Notre partenaire américain Robert Royal - directeur du site Internet The Catholic Thing - était à Rome et témoigne du cœur à cœur entre le défunt pape et la foule présente le 1er mai.
A Washington où je demeure, j’ai eu l’occasion d’assister en personne à de nombreux événements publics de grande ampleur : investitures, défilés, manifestations, la Marche annuelle pour la vie (March for Life) étant, de loin, la plus émouvante.. Le week-end dernier, j’étais en correspondance à l’aéroport de Londres et j’ai vu à la télévision comment Wills et Kate, comme on les appelle affectueusement, ont noué les liens royaux non sans élégance à l’Abbaye de Westminster. Mais je n’avais encore jamais été témoin de quelque chose de comparable à la béatification de Jean-Paul II à Rome.
Ainsi que je l’ai déjà mentionné ici-même, le poète polonais, Prix Nobel de littérature, Czeslaw Milosz, considérait que seul Jean-Paul II, parmi tous les dirigeants de notre temps, possédait la trempe des souverains shakespeariens. Les foules rassemblées à Rome ce week-end étaient visiblement, par pure intuition, du même avis.
J’ai eu l’occasion d’assister par hasard à Rome à d’autres béatifications : l’une d’entre elles, si je me souviens bien, honorait à la fois un Brésilien et un Autrichien. Les rues étaient remplies de Sud-Américains de différentes races et de germanophones bien mis, plusieurs coiffés de chapeaux alpins ornés de belles plumes vertes. De tels mélanges sont la marque toujours étonnante et magnifique de l’appartenance à une Église universelle.
En 1998, j’ai assisté à La Havane à la messe célébrée par le Saint-Père devant plus d’un million de personnes Plaza de la Revolucion. L’événement en lui-même était à couper le souffle mais, comme c’était le cas avec les efforts entrepris par Jean-Paul II, il eut de grandes conséquences. Une peinture représentant le Sacré Cœur avait été apposée temporairement sur l’un des murs d’un bâtiment officiel sur la place. Le recteur du Séminaire baptiste cubain me dit : « Regardez. Si cela peut arriver, alors tout peut arriver. » Il avait raison. L’Église catholique cubaine est depuis devenue une force avec laquelle il faut compter, en dépit de la perpétuation de la dictature communiste.
C’était le genre de choses qui arrivait souvent sous le pontificat Wojtyla. Si vous êtes suffisamment âgé, vous vous souviendrez de son voyage dans sa Pologne natale, en juin 1979, qui a inauguré une série d’événements qui devaient « changer le monde ». Les gens utilisent souvent ce terme pour des choses relativement banales. Ceux qui ont vu le président polonais de l’époque, Wojciech Jaruzelski, tremblant aux côtés du pape polonais au balcon à Varsovie devant des millions de Polonais, savaient que quelque chose de surprenant allait suivre. Tel fut bien le cas. Une décennie plus tard, le communisme s’effondrait. « N’ayez pas peur » : effectivement.
Les Polonais étaient nombreux à Rome hier. Ils pouvaient être légitimement fiers de l’œuvre réalisée sur cette terre par le fils le plus fameux de la Pologne. De grands noms intellectuels comme Hegel ou Marx ont cru avoir découvert les lois de l’histoire humaine. Aucun d’eux n’a compris que de telles lois n’existent pas pour la simple raison que les êtres humains sont libres devant Dieu. Personne ne peut prédire ce que l’Esprit-Saint peut accomplir, même dans notre monde, quand une grande âme choisit de suivre Dieu.
Le secrétaire de Jean-Paul II pour la presse, Joaquim Navarro-Valls, interrogé par la télévision italienne, s’est exprimé sur le sens du message au monde donné par ces foules venues de toutes les parties de la planète pour honorer le Bienheureux. Navarro-Valls a eu dans le passé quelques moments difficiles avec les médias, mais, ce dimanche, il a parlé franchement, avec son cœur. Bien que les pèlerins fussent issus d’origines les plus diverses, ils étaient unis pour remercier « un homme qui s’est consacré tout entier à tout ce que Dieu demandait — et c’était énorme ».
Il est impossible de rendre compte de l’extraordinaire atmosphère qui s’était emparée de la place Saint-Pierre. En dépit du nombre, il y avait quelque chose de recueilli et de contemplatif. La journée coïncidait en Italie avec la fête du Travail et celle de la St-Joseph. Une manifestation de travailleurs Piazza del Popolo est apparue, par contraste, plutôt amère et moche. Sur la place Saint-Pierre, ainsi que le dit un commentateur, vous auriez pu entendre une mouche voler. La foule — certains avaient dormi toute la nuit dans les rues pour parvenir à apercevoir quelque chose de la messe — n’était pas là pour un simple homme politique. Ce qui revenait le plus souvent dans les témoignages était la bonté et l’esprit qui « transparaissaient » d’un homme unique en son genre.
Benoît XVI a conclu son homélie — qui comme toujours donne beaucoup à méditer — avec le souvenir de celui qui a si souvent béni les foules sur cette même place en lui demandant de continuer à protéger et à bénir toute l’Église.
En regard, les critiques de Jean-Paul II, en provenance de divers secteurs, font l’impression de chicaneries. Ne s’est-il pas passé de mauvaises choses durant son pontificat ? Oui. A-t-il porté remède à tout ce qui n’allait pas dans l’Église ? Non. Les gens qui se livrent à ce type de critiques confondent sainteté et perfection. Saint Pierre a renié le Christ Lui-même à trois reprises, après Lui avoir promis qu’il n’en ferait rien. Saint Paul a persécuté et tué des chrétiens. La grandeur, si elle doit exister, est faite de toute cette matière trop-humaine.
Plusieurs commentateurs ont estimé que ce qu’il y a de plus grand et de plus significatif parmi les œuvres de Jean-Paul II est son enseignement sur la valeur rédemptrice de la souffrance — une leçon donnée non seulement par la parole mais par la manière dont il a supporté la souffrance dans sa propre vie : la perte de sa mère à l’âge de neuf ans, la persécution sous les nazis et les communistes, la tentative d’assassinat, les progrès lents et débilitants de la maladie qui devait finalement conduire cette grande vie active à son terme fixé.
Jean-Paul II attribuait la façon dont les foules étaient émues non à ses mérites mais à l’action de l’Esprit Saint. « La voie de l’Église est l’homme ; la voie de l’homme est le Christ. » Plusieurs ont prononcé ces paroles. Jean-Paul II en a communiqué le sens parce qu’il a pris ces paroles à cœur.
Source : http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/cor-ad-cor-loquitur.html