Tout jeune j’ai appris combien le Vendredi saint est important et unique. C’était le seul jour de l’année où mon père ne travaillait qu’une demi-journée : « Jésus est mort à trois heures de l’après-midi, je rentre tôt à la maison en Son honneur.» Tous les ans nous assistions en famille — mémorable pour les variantes de rite — à la célébration du Vendredi saint, mais ça ne m’a jamais vraiment frappé l’esprit. Ce n’est qu’étant alors étudiant j’ai découvert, grâce à un professeur attentif, une sorte de dévotion du Vendredi saint pour me concentrer sur l’incompréhensible: la contemplation du tabernacle vide.
Une vision frappante: les portes du tabernacle grandes ouvertes, révélant un vide béant. Là Notre Seigneur avait abrité Son corps, Son sang; Son âme, Sa divinité, faisant signe aux malheureux, épuisés, sous la charge de leurs soucis, de les Lui confier. D’autres fois, avant d’entrer dans notre rangée ou en la quittant nous Lui rendions hommage par une génuflexion vers cet abri, peut-être avec un coup d’œil à la lampe du sanctuaire dont la lueur rappelait Sa présence. Mais pas en ce jour. Lampe éteinte, portes ouvertes tabernacle vidé, église vidée. « On a enlevé mon Seigneur, et je ne sais pas où on l’a mis.» (Jean 20:13). Le tabernacle vide proclame ce qui est survenu ce jour: notre Seigneur est mort pour nous sauver du péché.
Le tabernacle reste ouvert toute le matinée, car Jésus n’y est plus présent. Il a fait don de Lui-même aux hommes cruels qui Le mènent à la mort. Le récit nous est familier, et pourtant toujours nouveau : le procès, l’interrogatoire, la flagellation, les sarcasmes et les crachats, le couronnement d’épines, l’hystérie de la foule, les doutes de Pilate, la lente montée au Golgotha. Là, à midi, Jésus fut cloué sur une croix, la chaise électrique de la Rome antique, entre deux larrons. Trois heures durant Son corps resta suspendu au bois, versant Son sang pour notre salut. Puis, alors qu’on abat dans le Temple les agneaux de Pâques, le véritable Agneau de Dieu pousse un dernier cri et rend Son dernier souffle.
Notre liturgie du Vendredi saint débute alors, le prêtre se prosternant en un acte de deuil et de tristesse. Nos prières solennelles de commémoration s’égrènent, le tabernacle demeure ouvert et vide. La veille au soir, Jésus nous a donné en l’Eucharistie Son corps et Son sang afin que toujours en communion avec Lui nous puissions vivre pleinement. Aujourd’hui on nous rappelle que le don de l’Eucharistie est le véritable sacrifice qui a coûté la Vie de notre Seigneur. Il n’y a pas de Messe — on ne répète pas le sacrifice du Christ — car aujourd’hui nous commémorons le sacrifice même. La Messe porte à nos âmes les fruits du sacrifice du Christ, mais aujourd’hui, en notre deuil, nous revivons Son sacrifice avec Lui.
Le drame de la liturgie de l’anamnèse — la commémoration mystérieuse ce jour des évènements passés — atteint son sommet lorsque nous recevons la Sainte Communion. Bien que mort, notre Seigneur se donne toujours pour nous, pour notre unité, Il vient encore à nous par le sacrement de Son corps et de Son sang. En ce jour plus que tout autre jour « L’Eucharistie nous attire dans l’acte d’offrande de Jésus. Nous ne recevons pas seulement le Logos incarné de manière statique, mais nous sommes entraînés dans la dynamique de son offrande.» (Encyclique Deus Caritas est , 13).
La liturgie du Vendredi saint s’achève en silence, car nous pleurons encore la mort de notre Seigneur. Regardant le sanctuaire dénudé, nous voyons le tabernacle ouvert et vide, à l’image de nos cœurs. L’Eucharistie est le sommet, la source de la vie chrétienne, elle nous attend dans le tabernacle. Mais aujourd’hui c’est le contraire: c’est nous qui attendons le retour du Seigneur dans le tabernacle afin de recevoir à nouveau le Pain de la Vie.
Nous devrons encore attendre. D’abord il nous faut accompagner par l’esprit le Christ dans la fin de Sa mission: libérer les âmes des justes partis avant Sa venue. Poursuivant notre contemplation le Samedi Saint nous voyons encore le tabernacle ouvert et vide, de même que l’âme et la divinité du Christ ont provisoirement quitté Son corps et Son sang, Il est présent ailleurs. Mais Il reviendra.
Le tabernacle vide est l’expression visible du drame de la Passion. Le troisième jour, couvert de fleurs et rempli des hosties nouvellement consacrées pour le triomphe de la Pâque, le tabernacle renouvelé célèbrera la gloire de la Résurrection. Dieu sera à nouveau parmi nous.
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David G. Bonagura, Jr. est assistant Professeur de théologie au Séminaire de l’Immaculée Conception à Huntington (État de New York).
Pour aller plus loin :
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- Vladimir Ghika : le contexte politique avant la guerre de 1914-1918
- La France et le cœur de Jésus et Marie
- LE MINISTERE DE MGR GHIKA EN ROUMANIE (1940 – 1954)
- EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE « AFRICAE MUNUS » DU PAPE BENOÎT XVI