Lettre de F. Bienvenu (Bordeaux) à Aimé Michel
Depuis peu, je lis vos chroniques « Sciences », et si j’ai apprécié les réserves faites dans vos précédents articles au sujet des expériences de laboratoires, j’ai été au contraire surpris de trouver dans celui du 3 mars des termes péremptoires et des généralisations abusives. 1
En particulier, au sujet de votre poussin de poule s’étant identifié à la gent canard, j’aurais un vif plaisir à voir une photographie de ce poussin s’ébattant joyeusement au milieu d’une mare, puisqu’il serait 100 % caneton.
Le plus grave à mon sens, c’est que ces expériences s’affublent volontiers d’une chape d’authenticité, par le fait d’une généralisation hâtive.
Notamment, votre affirmation concernant l’enfant (« l’éducation première fixe pour la vie le modèle indélébile de ses réflexes d’espèce ») est bien sujette à caution, et vous l’avez du reste corrigée dans les lignes suivantes.
En définitive, c’est le doute que, de divers côtés (incroyants, marxistes et, bien sûr, croyants dans le vent), l’on cherche à introduire sournoisement pour saper les croyances naturelles et spirituelles de notre génération. Cependant, il est un très vif réconfort de faire partie de la cohorte des familles chrétiennes […] qui […] s’attache à leur donner le plus tôt possible, l’éducation religieuse – en dépit des informations contraires des savants et des théologiens. […]
À côté des lecteurs qui ont interprété mon article comme un plaidoyer en faveur de l’éducation précoce, M. Bienvenu lui donne la signification contraire. Cette diversité montre que cet article manquait de clarté.
1° En ce qui concerne le poussin psychiquement transformé en caneton, il est très facile de voir dans les laboratoires où l’on étudie l’imprinting 2 le désarroi des jeunes animaux élevés par une autre espèce quand ils ne peuvent imiter le comportement de leurs parents nourriciers. Cela a été maintes fois filmé et décrit (notamment dans les livres de Lorenz et de Chauvin). Le poussin suit la cane jusqu’à la mare et piaille désespérément sur la rive en voyant sa « mère » s’éloigner.
2° En ce qui concerne le caractère indélébile de l’éducation précoce chez l’enfant humain, consulter l’opuscule de M. l’abbé Pierre Caillon, Grand Séminaire de Sées (Orne), opuscule que plusieurs lecteurs m’ont communiqué (a). M. l’abbé Caillon, dont les arguments scientifiques sont absolument corrects et irréprochables, pense que les faits dont nous parlons démontrent, du point de vue pastoral, la nécessité de l’éducation précoce 3 .
Aimé MICHEL
(a) P. Caillon : Un enfant de 4 ans est achevé d’imprimer (se procurer à Notre-Dame-de-la-Trinité, BP 57, 41–Blois).
Les notes de (1) à (3) Jean-Pierre Rospars
(*) Texte n° 81 – F.C. – N° 1318 – 17 mars 1972. Reproduit dans La clarté au cœur du labyrinthe, chap. 6 « Pensée animale », pp. 180.
- La chronique visée est la n° 79, L’importance des premières années, publiée ici la semaine dernière. Aimé Michel jugera lui-même imprécise cette première réponse à un lecteur. Il la fera donc suivre d’une mise au point que nous publierons la semaine prochaine.
- Le terme « empreinte » s’est imposé en français.
- Ce « du point de vue pastoral » est important car comme Aimé Michel l’écrivait dans les premières lignes de la chronique précédente : « La science n’a évidemment rien à dire sur l’opportunité de l’éducation religieuse précoce, à propos de laquelle une discussion souvent âpre se développe actuellement. Faut-il ou ne faut-il pas parler de Dieu aux enfants de moins de 5 ans ? Faut-il ou ne faut-il pas leur inculquer les gestes et les pratiques, leur apprendre des prières ? etc. C’est aux théologiens d’en discuter. » On comprend dans ces conditions que la fin de phrase en italique est malencontreuse. Elle exprime l’opinion de l’abbé Caillon, non celle d’Aimé Michel comme nous le verrons à nouveau la semaine prochaine.