La « Legge 40 » sur l’assistance médicale à la procréation soumise à la Cour de Strasbourg. - France Catholique
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La « Legge 40 » sur l’assistance médicale à la procréation soumise à la Cour de Strasbourg.

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Strasbourg, le 4 Août 2011 – Le 7 juin 2011, la deuxième section de la Cour européenne des droits d’homme (CEDH) a communiqué au gouvernement italien, sous l’angle du droit au respect de la vie privée et familiale et de l’interdiction de la discrimination (articles 8 et 14 de la Convention), l’affaire Rosetta Costa et Walter Pavan contre Italie (n° 54270/10). Cette affaire, introduite le 20 septembre 2010 concerne un couple italien, porteurs sain de la mucoviscidose, et qui voudrait avoir recours au diagnostic préimplantatoire (DPI), afin de concevoir in vitro puis de sélectionner artificiellement un embryon non porteur de la mucoviscidose. Ils allèguent une atteinte au droit au respect de leur vie privée et familiale, car la loi n° 40/2004 ne leur permet pas d’avoir recours à la technique du DPI. En outre, ils se considèrent victimes d’une discrimination par rapport aux couples stériles ou infertiles et par rapport aux couples dont l’homme est affecté par des maladies virales transmissibles sexuellement (telle que le virus de l’HIV et l’hépatite B et C), car la loi 40 autoriserait ces couples à avoir recours à la procréation médicalement assistée.

La loi n° 40/2004, qui organise le régime de la procréation assistée (PMA), a été approuvée en Italie à la suite d’un long débat national. Elle interdit, en principe, le diagnostic préimplantatoire. Ses opposants, issus surtout des mouvements radicaux et qui accusent cette loi d’être d’inspiration chrétienne, ont essayé à plusieurs reprises de l’abroger par référendum. Ces tentatives ayant toutes échouées, la présente affaire Costa et Pavan est une nouvelle tentative pour faire renverser cette loi, non plus par le législateur et le peuple italien, mais par une juridiction internationale. Il est significatif que les avocats des requérants dans cette affaire sont les mêmes que ceux ayant représenté Soile Lautsi dans l’affaire du crucifix italien.

L’ECLJ avec le « Movimento per la vita italiana » et cinquante-deux députés italiens, dont Messieurs Rocco Buttiglione, Carlo Casini et Luca Volontè ont demandé à la Cour l’autorisation d’intervenir dans la procédure et de soumettre des observations écrites.

Il est à noter qu’une affaire très similaire –l’affaire S.H. et autres c. Autriche- a été récemment renvoyée en « appel » devant la Grande Chambre de la Cour européenne, après que la première Section de la Cour ait conclu que l’interdiction par l’Autriche de la fécondation in vitro hétérologue, (c’est-à-dire avec don de sperme ou d’ovule par des tiers donneurs), constitue une violation du droit au respect de la vie privée et familiale et une discrimination injustifiée. Les Gouvernements italien et allemand sont intervenus dans cette affaire en soumettant à la Grande Chambre de très bonnes observations écrites. L’ECLJ est aussi intervenu.

L’affaire Costa et Pavan c. Italie soulève des questions de recevabilité et de fond.

– Concernant la recevabilité, il est à noter que, comme le montre l’exposé des faits de l’affaire, les requérants « souhaiteraient » effectuer un DPI ; mais aucun élément n’indiquent qu’ils ont saisi les autorités internes d’une telle demande ou qu’ils se sont heurté à un refus de leur part. Par suite, ils ne peuvent ni se prétendre « victime » d’une violation de la Convention, ni prétendre avoir épuisé les voies de recours internes.

En fait, cette requête est une actio popularis, c’est-à-dire une tentative de remise en cause directe et abstraite de la loi elle-même. La Cour est claire sur ce point : « la Convention n’envisage pas la possibilité d’engager une actio popularis aux fins de l’interprétation des droits reconnus dans la Convention ; elle n’autorise pas non plus les particuliers à se plaindre d’une disposition de droit interne simplement parce qu’il leur semble, sans qu’ils en aient directement subi les effets, qu’elle enfreint la Convention. »[1] Pour pouvoir se prétendre victime d’une violation, un individu doit avoir subi directement les effets de la mesure litigieuse ; il faut en outre, pour pouvoir saisir la Cour européenne avoir saisi et épuisé les voies de recours nationales.

