2 - Le sacrement de l'ordre - France Catholique
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Marie dans le plan de Dieu
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2 – Le sacrement de l’ordre

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I – Jalons dans la Tradition

* Saint Ignace, évêque d’Antioche, au début du 2° siècle, est arrêté et conduit à Rome pour y subir le martyre. Au cours de ce voyage, il rencontra plusieurs évêques des jeunes Églises de l’actuelle Turquie et leur confia des lettres. Nous en avons sept. Ces lettres, recueillies par Polycarpe de Smyrne, puis par l’écrivain Eusèbe de Césarée, sont une mine précieuse de renseignements sur l’état de ces Églises.
Devant les dangers de scission, il prône l’unité autour de l’Évêque. C’est à cette occasion qu’il parle de trois degrés : un épiscopat, nettement monarchique, ce qui tranche sur les écrits précédents où semblait régner une certaine collégialité, un presbytérat, qui doit être uni à l’évêque « comme les cordes à la lyre » selon sa formule souvent citée, et des diacres.

* Hippolyte est un personnage étonnant de Rome au début du 3° siècle. Fin lettré et excellent exégète, mais aussi polémiste redoutable, y compris à l’égard de l’évêque de Rome, que l’on ne nomme pas encore le pape. Contre ceux-ci, Zéphirin puis Calliste, il oppose la fermeté de la Tradition. Par rigueur et peut-être aussi par dépit, il s’érige en évêque contre Calliste. Il rachètera cela par son martyre, quelques années plus tard. Il a laissé d’innombrables écrits qui furent parfois méconnus dans la Rome des siècles suivants, pour le double motif de son souvenir schismatique et surtout du grec, langue de ses écrits, mais langue que l’Église de Rome abandonne à cette époque. Parmi ces écrits, il y a celui qu’on nomme La Tradition apostolique, dans lequel il consigne des règles anciennes qu’il estime trop oubliées, surtout en matière de liturgie et spécialement d’ordination. C’est donc un témoignage précieux pour notre étude.
Un dimanche, l’évêque doit être élu par tout le peuple (attention, quel est le sens du mot élu à cette époque : choisi ? désigné ? accepté ?). Imposition des mains par un seul des évêques présents, avec la prière dont l’essentiel est :
Dieu et Père de NSJC…. répand maintenant sur lui la virtutem (intraduisible sinon par force, vertu au sens de capacité…) qui vient de toi, principalis spiritus, donné aux Apôtres et qui constitue l’Église en chaque lieu.
Puis il parle de l’ordination des prêtres : imposition des mains de l’évêque avec les prêtres et formule de bénédiction. Enfin le diacre est ordonné par l’évêque seul, car le diacre n’est pas ordonné dans le sacerdoce, mais dans le service de l’évêque.. Il est précisé qu’il n’impose qu’une seule main.

* Ce texte sera repris dans les siècles suivant dans le livre VIII d’une collection extrêmement complexe nommée Constitutions Apostoliques. On y trouve en plus, dans les chapitres 3 à 26, une foule de détails sur les ordinations des évêques, des prêtres, des diacres, des diaconesses, des sous-diacres, des lecteurs, des exorcistes….Le problème pour les diaconesses est de savoir à qui s’applique la phrase disant : mais ceux-là n’ont pas besoin d’ordination. Des documents ultérieurs ont permis de préciser que les diaconesses n’étaient pas ordonnées, mais seulement bénies.

* Au 4° siècle, survint la querelle donatiste qui divisa l’Église d’Afrique du Nord. Elle a posé un problème que nous étudierons plus tard : le rapport entre la sainteté du ministre et la communication de la grâce. Les donatistes se réclamaient de saint Cyprien, qui soulignait l’importance de l’appartenance à l’Église, mais ils en ont détourné l’héritage en voulant une Église de purs, ceux qui se réclamaient du martyre, ceux qui avaient gardé la vraie foi dans les persécutions. Aussi refusaient-ils la validité des sacrements donnés par ceux qui n’étaient pas de leur Église. Saint Cyprien avait eu un différend avec l’évêque de Rome sur ce sujet. Il estimait que le baptême donné par les hérétiques n’était pas valide, mais il laissait la question ouverte. Les donatistes ont forcé le trait en refusant les sacrements donnés par ceux qui avaient trahi la foi, ou qui étaient trop accommodants avec ceux qui se repentaient de l’avoir fait. Leur argument était le suivant : une Église qui sanctifie se doit d’être sainte et pure, principalement dans le domaine de la foi. Ils ajoutaient le principe : on ne peut donner que ce qu’on a. Si le ministre n’est pas saint, il ne peut donner la sainteté.
La principale réfutation viendra de saint Augustin. À l’égard de saint Cyprien, il fera valoir la communion dans la diversité, mais il va introduire la notion d’action au nom du Christ. Le ministre du sacrement n’agit pas par lui même, mais il agit au nom du Christ. Face aux donatistes qui disaient que Judas ne pouvait pas baptiser validement, saint Augustin écrit : « Quand Pierre baptise, c’est le Christ qui baptise, quand Paul baptise, c’est le Christ qui baptise, quand Judas baptise, c’est le Christ qui baptise ». Il rejoint par là la position romaine qui va devenir la règle pour l’Église latine.
Ou bien encore, dans le traité contre Parménien :
Personne ne reçoit si personne ne donne ; mais en ce qui concerne la chose sainte qu’est le baptême, Dieu est là pour donner et l’homme pour recevoir, que Dieu donne soit par lui-même, soit par un ange, soit par un homme saint, soit par un homme inique….(II, XV, 34)

