La mort d’Elenna Bonner n’a pas fait les grands titres de la presse internationale. Et si sa mémoire a été saluée et son rôle de dissidente à l’égard du pouvoir soviétique, aux côtés de son mari le professeur Andreï Sakharov, a été rappelé, j’ai regretté qu’on ne donne pas assez de résonance au sens d’une existence qu’elle même définissait comme « typique, tragique et belle ». Chacun de ces qualificatifs devrait être défini et illustré pour comprendre en quoi Elenna est une figure emblématique du vingtième siècle. Typique oui, parce qu’elle incarne le destin du peuple russe sous la férule du communisme soviétique. Elle a vécu le sort commun, le régime policier, l’univers concentrationnaire, sans oublier les épreuves de la Seconde Guerre mondiale, la pauvreté des conditions économiques. Ce qui nous renvoie au tragique, car le lot de ce peuple fut le malheur. Son père fut exécuté par le régime, sa mère emprisonnée pendant 18 ans. Elle fut donc élevée avec son jeune frère par sa grand-mère.
Plus tard, vint la période de la dissidence, c’est-à-dire de la rébellion, notamment après qu’elle ait rencontré le grand scientifique Sakharov, qui avait été à l’origine de la bombe nucléaire soviétique. En dépit de sa renommée internationale, ou à cause d’elle, le professeur fut tenu à résidence forcée, et lorsqu’il obtint le prix Nobel de la paix, il fut empêché de se rendre à Oslo pour le recevoir. C’est Elenna Bonner qui le remplaça et prononça le discours de réception. C’est pour cela aussi que sa vie fut belle. Consacrée certes par cette distinction exceptionnelle, mais parce qu’elle correspondait à un engagement radical, à la fierté d’une opposition à l’oppression, qu’elles qu’en fussent les conséquences.
Après la mort de Sakharov, Elenna Bonner a gardé toute sa liberté d’esprit, ne cachant pas ce qui lui déplaisait dans la situation de la nouvelle Russie, avec les atteintes aux droits des gens qui étaient outragés. Mais voilà, c’est une page d’histoire qui se tourne et qu’il faudra transmettre. Celle où sombra l’empire totalitaire grâce à des personnages d’exception, qu’ils s’appellent Soljénitsyne, Jean-Paul II, Sakharov, ou Elenna Bonner.
Chronique du 21 juin sur Radio Notre-Dame.