Ainsi, l’affaire devrait s’arrêter à ce stade, par un constat d’irrecevabilité pour absence de qualité de victime et inépuisement des voies de recours. Il est en soi déjà étonnant que la Cour ait décidé de communiquer la requête au Gouvernement pour observations, qui plus est rapidement après son introduction, le 20 septembre 2010. Il est probable qu’il en aurait été différemment si cette affaire n’était pas tant sensible politiquement.

– Sur le fond, l’affaire revient sur la question du « droit à l’enfant », mais sous l’angle eugénique du « droit à l’enfant génétiquement sélectionné ».
Sur ce point, la Grande Chambre de la Cour a établi dans l’affaire Evans c. R-U[2] que le droit à la vie privée (art. 8) recouvre également « le droit au respect des décisions de devenir ou ne pas devenir parent ». Cependant, il est bien établi que ni la protection de la vie privée, ni celle du droit de se marier et de fonder une famille (art. 12), ne recouvrent un « droit à l’enfant », qu’il soit conçu naturellement, artificiellement ou adopté. La Cour l’a rappelé a plusieurs reprises : « le droit de procréer n’est pas couvert par l’article 12 ni par aucun autre article de la Convention »[3]. Il n’y a pas ainsi de droit subjectif à procréer, mais seulement une protection du droit du couple de ne pas être empêché de fonder une famille.[4]

Le droit à la vie privée et celui de fonder une famille ne confèrent pas ainsi de droit à recourir aux diverses techniques de procréation médicalement assistée (PMA). En fait, la PMA excède le champ de la vie privée. L’Etat doit respecter le désir des couples de devenir parents, mais il ne peut rester indifférent aux modalités de mise en œuvre de ce désir dès lors qu’elles exigent l’investissent matériel et moral de la société. Les enjeux publics liés à la PMA et plus encore au DPI sont tels que l’usage de cette technique ne peut se prévaloir de la protection de la vie privée. Il en est de même par exemple de la procédure d’adoption qui excède le champ de la vie privée car engage aussi la société. Comme la Cour l’a affirmé dans l’affaire S H c Autriche, « il y a lieu de souligner que les Etats ne sont nullement tenus de légiférer en matière de procréation artificielle ni de consentir à son utilisation. » (§ 74) Admettre un droit des couples à procréer par PMA serait contraire à la jurisprudence de la Cour et constitue une extension inconsidérée de la portée de l’article 8. Cela équivaudrait à reconnaître un droit à l’enfant et obligerait les Etats européens à autoriser à terme l’AMP pour les couples de même sexe et les mères porteuses. Comme l’indique le Professeur Françoise Dekeuwer-Défossez, il ne peut pas exister de droit à l’enfant, parce qu’on ne peut pas avoir de droit à une personne et qu’un droit à l’enfant constituerait la réification d’un être humain ».[5]
En outre, dans la mesure le DPI suppose non seulement la sélection eugénique, mais aussi la destruction systématique et volontaire d’embryons, cette technique ne peut faire l’objet d’un « droit » au sens de la Convention ; la Grande Chambre de la Cour l’a indiqué explicitement dans le contexte de l’avortement dans l’affaire A. B. et C. contre Irlande.[6]

Par ailleurs, la requête Costa et Pavan contre Italie vise à remettre en cause le choix du peuple Italien quant à la régulation de la PMA. La loi n° 40/2004 exprime en effet un choix réalisé au terme d’un long processus démocratique et duquel se dégage un arbitrage et un équilibre éthique.
Selon la jurisprudence de la Cour, un tel choix relève largement de la marge d’appréciation nationale, car il s’agit de questions morales et éthiques qui, de surplus, ne font pas l’objet d’un consensus entre les Etats membre. Le peuple italien a cherché à ménager dans sa législation un juste équilibre entre les divers intérêts entre en jeu, dans le respect des droits garantis notamment par la Convention. Ainsi, en régulant le diagnostic préimplantatoire (DPI), l’Etat a tenu compte notamment de l’interdiction de l’eugénisme, de la protection de l’intérêt et de la santé de l’enfant et de la femme,[7] de la dignité des professions médicales ou encore, entre autres, de la protection de l’éthique et de « la morale, dont la défense du droit à la vie de l’enfant à naître constitue un aspect ».[8]