* Saint Jean Chrysostome, à la fin du 4° siècle publie un dialogue sur le sacerdoce qui nous servira dans les communications suivantes.

* Les théologiens d’Orient ont suivi un chemin légèrement différent de celui d’Augustin. Denys, auteur du 6° siècle, appelé souvent le Pseudo-Denys, car on a voulu le confondre avec le converti de saint Paul à l’Aréopage (Actes 17,34) et qu’il vaut peut-être mieux nommer Denys le Mystique, nous a laissé des traités et des lettres dans lesquels le maître mot est hiérarchie. Nous devons l’entendre comme il l’explique lui même : une plénitude qui vient de Dieu et qui est communiquée par des intermédiaires humains, chacun ayant la responsabilité non seulement d’en vivre dans l’illumination de la foi et dans un élan de charité, mais surtout de transmettre cette plénitude :
Notre hiérarchie enveloppe en elle toutes les saintes réalités qui appartiennent à son ressort et c’est grâce à elle que le divin grand-prêtre, une fois consacré, pourra participer à toutes les saintes opérations qui dépendent de lui, comme l’indique bien son nom grec de hiérarchie……
Le terme commun de toute hiérarchie consiste dans cet amour continu de Dieu et des mystères divins que produit saintement en nous la présence unifiante de Dieu lui-même.. ( Hiérarchie ecclésiastique I,3)
Pour le sujet qui nous intéresse, Denys considère donc que les ministres ordonnés doivent transmettre une sorte de trop-plein de leur illumination et de leur charité.
Ceux qui sont plus proches de la vraie lumière sont tous plus ensemble capables de recevoir l’illumination et plus capables de la transmettre (Lettre VIII à Demetrius § 2)
Cette perspective montre bien ce débordement, ce flux dont l’ordre sacerdotal est le moyen, mais il a une conséquence bien gênante :
Si donc l’ordre des sacrificateurs (mot employé par Denys pour désigner les prêtres) est le plus apte à transmettre l’illumination, celui qui n’illumine point se trouve par là-même exclu de l’ordre sacerdotal et de la puissance propre au sacerdoce. (Ibid.)
Nous retrouvons donc le problème de la sainteté du ministre qui sera traité plus loin.
Par ailleurs, ces traités abondent en détails concrets sur ce que nous nommons les ordinations, avec les gestes qui en font encore partie : imposition des mains, position à genoux devant l’autel, et pour les évêques, l’imposition du livre des Évangiles.

* Lorsque le Moyen-Âge se pose le problème du sacerdoce de la Sainte Vierge, avec les nombreux tableaux qui l’illustrent, il s’empêtre dans le problème de la différence entre l’ordre de la sainteté, dans lequel Marie excelle, et l’ordre du ministère, dont elle a été écartée. Relire à ce sujet Vatican ll qui parle de l’appel de tous les baptisés à la sainteté (Lumen Gentium, ch. 5 ) après avoir exposé la structure hiérarchique de l’Église (ch. 3 ) et la place des laïcs (ch. 4 ) ; puis, il consacre son dernier chapitre à la Vierge Marie, dans la ligne de cet appel à la sainteté (ch. 8 ).

* C’est également pendant cette période que la notion de sacrement s’est affinée. Un théologien parisien : Hugues de Saint-Victor a écrit le premier traité De sacramentis. C’est à ce moment-là qu’on s’est arrêté au nombre de 7.

