyse est devenue une espèce de religion) le lecteur voudra bien me pardonner l’excès un peu pédant de références, montrant que je ne fais que rapporter des faits contrôlables par qui s’en donne la peine.

L’électroencéphalographe (EEG) montre que tout adulte rêve presque deux heures par nuit. A partir de quel âge en est-il ainsi ? Réponse expérimentale donnée par Stern, Parmelée, Akiyama, Schultz et Wenne (b) les cycles du rêve pendant le sommeil existent à huit mois, à trois mois, à un mois, à la naisssance et chez les prématurés. Même résultat obtenu en France par des méthodes un peu différentes par N. Monod et N. Pajot (c). Ces cycles n’ont chez l’enfant ni la même durée ni la même périodicité, mais le nouveau-né rêve plus que l’adulte (d).

Si le prématuré rêve, ne pourrait-on savoir si le fœtus lui-même ne rêve pas ? Si. Et il rêve. Roffwarg, Muzio et Dement montrent d’abord dès 1966 que le pourcentage de sommeil avec rêve est d’autant plus élevé que le nouveau-né est plus prématuré (e). En 1967, Dreyfus-Brisac montre que les mouvements du nouveau-né coïncident avec les périodes de rêve (f), ce qui conduit à l’extraordinaire découverte que les mouvements du bébé dans le sein de sa mère indiquent qu’il est lui aussi en train de rêver (g) ! Mêmes résultats obtenus à Lyon dans le laboratoire de Jouvet. 3

Les obsessions du bébé

Enfin, en 1971, M.-B. Sterman et Toke Hoppenbrouwers travaillant au Veterans Administration Hospital de Sepulveda, en Californie montrent une étroite corrélation entre les rêves du fœtus et ceux de la mère (d, 2e référence).

Conclusion (que j’emprunte à Sterman et Hoppenbrouwers) : « Le cycle fondamental repos-activité (h) est présent dans le fœtus. Les facteurs physiologiques responsables de ce cycle fondamental restent un mystère. Cependant, ses manifestations dans le fœtus, organisme absolument libre de tout besoin physiologique comme de toute influence environnementale et sociale, suggèrent que son déclencheur (pacemaker, mot que les physiologistes français traduisent par… pacemaker) se situe à un niveau très fondamental, impliquant peut être une régulation métabolique. La signification fonctionnelle du cycle est inconnue pour l’instant (…). Il est possible… que ce cycle fournisse une base significative à l’organisation (ultérieure) des fonctions cognitives à la fois pendant la veille et le sommeil. »

Quand ils ne savent pas, les savants le disent. On ne sait pas à quoi correspond, à quoi sert ni ce qu’est le cycle dont nos rêves nocturnes sont la manifestation subjective. Mais on en sait assez pour comprendre que nous touchons là aux mécanismes les plus secrets, les plus profonds de l’homme, que leur fantastique complication ne commence qu’à peine de se laisser entrevoir.

Personne donc ne sait de quoi il s’agit, sauf bien entendu les fidèles de Freud et de Jung, qui ne manqueront pas, eux, de démontrer que papa l’avait dit, et que si le bébé gigote dans le sein de sa mère c’est qu’il est en proie, le malheureux, à de bien compréhensibles obsessions sexuelles ou bien au conflit d’animus et d’anima. Quand on a le maxillaire adorné d’une belle dent en or, on ne va pas se la laisser bêtement extraire par de vulgaires faiseurs d’expériences. On meurt avec, en dépit des fâcheux de laboratoire (i). 4

(a) Voir mes chroniques dans les numéros précédents.

(a) Pediatrics, 1969, 43, p. 65.

(c) Biol. neonatorum, 8, 281.

(d) Sterman : Maturation and Developmental implications of Sleep (sous presse) ; Development of Sleep-waking and Rest activity patterns, dans Brain development and Behaviour (Academic Press, Londres 1971).

(e) Science, 1966, vol. 152, p. 604.

(f) Regional development of the brain in early life, p. 437-457 (Davis edit., Philadelphie, 1967).

(g) Precht, Weinmann et Akiyama : Neuropaediatrie, 1969, vol. 1, p. 101.

(h) Il s’agit de l’« activité » pendant le sommeil, que nous identifions subjectivement avec le rêve, et qui se manifeste objectivement par le mouvement des yeux et des membres.

(i) De nombreux lecteurs nous écriront sans doute pour savoir où l’on peut se documenter sur la science du sommeil et des rêves. Il n’y a, hélas, rien en français, à part les publications techniques, et bien que les savants français soient au tout premier plan dans ce domaine 5. Les médecins peuvent demander conseil au professeur Michel Jouvet, Laboratoire de pathologie générale, Faculté de médecine, avenue Rockefeller, 69-Lyon.

