Tout avait commencé comme dans un conte de fée. Les jeunes de la place El Tahrir résistaient courageusement au régime du Président Moubarak. Ils se singularisaient par leurs slogans de communion au-delà des frontières confessionnelles. Les observateurs interloqués notaient qu’aucun des innombrables tracts brandis par les révolutionnaires n’évoquaient le Prophète ou la religion. Comme si les revendications des frères musulmans depuis vingt ans, la principale opposition au pouvoir égyptien, étaient obsolètes et ne concernaient pas les cadets. Après le triomphe de la révolution, la place El Tahrir ( la Révolution) est devenue chaque vendredi, jour de congé, un vaste forum de débats. Systématiquement des prêtres coptes y prennent la parole comme une composante incontournable de pays. Les coptes et les musulmans semblaient fraterniser volontiers, et les murs du Caire se sont couverts de tags représentant la communion du croissant et de la croix sur fond de couleurs nationales. Lors du référendum de mars sur un éventuel changement de la Constitution, beaucoup de chrétiens se sont exprimés et se sont rendus aux urnes pour la première fois de leur vie. Cependant la réforme a été largement repoussée. Or la Constitution postule dès l’article 2 que la législation égyptienne « s’inspire » de la charia…
Depuis un mois, les espérances des chrétiens se sont refroidies. Comme s’il y avait un décalage entre les rêves des jeunes révolutionnaires, inspirés par le style de démocratie occidentale et ouverts à des perspectives plus laïques, et le petit peuple très attachés à l’identité musulmane. Il y a d’abord eu le 8 mars des affrontements sanglants dans les quartiers populaires au pied du Moqattam où s’entassent les chiffonniers. Des émeutiers musulmans auraient attaqué les maisons des chrétiens pour les piller et chasser leurs habitants. En avril, à Qela, un vaste mouvement de protestation s’est levé contre le gouverneur de l’Etat, seul gouverneur copte du pays. Le conseil Suprême des Forces Armées qui gouverne le pays en attendant les élections législatives de septembre et les élections présidentielles de décembre a cédé à la revendication populaire en suspendant le gouverneur pour trois mois. Mais c’est surtout le drame d’Imbabah, survenu le 7 mai, qui inquiète la communauté chrétienne comme un révélateur de mauvais augure. Dans ce quartier populaire, deux églises chrétiennes ont été prises d’assaut et incendiées par des musulmans exaltés. Les coptes orthodoxes et catholiques ont tenté de s’interposer. Le sinistre bilan fait état de 12 morts, dont le neveu d’un évêque catholique qui a été poignardé, et 240 blessés. Parmi les agitateurs arrêtés, 27 hommes qui par internet avaient appelé à brûler les églises et qui ont jeté des cocktails Molotov appartiennent au mouvement salafiste…
Le gouvernement s’est engagé à réparer les églises à ses frais, à dédommager les familles des morts et des blessés. Ahmed El Tayyeb, le grand imam de la mosquée d’Al Azhar, a rédigé une déclaration commune avec des dignitaires coptes pour condamner la violence contre les églises et les heurts interconfessionnels.
La communauté copte est cependant traumatisée. Beaucoup imaginaient que la révolution permettrait de tourner la page meurtrière des attentats contre les églises. Le souvenir des 21 morts tués par l’explosion d’une bombe dans une église d’Alexandrie le 1er janvier 2011 revient à la mémoire. Des familles envisagent de quitter le pays. Mais peu en ont les moyens. Depuis la révolution, les touristes évitent l’Egypte. Or le tourisme représente une activité économique importante. Il fait vivre beaucoup de gens modestes. Les prix des denrées alimentaires ont augmentés et le chômage dans l’hôtellerie et sur les sites touristiques frappe les petits revenus. Si une part de la violence vient du désœuvrement et de la faim, la menace islamiste hante les esprits. Jusqu’à maintenant les frères musulmans semblent politiquement plutôt sur la réserve. Ils n’envisagent de présenter des candidats aux élections législatives que dans la moitié des circonscriptions. Mais on n’ignore pas qu’ils ont suscité une branche indépendante à leur parti, Al Wassad al Jadid, le nouveau centre, qui s’affiche plus laïque, plus jeune et qui revendique le courant de sympathie et de renouveau de la révolution. Or les élections se tiendront juste après le Ramadan, période où le petit peuple est particulièrement sensible aux largesses sociales que les frères musulmans sont seuls à pouvoir offrir grâce à leur réseau d’assistance.
Dans les prochains mois, les chrétiens d’Egypte vont observer avec anxiété le positionnement de l’armée, qui jusqu’à maintenant affiche plutôt une option d’inspiration laïque. Le gouvernement militaire a promis d’ici quelques semaines de publier des décrets assurant l’égalité des droits de tout citoyen, sans faire acception de la religion. A l’heure actuelle, l’identité confessionnelle des Egyptiens est inscrite sur leurs papiers officiels. Les chrétiens se plaignent de la discrimination à l’embauche dans de nombreuses entreprises et même dans la fonction publique. Le gouvernement s’est également engagé à rouvrir 37 églises fermées sous le régime précédent. Les chrétiens, sceptiques, attendent de voir la réalisation de ces promesses. En Egypte on ne parle pas de laïcité, tant la religion imprègne la vie sociale, pour les musulmans comme pour les coptes. Les jeunes révolutionnaires rêvent eux d’un Etat « civil ». Le directeur du journal chrétien Watani déclare : « Plaider pour un Etat civil implique avant tout de faire abstraction de la religion des citoyens ».
Les autres inconnus des mois à venir concernent la gouvernance du pays. Personne ne sait si des figures charismatiques pourront émerger de la coalition des jeunes révolutionnaires. Dans un pays où 70 % de la population a moins de 25 ans, ces éventuels leaders disposeraient d’un énorme potentiel électoral. Enfin le mouvement salafiste, courant extrémiste inspiré par le wahabisme d’Arabie saoudite, revendique la « purification » de la société de ses éléments polythéistes, parmi lesquels il inclut les chrétiens. Il ne représente qu’une faible frange de la population. Mais il dispose d’une grande capacité de nuisance et de provocation dans un pays rendu fragile par la dissolution des forces de police, par la crise économique et par l’incertitude politique.