* Luther, lorsqu’il a découvert le sacerdoce universel des baptisés, a multiplié les attaques contre le sacerdoce : refus du caractère sacrificiel de l’eucharistie, donc pas besoin de ministre et donc négation du sacerdoce comme sacrement, primauté accordée à la prédication dans le ministère de la Nouvelle Alliance. C’est dans cette perspective-là qu’il faut lire le décret du concile de Trente sur le sacrement de l’Ordre.
Ch. 1 : Institution par le Christ dans la Nouvelle loi, pour offrir et distribuer le corps et le sang du Christ et remettre les péchés.
Ch. 2 : Appartenance aux 7 sacrements, et variété des ordres : sous-diacres, diacres, prêtres…
Ch. 3 : L’ordre est un vrai sacrement, avec citation de 2 Timothée 1,6-7
Ch. 4 : Affirmation du « caractère » et donc refus du caractère temporaire des ministres ; refus de l’affirmation que tous sont prêtres ; précision sur les évêques « supérieurs aux prêtres » parce qu’ils ont des pouvoirs que les prêtres n’ont pas.

* Le 17° siècle français brille par une école de spiritualité qui a mis le sacerdoce à une place privilégiée. Le cardinal de Bérulle, mais aussi saint Vincent de Paul, M. Olier ont donné du sacerdoce une vision profonde fondée sur la configuration au Christ prêtre.

* On sait que le concile Vatican ll a beaucoup insisté sur la place des évêques. Nous verrons qu’il y même une prise de position dogmatique à leur sujet. Mais il y aussi deux décrets ; l’un sur la formation des prêtres, l’autre sur leur vie et leur ministère.

II – Le rituel des ordinations

Dans l’état actuel de la liturgie romaine les ordinations se déroulent de la manière suivante :
– Introduction de la célébration, puis présentation du candidat ( pour un évêque, lecture de la Lettre apostolique qui le désigne comme évêque).
– Liturgie de la Parole, jusqu’à l’homélie incluse, suivie, pour un évêque, du dialogue sur son engagement à maintenir la foi et à s’acquitter du devoir de sa charge, pour un prêtre ou pour un diacre, de la promesse d’obéissance.
– Intercession des saints par le chant des litanies, pendant que les ordinands sont prosternés.
– Imposition des mains : pour un évêque, par tous les évêques présents, pour un prêtre, par l’évêque puis par tous les prêtres présents, pour un diacre, par l’évêque seul.
– L’évêque prononce alors la prière consécratoire ; pour un évêque, celui-ci, pendant toute la durée de cette prière garde sur sa nuque un évangéliaire ouvert et après celle-ci, il reçoit une onction de Saint-Chrême sur la tête, et les insignes pontificaux : anneau, mitre et crosse
Pour un prêtre, il reçoit, après la prière de l’évêque, l’étole presbytérale et la chasuble, puis une onction de Saint-Chrême sur la paume des mains,
Pour un diacre, il est revêtu de l’étole diaconale et de la dalmatique,
– Puis la messe continue comme à l’accoutumée.

Il faut savoir que ce rituel a beaucoup évolué, en particulier quant au geste sacramentel. On signalé la présence de l’imposition des mains dès l’âge apostolique et l’imposition de l’évangéliaire pour les évêques. Mais un rite a disparu : celui de faire toucher à l’ordinand les objets du culte liés à sa fonction, par exemple le calice ou la patène, en termes techniques cela se nomme porrection des instruments. On a longtemps discuté sur leur importance quant à l’ordination. Saint Thomas d’Aquin, qui n’a pas eu le temps de rédiger dans sa Somme Théologique les questions sur le sacrement de l’Ordre, tient que la porrection des instruments est le geste sacramentel. De même, en 1439, le concile de Florence, dans le décret pour les Arméniens stipule :
Le sacerdoce est transmis par la porrection du calice avec le vin et de la patène avec le pain. Le diaconat l’est par la remise du livre des Évangiles ; le sous-diaconat par la remise d’un calice vide sur lequel est posé la patène vide.
Dans des temps plus récents, certains pensaient que l’onction des mains était nécessaire pour la validité de l’ordination presbytérale.
En 1947, dans la constitution apostolique Sacramentum ordinis, le pape Pie XII a mis un point final à ce foisonnement d’opinions. Il précise que le geste essentiel du sacrement, pour les trois ordres majeurs de l’épiscopat, du presbytérat et du diaconat, est l’imposition des mains accompagnée d’une prière, anaphore ou préface, qui demande la venue de l’Esprit Saint sur ces ordinands. Il affirme que les autres signes, dont l’Église a le choix, ne sont pas nécessaires à la validité du sacrement.
Cette hésitation est à rapprocher de ce qui s’est passé dans d’autres sacrements : la perception de plus en plus précise de l’action du ministre comme identifié au Christ. Les gens savants parleraient du passage de la forme déprécative : Que Dieu baptise celui sur lequel je verse l’eau ! à la forme performative que nous employons : Je te baptise…. Dans le cas de l’ordination, on est à mi-chemin : le geste de l’imposition des mains, hérité des Apôtres, est accompagné d’une prière d’appel à la puissance sanctificatrice de Dieu, à son Esprit consécrateur.