Aimé MICHEL

Les notes de (1) à (5) sont de Jean-Pierre Rospars

(*) Chronique n° 76 parue initialement dans France Catholique – N° 1313 – 11 février 1972.

  1. Le ton est donné. Cette dernière chronique de la série consacrée à la science des rêves revient à son point de départ et s’achève là où elle avait commencée par une critique du freudisme (voir la chronique n° 70, Psychanalyse et expérience, parue ici le 21 février dernier). Pour une discussion de la série voir la chronique n° 78, L’ascèse au laboratoire (De l’expérience scientifique à l’expérience intérieure, 2 mai 2011) où Aimé Michel répond au courrier reçu de ses lecteurs.
  2. On a vu précédemment qu’Aimé Michel s’était trompé sur ce point : le chat ne meurt pas de l’absence de rêve et l’homme non plus (voir la note 6 de la chronique n° 74, La mort et le rêve, 13 avril 2011). Quant à Charles Fisher, il n’est pas certain qu’il soit resté insensible aux expériences sur le rêve. Selon Jouvet, ce « grand physiologiste, devenu psychanalyste, fut le pionnier de l’étude de l’érection au cours des rêves » et « l’un des pères fondateurs de la neurobiologie moderne du rêve. » Il le range au nombre des « désenchantés du modèle freudien » et cite à l’appui un article de synthèse paru en 1978, où Fisher écrit : « Nous devons cependant admettre que, bien que tout cela [la théorie de Freud] nous semble très important lorsque nous sommes assis dans un fauteuil derrière le divan [de l’analysé], les expériences récentes nous prouvent que des sujets humains peuvent rester longtemps en excellente condition malgré l’absence de rêve. Peut-être, comme quelqu’un l’a écrit (Dement, 1972) “la fonction du sommeil est de nous empêcher de nous promener dans l’obscurité et de nous heurter contre quelques obstacles”. » (p. 158).

    Le psychanalyste André Lussier, du Département de psychologie de l’Université de Montréal, conteste fermement cette déception : « J’ai connu le Dr Fisher, écrit-il, j’ai suivi sa carrière de neurologue et de psychanalyste ; j’ai assisté à ses conférences. Sans jamais se démentir, il disait qu’il menait agréablement une vie à deux volets : dans son laboratoire, une partie de la journée, pour ses recherches neurologiques sur le rêve et le sommeil paradoxal ; dans l’autre partie de la journée, heureux de se retrouver dans son cabinet de consultation, et interprétant les rêves sous l’inspiration de L’interprétation des rêves de Freud (…). Il a toujours affirmé – ce que cache Jouvet – que les découvertes sur le sommeil paradoxal n’infirmaient en rien l’essentiel des principes fondamentaux décrits dans L’interprétation des rêves. Il n’a jamais joint les rangs des désenchantés. Il n’a jamais apostasié. » (Le rêve : entre Michel Jouvet et Freud, nouvelle chasse aux sorcières, Revue québécoise de psychologie, 25 : 107-120, 2004) (L’emploi du terme « apostasié » n’est pas innocent dans ce contexte).

  3. Le nouveau-né humain dort en moyenne de 16 à 18 heurs par jour dont la moitié au moins est constituée de sommeil paradoxal ; « Chez les enfants prématurés nés après trente-deux ou trente-six semaines de gestation, la part du sommeil paradoxal est encore plus grande : les trois quarts environ de la durée du sommeil. Cette découverte suggère qu’il existe durant la vie intra-utérine de l’enfant un stade où le sommeil paradoxal constitue à lui seul son mode d’existence. Après la naissance, la quantité de sommeil paradoxal diminue graduellement jusqu’à ne plus représenter vers les 5 ans que le quart environ de la durée totale du sommeil. » (Dement, op. cit., pp. 54-55). Chez les chatons, les chiots, les ratons et les hamsters nouveau-nés, immatures à la naissance, la prédominance du sommeil paradoxal est encore plus grande, tandis que chez les cobayes nouveau-nés, dont la maturation du cerveau est achevée à la naissance, la part du SP est infime. Ces faits suggèrent que le SP serait nécessaire à la maturation normale pré- et post-natale du cerveau.
  4. La plupart des neurobiologistes du rêve se sont montré très critiques à l’égard de la théorie de Freud. Donnons la parole à quelques-uns d’entre eux avant d’entendre la réponse d’un psychanalyste :

