Aujourd’hui débute la semaine à nulle autre pareille depuis la Création du monde. Souffrance, mort et résurrection — chacune singulière, y compris la résurrection, difficile à admettre, de la façon dont elle s’est manifestée. On le voit à la manière dont les Apôtres sont restés sous le choc, un bon bout de temps, en dépit du tombeau vide. Au lieu que l’issue nous apparaisse familière et décidée d’avance, nous devrions demeurer un certain temps dans l’incertitude et l’étonnement devant les mystérieux événements de la Semaine Sainte.
Le titre ci-dessus est extrait du « Jésus de Nazareth » de Benoît XVI qui éclaire utilement les Évangiles depuis l’entrée du Christ à Jérusalem jusqu’à la Résurrection, en se gardant de vouloir tout expliquer par des arguments rationnels. (Ce jour, veille de l’anniversaire de son élection pour laquelle nous sommes reconnaissants). Il n’existe pas d’explication intégrale de l’action de salut de Dieu dans le monde. Les petits lapins de Pâques et les paniers de bonbons ne parviennent pas à nous cacher cette vérité.
Quelques-uns s’y efforcent pourtant. Contrairement à Noël, il est impossible de réduire la chose à de chaudes vacances, grisées et confortables. Pour les chrétiens, c’est l’événement le plus considérable de leur vie.
Cette singularité est la raison pour laquelle, ces derniers temps, Pâques est peu couvert par les médias. A peine quelques curiosités : un village aux Philippines où l’on crucifie réellement – mais sans qu’il meure – un volontaire ; la représentation de la passion d’Oberammergau, avec ou sans anti-sémitisme ; les récentes découvertes « archéologiques » d’un producteur de cinéma qui démonteraient tout le récit évangélique et, par une étrange coïncidence, validerait les préjugés modernes anti-chrétiens.
Dans ces circonstances, le croyant est tenté de tout laisser tomber et de se retirer. Mais le Christ n’est pas venu dans le monde pour une séance intimiste avec quelques initiés. Il est venu dans le monde pour le sauver. En ce sens, il est sain de méditer sur l’étrangeté pour le monde de nos croyances, sauf à transformer l’événement si singulier et si provocateur en une histoire rassurante.
La consolation vient à la fin. Vouloir y parvenir trop rapidement serait en méconnaître le coût, ce qui revient à penser que Dieu aurait pu obtenir ce résultat — vaincre le péché et la mort — sans le sang qui le précède.
Je n’arrive toujours pas à en bien comprendre, je l’avoue, la raison profonde. Saint Pierre non plus ne me semble pas l’avoir comprise et s’en est irrité. Le grand saint Anselme a tenté de répondre dans son « Cur Deus Homo ? » (Pourquoi Dieu s’est-il fait Homme ?). Sa réponse est : pour notre salut. Certes, mais il y a une autre question plus profonde. Le « Catéchisme » dit : « Il nous a tant aimés qu’il s’est fait humble comme nous, qu’il a souffert, est mort, a été enseveli, pour nous sauver. »
Tout ceci figure dans le Credo et est rigoureusement exact.
Mais tout ceci ne nous dit pas pourquoi ? Les grands théologiens ont débattu sur le fait de savoir si Dieu se serait incarné si nous n’avions pas péché. D’aucuns plus sages que moi déroulent les interrogations. Il me suffit de considérer les faits bruts, mystère après mystère, au-delà de toute déduction.
Gabriel Marcel distinguait mystère et problème. La somme du génie et l’effort de la raison ne suffisent pas pour comprendre pleinement certains des faits et certaines des vérités qui sont pourtant vitaux à notre existence d’êtres humains.
A chaque époque, les rationalistes y voient l’erreur des religions révélées, leur fondamentale irrationalité. Est-ce si vrai ? Ou n’est-il pas plus rationnel de reconnaître qu’il existe des choses qui demeurent au-delà de notre compréhension, si grands soient les pouvoirs de la raison, eux-mêmes très mystérieux ? Comment l’intérieur du crâne humain peut-il refermer un vaste univers vieux de 15 milliards d’années ? Les échanges chimiques à l’intérieur de nos cerveaux expliquent-ils quoi que ce soit ?
Et pourtant beaucoup dépend de notre connaissance des questions cruciales. Quelques erreurs sur des points de philosophie entraînent les absurdes énigmes modernes. Nous connaissons beaucoup de choses sur le cosmos mais savons-nous vraiment quelque chose ? La dénégation et la déformation de la vérité ont coûté cent cinquante millions de vies au siècle passé. Elles se poursuivent dans les moulins à avortement dans les parties les plus « avancées » de la planète.
« Voilà qui est singulier de la part de Dieu/D’avoir choisi les Juifs ». Oui, même si vous savez que le salut doit venir d’une relation personnelle entre l’humanité et son créateur et pas d’un système philosophique abstrait. Encore plus singulier de la part de Dieu d’avoir choisi de se faire Homme ; encore plus singulier de mourir sur une croix pour racheter par Lui-même les péchés des hommes. Benoît note ce paradoxe que « les rachetés ont lavé leur vêtement et l’ont blanchi dans le sang de l’Agneau » Apocalypse, 7, 14. Un parmi les nombreux paradoxes de la Semaine Sainte.
Plus je vieillis et plus clair m’apparaît le péché — le mien et celui des autres —, plus terribles les conséquences sous une myriade de formes, plus ou moins subtiles. « Tous pardonnés », seul un esprit français, à l’évidence dément, peut le proclamer. Tout comprendre c’est tout pardonner. Non, tout comprendre est au contraire être plus horrifié du péché, de sa nature et de son étendue.
Cette mystérieuse chaîne d’événements qui vainc le péché et la mort est avérée à la lumière du Mysterium Iniquitatis selon les termes de saint Augustin. Le remède est aussi mystérieux que le mal. Selon Benoît XVI, l’innovation du Nouveau Testament est que la Passion rapproche Dieu et l’Homme plus qu’à aucun autre moment de l’histoire du monde, afin que nous qui croyons nous soyons en Christ. Le monde n’a que faire du « Mystère intégral du Christ ». Nous en faisons cas quelque peu ; mais ce peu change tout.
Source :
http://www.thecatholicthing.org/columns/2011/the-entire-mystery-of-christ.html