Quant à la discrimination dont le couple Costa et Pavan prétend être victime, la Cour a établi que seul est susceptible de constituer une discrimination une différence de traitement dénuée de justification raisonnable et objective entre personnes placées dans des situations similaires ou comparables.[9] L’interdiction des discriminations ne porte que sur les droits garantis par la Convention ; en d’autres termes, ce n’est pas un droit autonome. Ainsi, dans la mesure où le recours à la PMA n’entre pas dans le champ du droit au respect de la vie privée, la Cour devrait décider qu’il n’y a pas lieu d’examiner davantage ce grief.

Si elle décidait à l’inverse de l’examiner, il conviendrait de garder à l’esprit que la législation italienne a posé le principe de l’interdiction du DPI.
La loi 40 permet aux couples stériles ou infertiles d’avoir recours à la procréation médicalement assistée pour procréer. Cette disposition a été étendue aux couples dont l’homme est affecté par une maladie sexuellement transmissible, car ce caractère sexuellement transmissible provoque de fait une forme de stérilité ; mais la loi 40 ne leur permet pas d’avoir recours en plus au diagnostic préimplantatoire, contrairement à ce qu’affirment les requérants.

Le choix d’autoriser la PMA mais d’interdire le DPI correspond à la distinction entre finalités thérapeutique et eugénique. C’est dans la distinction entre finalités eugénique et thérapeutique que réside l’équilibre de la loi italienne en la matière. Cette distinction est parfaitement raisonnable et objective, plus encore, elle poursuit le but estimable de préserver la dignité et le droit à la vie de l’embryon. Il n’y a donc pas de différence de traitement injustifiée, et donc, pas de discrimination.

Ainsi, en conclusion, à la lumière de ces constatations, il convient de conclure que cette requête devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes et /ou du défaut de qualité de victime au sens de la Convention. Et même à supposer que les requérant aient rempli ces critères de recevabilité, la requête devrait être rejetée comme manifestement mal fondée, en raison du juste équilibre ménagé par l’Etat entre les différents intérêts en jeu.

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[1] CEDH, GC, 27 avril 2010, Tanase c. Moldova (no 7/08), § 104.

[2] CEDH, Evans c. Royaume-Uni [GC], no 6339/05, § 71-72, CEDH 2007 IV

[3] CEDH, Margarita Šijakova and Others v. “the former Yugoslav Republic of Macedonia” (Dec), no. 67914/01, 6 March.2003 « the right to procreation is not covered by Article 12 or any other Article of the Convention ».

[4] Com. EDH X et Y c. Royaume-Uni, req. n° 7229/75, 15 décembre 1977, 12 DR 32 : « l’article 12 garantit implicitement le droit d’engendrer des enfants ».

[5] Françoise Dekeuwer-Défossez, « Réflexions à verser au dossier « droit à l’enfant » », Revue Lamy Droit Civil 2010, n° 76 ; voir aussi M. Pichard, Le droit à : étude de la législation française, LGDJ 2006 et H. Fulchiron, Du couple homosexuel à la famille monosexuée ?, AJ Famille 2006 p. 392 ;

[6] CEDH, GC, 16 décembre 2010, A, B et C c. Irlande, n° 25579/05.

[7] Voir notamment l’obligation de l’Etat « de protéger la santé de la mère et de l’enfant lors de la grossesse et de l’accouchement » (Odièvre c. France, n° 42326/98, arret du 13 février 2003, § 45 ) et de tenir compte de « l’intérêt supérieur de l’enfant » (Gnahoré c. France, n° 40031/98, arrêt du 17 janvier 2001, § 59).

[8] A, B et C c. Irlande, no 25579/05, § 222, 226 et 227.

[9] D.H. et autres c. République tchèque [GC], no 57325/00, § 175.