    Commençons par William Dement qui se réfère à Freud à propos du rôle des stimuli externes dans le contenu des rêves. « Il existe beaucoup de récits d’explorateurs qui, perdus et mourant de faim, rêvèrent de somptueux repas. Mais Ansel Keys, dans son étude détaillée sur les effets du manque prolongé de nourriture pendant la Seconde Guerre mondiale, suivit les rêves de ses volontaires affamés sans y trouver aucune augmentation particulière du nombre de rêves portant sur la nourriture ou le repas. » Il rapporte l’expérience qu’il fit avec des sujets assoiffés durant 24 heures. « Nous avons obtenu quinze récits de rêves dans ces conditions dont aucun ne révéla ni une prise de conscience de la soif, ni des descriptions de boissons. (…) Ces études sur la soif et la faim semblent répondre, tout au moins comme une première approximation, à la question soulevée par l’hypothèse de Freud selon laquelle une des fonctions du rêve est la satisfaction d’un désir. Selon Freud, le désir n’apparaît pas avec évidence dans le contenu manifeste du rêve, tout en y étant sous-jacent. Or je ne vois pas pourquoi on déguiserait son envie de boire. Un psychanalyste postulerait qu’un souhait est satisfait quand un élément du rêve, apparemment sans rapport avec ce désir, constitue en fait, quoique d’une manière voilé, une représentation symbolique de l’acte de boire. Mais ceci est aussi difficile à prouver qu’à réfuter, car même l’analyse du rêve par la méthode des associations libres ne pourrait fournir une preuve décisive. (…) Le fait que les rêves puissent être interprétés ou compris en termes de satisfaction des désirs ne constitue absolument pas une preuve directe de ce que le contenu des rêves réponde au but même d’assouvir ces désirs. » (p. 105-107).

    Selon R.W. McCarley et J.A. Hobson, repris par Jouvet, Freud élabora une théorie dynamique du fonctionnement psychique sur la base d’une théorie erronée du fonctionnement du neurone et du système nerveux (et pour cause : les découvertes correspondantes ont été faites au cours du vingtième siècle !). Le système psychique de L’interprétation des rêves est fondé sur trois systèmes : la mémoire, l’inconscient (en relation avec les instincts) et le préconscient (en relation avec la conscience). La censure psychique, qui bloque les désirs inacceptables à la conscience, agit entre l’inconscient et le préconscient. Quand le Moi (ego) désire dormir, il retire son investissement du système moteur, provoquant ainsi la paralysie musculaire. Le rêve commence quand un souvenir du jour excite un désir réprimé dans l’inconscient. Les forces en jeu ne pouvant s’écouler vers la conscience reflue vers la mémoire. Alors a lieu le « travail du rêve » (condensation, déplacement et formation de symboles) qui déguise les désirs par la mise en image des éléments mnésiques dont les liens associatifs à ces désirs sont forts. Le désir déguisé devient ainsi acceptable à la censure et est passée de cette façon dans la conscience. Ainsi « Freud croyait que le rêve fonctionnait comme un gardien du sommeil en empêchant l’intrusion de désirs non déguisés et inacceptables dans le système conscient, avec l’éveil consécutif ». Si nous oublions nos rêves c’est à cause de cette censure psychique.

    McCarley et Hobson sont catégoriques : « On peut maintenant établir de façon certaine qu’il n’y a aucun support expérimental, quel qu’il soit, en faveur de la théorie de Freud de la genèse du sommeil paradoxal. Les investigations modernes soulignent au contraire l’existence d’une activation autonome, périodique, des neurones du “pacemaker” pontique responsable du sommeil paradoxal. (…) Cela ne signifie pas que le matériel du résidu diurne [les souvenirs du jour] ou des thèmes importants n’entrent pas dans le contenu du rêve ; ils le font, mais aucun d’entre eux n’est un facteur causal dans le processus onirique. (…) Il y a aussi de sérieuses difficultés à considérer dans la théorie de Freud que la force agissante primaire et “le complot du rêve” sont le déguisement d’un désir réprimé. La force agissante au cours du sommeil paradoxal est une activation biologique des cellules du pont et non pas un désir réprimé. Il n’y a aucune preuve, quelle qu’elle soit, que ces mécanismes cellulaires soient provoqués par la faim, le sexe ou un autre instinct, ou par des désirs réprimés pour la réalisation de conduites instinctives. » (p. 156)

    Jouvet souscrit totalement à cette critique : « Je n’aurais pas à ajouter cette critique, précise-t-il, s’il n’apparaissait encore, ici ou là, sous la plume de certains psychanalystes, une défense de la théorie freudienne du mécanisme des rêves qui serait “confirmée par la neurophysiologie moderne”. » (p. 155). « Freud fait du rêve l’expression d’un désir et le gardien du sommeil. Il construit un véritable appareil psychique en dehors du cerveau. Cette topique permet de considérer les espaces correspondants au Ça, Moi et Surmoi. Concepts qui firent fortune et qui attendent toujours une impossible réfutation expérimentale. » (p. 40).

