Liszt est né en Hongrie dans un univers de tradition profondément catholique. La perception aiguë qu’il a du monde et des événements et par ailleurs sa grande sensibilité, l’amènent à appréhender très jeune la dimension spirituelle comme faisant obligatoirement partie de la vie humaine.
Un tel tempérament ne pouvait pas manquer d’être confronté à ce que l’on peut appeler l’expérience mystique : c’est-à-dire cette mise en présence ici-bas, d’une réalité dépassant la sphère de l’immédiatement visible et perceptible et qui permet d’aborder toute chose avec sa part de mystère infini. Cela vaut notamment pour tout ce qui concerne la réalité de l’amour. Or, en amour justement, Liszt fut surabondant. Il cultiva des amitiés profondes et durables y compris lorsqu’elles avaient du mal à être partagées. Il connut l’amour passionné et la plupart du temps en dehors des lois sociales, avec de nombreuses femmes qui le mirent souvent dans des situations très inconfortables et qui furent à l’origine d’une grande ambiguïté dans la compréhension de ce personnage un peu inclassable. Il vécut enfin une quête proprement religieuse qui débuta dès l’enfance par le désir de devenir prêtre et qui se termina par une existence romaine proche du pape Pie IX et de son entourage jusqu’à recevoir les Ordres mineurs, alors même que Liszt était déjà engagé dans le Tiers-Ordre franciscain.
Pour lever toute ambiguïté sur les motivations chrétiennes de Liszt, voici ce qu’il dit dans son testament de 1860 : « Jésus Christ crucifié, la folie de l’exaltation de la Croix, c’était là ma véritable vocation. Le renoncement à toute chose terrestre fut l’unique mobile, le seul mot de ma vie » et dans la conclusion : « Non, plus jamais, depuis mes dix-sept ans, à travers les nombreuses fautes et erreurs que j’ai commises, et dont j’ai une sincère repentance et contrition, la divine lumière de la Croix ne m’a été entièrement retirée. Parfois même elle a inondé de sa gloire toute mon âme ! J’en rends grâce à Dieu, et mourrai l’âme attachée à la Croix, notre rédemption et suprême béatitude. »
L’œuvre de Liszt comprend cette recherche d’une manière passionnée. La croix n’est pas pour lui simplement du côté de la souffrance elle est aussi ce débordement d’amour qui élargit constamment l’horizon de la vie. Même dans le répertoire de piano où la virtuosité semble l’emporter sur toute autre préoccupation, il y a une visée d’extase du fait de l’explosion du cadre dans lequel s’expriment l’instrument et l’écriture musicale elle-même. Il n’est pas indifférent que Liszt ait donné à l’une des œuvres de ce type, le nom de Études d’exécution transcendante. La poésie qui se dégage de ces pièces l’emporte sur la caractéristique technique. Mais il faut penser aussi aux Années de pèlerinage qui reflètent le regard de Liszt sur ce qu’il a pu goûter en Suisse, en Italie, et dans ce monde irréel où erre en esprit un chanoine qui traduit ses émotions : c’est là que jaillissent les célèbres Contemplations de la villa d’Este. On peut aussi évoquer les Harmonies poétiques et religieuses, dont le public connaît surtout Funérailles, grandiose déploration à la mémoire des martyrs hongrois, mais dont les autres pièces sont tout aussi évocatrices.
L’orchestre est venu enrichir chez Liszt la palette sonore pour prolonger les explorations pianistiques ; les poèmes symphoniques en sont l’une des manifestations les plus puissantes. L’œuvre pour chœur (seul ou avec instruments) ne laisse aucun doute sur les références et les préoccupations du compositeur : Faust-Symphonie, Dante-Symphonie, les nombreux chœurs d’hommes et mixtes a capella ou avec orgue juqu’au Via Crucis de 1878 et aux Oratorios de Christus (véritable credo de la foi chrétienne), de la Légende de Sainte Élisabeth, la Messe de Gran ou la Messe hongroise du Couronnement, typiques de la volonté du compositieur de trouver un langage nouveau adapté à l’expression de la foi, voire même à la liturgie catholique. On peut terminer cette énumération en mentionnant l’œuvre d’orgue du compositeur avec une trentaine de titres.
Lors du festival Chemins de Musique, mis à part l’aspect symphonique, ces différentes dimensions de l’œuvre de Liszt seront proposées au public avec une courte présentation de chaque concert.
Parmi les différentes manifestations, celle d’ouverture sera consacrée à la musique vocale principalement pour chœur d’hommes. Ce programme sera interprété par l’ensemble Gilles Binchois sous la direction de Dominique Vellard. Parmi les œuvres interprétées, l’une est particulièrement méconnue et pourtant caractéristique du souci de Liszt de trouver une adéquation du langage musical à l’exposition du mystère chrétien. Elle porte le titre de Septem Sacramenta et décrit en musique les sept sacrements de l’Église catholique : le baptême, la confirmation, l’eucharistie, la confession, l’ordre, le mariage et l’extrême-onction. Franz Liszt a explicité lui-même l’état d’esprit qui a guidé la composition de cette œuvre, il nous paraît intéressant d’en donner ici un écho : « Un jour qu’Overbech m’expliquait sa composition des Sept Sacrements, où il avait inséré tant de symboles, d’allusions, de faits historiques, et mystiques, toute une concordance entre l’Ancien et le Nouveau Testament, je fus saisi d’admiration devant son œuvre et lui promis de reproduire le même sujet dans mon art, la musique. Comme il en paraissait profondément réjoui, je m’abstins de lui dire que ma manière de le traiter serait diamétralement opposée à la sienne… Je devais m’attacher à rendre le sentiment avec lequel le chrétien participe à des grâces qui le surélèvent au-dessus de la vie terrestre et lui font aspirer à la divine atmosphère des cieux. Les compositions de Septem Sacramenta pourraient se chanter dans les églises et les chapelles, peu avant ou durant la dispensation des Saints Sacrements. Celle relative à la Pénitence pourrait précéder de quelques instants, en étant suivie d’une longue pause celle de la Communion. Celle de l’Extrême-Onction trouverait peut-être sa place durant le moment qui précède l’Absoute dans les funérailles. En livrant cette œuvre à la publicité, j’implore pour elle comme humble auteur, la bénédiction de Celui qui institua les Sacrements, enrichissant nos âmes de leurs dons surnaturels, Notre Seigneur Jésus-Christ, devant lequel tout genou fléchit au Ciel, sur la terre et sous la terre (Phil. 2). »
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