Dostoïevski: les mauvaises idées sont plus destructrices que les mauvaises passions.
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Un petit livre intitulé « Comment les Irlandais sauvèrent la civilisation », paru voici quelques années, fit sensation. Il relate l’histoire méconnue d’un groupe de moines et de lettrés, attelés à une tâche obscure, qui s’attachèrent à sauver les grandes œuvres de la civilisation occidentale après la chute de Rome. Ils participèrent ainsi à la formation de l’âme médiévale; la suite des événements n’aurait certes pas été aussi heureuse si les trésors judéo-chrétiens et gréco-romains avaient été perdus. La descendance des documents fondateurs de l’Occident n’est cependant pas assurée en nos temps présents. Ainsi qu’en toutes périodes les cœurs et idées des hommes basculent aisément.
En fait, l’historien britannique Christopher Dawson trouvait que l’Occident subit une espèce de crise sans précédent historique parce que les bases sociales de sa substance — morale sexuelle traditionnelle, reconnaissance de notre nature humaine commune, respect pour l’institution du mariage — sont bouleversées comme jamais auparavant. Cette remarque date de 1932 !
De nos jours des chercheurs émules de ces moines irlandais se consacrent à de nombreux sujets importants en vue de préserver le bon, le vrai, le beau. Un tel groupe de savants et religieux éminents s’est réuni l’an dernier — en Irlande — pour un échange de connaissances durement acquises dans les domaines de l’éthique de la reproduction et du comportement sexuel; les travaux viennent d’être publiés par le Centre Anscombe de bioéthique (Oxford) en un volume conséquent intitulé « Fertilité et gender » (Fertility & Gender.). Cette collection de communications examine plusieurs questions sujettes à polémique, telles que : « signification du mariage », « gender et identité », « contraception », « traitements contre la stérilité » (Fécondation in vitro), et « niveaux endémiques des maladies sexuellement transmissibles ».
Bien que ces sujets traitent de passions humaines (la sexualité), ce document est inestimable en raison de ses tentatives raisonnées et mesurées pour percer et expliquer la mise en œuvre de principes irréductibles — les idées les plus nobles de l’homme, les seules pouvant être la base d’une grande civilisation humaniste. En dépit des récentes leçons de l’histoire, le truisme exprimé par un critique des « Frères Karamazov » demeure gravement sous-estimé : « Dostoïevski voulait essentiellement démontrer que les mauvaises idées sont largement plus destructrices que les mauvaises passions, non seulement pour les individus, mais plus généralement pour la société, et, en vérité, pour la civilisation.»
Les crises actuelles de la fertilité, de la famille, du « gender », sont essentiellement le sous-produit de mauvaises idées — de fausses idées. L’archevêque australien Monseigneur Anthony Fisher, O.P., spécialiste de la bioéthique, relève: « Ayant déconnecté depuis des décennies nos conceptions de la personne humaine, de la sexualité, du mariage et de la famille, de la nature humaine, du bon sens et de la foi religieuse, nous ne sommes plus guère en mesure de résister à rien, quelle qu’en soit la perversité.»
Il ne faut pas traiter à la légère les combats contre la souffrance — due à la stérilité, ou aux crises d’identité de « gender », par exemple. La grande sainte Thérèse de Lisieux demandait à ses sœurs carmélites d’éloigner d’elle les médicaments toxiques, elle souffrait trop avant de mourir de tuberculose à vingt-quatre ans. « Sans la foi — disait-elle — je me serais suicidée sans aucune hésitation.» Pour ceux d’entre nous dont la foi ne se compare pas à celle de sainte Thérèse, une certaine dose, héritée ou instinctive, d’hésitation à accomplir ce qu’on aurait envie d’essayer (par exemple la fécondation in vitro), même si on ne saurait vraiment expliquer le « pourquoi pas », atténue la déshumanisation de la « culture du tout technique ». (Miller High Life insiste lourdement à propos « d’un affreux Jojo rodant alentour, son nom est : « Technique ».»)
Les sujets traités en profondeur dans cet ouvrage, malgré leur complexité, posent les questions fondamentales de « signification », auxquelles science ou technique seules ne peuvent répondre. Le Frère John Berry, dans son article sur le contraception, nous rappelle la nécessité fondamentale de distinguer vertu et technique. De nos jours les moyens d’interpréter les avancées de plus en plus pointues des techniques en biologie ne servent pas à les « interpréter » mais tout simplement à affirmer notre propre pouvoir — nos propres désirs. Le Docteur-écrivain britannique Theodore Dalrymple décrit avec un flair particulier cette croyance qui guide bien des prises de décision: « Ce que je fais est bien puisque c’est moi qui le fais; le client a toujours raison, et la vie est pour moi un supermarché.»
Mais les réalités ne prennent pas de congés, et ne se plient pas à nos caprices ou à nos agendas. La fertilité et le « gender » n’ont rien à voir avec un supermarché ouvert 24 heures tous les jours de la semaine, bien que ce soit l’idée sous-jacente de toutes cette publicité autour de la fécondation in vitro. D’attristants témoignages personnels devraient nous faire réfléchir à cette question: les procédures techniques les plus élaborées pourront-elles jamais remplacer l’union intime des corps humains, que notre culture dénaturée ne soutient plus, et que la technique, en définitive, brise.
En réalité, comme l’écrit Helen Watt, la conception sans relation sexuelle non seulement manque à l’union des époux, mais fait de l’enfant un produit et non un don, ce qui, inéluctablement implique une domination totale sur lui.
Cet ouvrage sera d’un grand intérêt pour les spécialistes, mais pourrait être fort instructif pour les journalistes couvrant ces sujets, et pour des étudiants dans un grand éventail de disciplines — en particulier dans les Universités catholiques. Son niveau d’érudition serait un défi pour les lycéens, sans oublier que certains détails ne seraient pas conseillés dans leur tranche d’âge.
Et pourtant tout lycéen d’un établissement privé catholique en Californie (certains facturent plus de 20.000 dollars [14.000 €] de scolarité par an) devrait savoir que « l’identité sexuelle est ontologique (innée, profondément enracinée, permanente, et non pas choisie, socialement inventée ou médicalement fabriquée) » — l’État de Californie vient de passer une loi contraignant les établissements scolaires publics à enseigner « l’historique du monde gay ». Le mot « Ontologique » pourrait faire un bon sujet de test en scholastique. Je soupçonne que pour la plupart les enfants savent déjà tout ça, même s’il y a un petit écho sentimental à la notion pseudo-scientifique de neutralité du « gender ». Mais, pour conclure, voici la tâche qui nous attend : remettre au goût du jour les réalités de base qui jadis semblaient évidentes.
NDT: le mot « gender », fort répandu de nos jours, a-t-il une traduction en français (pas en franglais)? Je ne l’ai pas trouvée, me contentant de mettre le mot entre guillemets. Le mot « genre » suffirait-il?
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/fertility-a-gender-an-in-depth-survey.html