    André Lussier s’insurge contre ces propos de Jouvet dans son article cité plus haut de la Revue québécoise de psychologie. Il lui reproche de croire que tout est dans le neurone et que « celui-ci détient toutes les réponses sur la nature du rêve », en un mot d’être un réductionniste étroit. Commentant la citation ci-dessus il écrit : « C’est là, peut-être à son insu, la première remarque intelligente de Jouvet sur la psychanalyse ! Tout psychanalyste sait qu’il ne pourra jamais y avoir de confirmation ou de contestation expérimentale des productions oniriques spécifiquement psychiques. Jouvet a bien écrit : “… appareil psychique en dehors du cerveau”. Tout est là. Crime de lèse-majesté. En dehors du cerveau neuronal, point de salut : il n’y a de causalité que physique. (…) Avec Jouvet et ceux qui le suivent, je retrouve l’esprit des croisades qui présidait à l’historique serment d’allégeance à l’endroit des forces physico-chimiques de l’organisme humain, imposé par Brücke et Hemholtz, serment qui va hanter Freud tout au long de sa vie. » Lussier indique en note que « pour faire partie du club sélect des savants, fondé par Helmholtz, père de la psychologie expérimentale, il fallait prêter serment en s’engageant à démonter qu’il n’y avait pas d’autres facteurs à l’œuvre dans l’organisme humain que les forces physico-chimiques. » (p. 110). « Pour être admise au cénacle, la psychologie, comme la psychiatrie en bonne partie, s’est pliée à une méthode extrinsèque à elle-même plutôt que reliée à son propre objet d’étude. Elle s’est faite exacte, concrète, ouverte à la mensuration, ce qui nous a donné, pour longtemps, plusieurs branches isolées : psychologie de la perception, psychologie des sensations, psychologie neurologique, etc. L’homme fut oublié. (…) Pourquoi encore une fois s’arrêter là-dessus ? Pour la triste raison que depuis déjà un certain temps, la psychanalyse traverse une pénible phase qui rappelle les origines de la psychologie et de la psychiatrie. Beaucoup de psychanalystes flirtent aujourd’hui avec le prestige des disciplines expérimentales, les sciences dures et pures, perdant foi en la méthode clinique de Freud. Ils sont prêts à rendre le sujet humain accessible à la mensuration, en dénaturant et en déshumanisant l’objet propre de la psychanalyse. Réductionnisme qui tend à faire rendre l’âme à la psychanalyse. La grande faute de tant de psychanalystes est d’être des hommes et des femmes de peu de foi. La méthode qui leur est propre les rend craintifs et envieux face à la soi-disant rigueur du voisin. » (pp. 116-117).

    Que conclure de cet échange sans aménité ? Peut-on éviter les propos excessifs et les amalgames et proposer une synthèse de ces vues contradictoires ? Le fond de la querelle est méthodologique. D’un côté la méthode scientifique expérimentale prônée par les neurobiologistes, aux résultats souvent limités et toujours perfectibles, parvient néanmoins à emporter la conviction et à faire l’unanimité, mais n’évite pas toujours les pièges du réductionnisme et laisse entier le mystère de l’esprit. De l’autre la méthode clinique prônée par les psychanalystes, se veut englobante et profonde mais échappe à toute vérification expérimentale précise et laisse la part belle aux interprétations personnelles et aux divergences de vue. Laissons le mot de la fin à Aimé Michel qui, lorsqu’il n’est pas soulevé d’indignation par les prétentions de la psychanalyse à être une science, résume fort bien la situation : « Les réticences exprimées au cours de ce livre à l’égard de la psychanalyse freudienne nous semblent justifiées par l’effet assoupissant que cette discipline a eu sur l’étude du rêve : pendant un demi-siècle, on a pu croire, grâce à Freud, que le dernier mot était dit sur les méthodes de cette étude, et toute recherche dans une voie nouvelle et objective en fut bloquée. Mais le génie de Freud n’est pas contestable. (…) Son tort fut de donner à ses idées une forme littéraire tellement convaincante que la psychanalyse, au début méthode d’investigation et de thérapeutique, ne tarda pas à devenir un thème littéraire et une métaphysique. Des esprits qui en d’autres temps eussent écrit des romans ou de la philosophie se mirent à “faire de la psychanalyse” avec l’illusion de pratiquer une science. Les théories de Freud se transformèrent en dogmatique et en système d’explication ou d’analyse universel (…) » (Le mystère des rêves, op. cit., p. 248).

  5. Ce manque d’ouvrages accessibles a été comblé depuis. Outre les ouvrages déjà cités de Dement et LaBerge (les plus faciles à lire), Jouvet et Debru (plus techniques), on peut signaler Le cerveau rêvant de J. Allan Hobson (Gallimard, Paris, 1988), Le sommeil, ses mécanismes et ses troubles de Jean-Michel Gaillard (Doin, Paris, 1990) et Pourquoi rêvons-nous ? Pourquoi dormons-nous ? de Michel Jouvet (Odile Jacob, Paris, 2000).