III – Réflexion théologique

* La mise en avant du geste de l’imposition des mains est une référence très forte à l’époque apostolique. Mais nous ne pouvons nous contenter de cela pour affirmer l’institution par le Christ. La communication précédente a souligné que cette institution n’est pas comme celle du baptême ou de l’eucharistie. Pour ces deux sacrements, Jésus donne le précepte de refaire les mêmes gestes avec les mêmes intentions. Pour le sacerdoce, l’affirmation de l’institution par le Christ provient de la recherche, dans ses actes et ses paroles, de sa volonté de s’associer intimement des hommes en vue de la mission. C’est par ce biais que nous avons procédé. Nous avons aussi souligné le problème des trois degrés de sacerdoce. S’ils apparaissent assez nettement, avec les difficultés que nous avons signalées, à l’époque apostolique, sont-ils pour autant absents dans la pratique du Christ ? Pas tant que cela quand on remarque les nuances qui existent dans l’entourage du Christ : les Douze, certes, mais parmi eux, il y a Pierre, Jacques et Jean, associés à trois événements significatifs du ministère et de la Passion de Jésus (résurrection de la fille de Jaïre, Transfiguration et Agonie), sans oublier le rôle que Jésus donne à Pierre. Cette différenciation qui a vu le jour dans les débuts de l’Église est donc en germe dans la pratique du Christ. L’excès de cette position serait de pourchasser les détails dans les évangiles pour y retrouver toutes les nuances de l’organisation de l’Église, des cardinaux aux curés. Cette position a un nom dans la théologie : le richérisme, du nom d’un abbé Edmond Richer. Au début du 17° siècle, il publia un traité qui montrait la supériorité du concile sur le pape, (le gallicanisme s’en inspira beaucoup). Mais il prétendait aussi que les prêtres, spécialement les curés, avaient les mêmes pouvoirs doctrinaux que les évêques. C’était presque dire que les curés étaient d’institution divine. Ses idées furent condamnées à plusieurs reprises et finalement de manière plus précise au Synode de Pistoie, en 1794.

* Cette différenciation nous permet d’aborder le problème des trois degrés du sacrement de l’Ordre. Si cette réalité est présente dès les débuts de l’Église, (voir le 1°§) , l’accord ne s’est pas fait tout de suite sur le caractère sacramentel de chacun de ses ordres. Il y a eu pendant un temps la confusion entre ordres sacrés, dont le sous-diaconat faisait partie, et la réalité sacramentelle de chacun de ces ordres. Tout « ordre sacré » qu’il était, le sous-diaconat n’était qu’un pas vers l’ordination presbytérale. On lui avait adjoint l’engagement à la chasteté et à la récitation de l’office divin, pour autant, cela n’en faisait pas un sacrement, mais une sorte d’ « antichambre », à preuve la possibilité d’en être affranchi par demande de l’intéressé et décision de l’autorité. C’est sans doute pour éviter cette confusion que la réforme liturgique de Vatican ll a supprimé le sous-diaconat et lié les exigences sus-nommées à l’ordination diaconale.
Le problème était de savoir ce que représentait l’épiscopat par rapport au presbytérat, quel plus celui-là pouvait avoir sur celui-ci. On a parlé longtemps de plénitude du sacerdoce pour l’évêque. Ceci est déjà présent dans la Tradition apostolique dont nous avons déjà parlé : il y est dit que l’on attribue à l’évêque « primatus sacerdotii », ce qui a donné l’expression de plénitude du sacerdoce. Le concile de Trente affirme que l’Ordre est un des sacrements de la Nouvelle Alliance, mais ne pose pas explicitement le problème de la sacramentalité de l’épiscopat.
La discussion portait donc sur la spécificité de l’épiscopat. On lui accordait deux points : faire ce que le prêtre ne peut pas faire, à savoir la confirmation, mais la délégation en est devenue tellement fréquente que cet argument n’a plus de poids ; pouvoir ordonner d’autres prêtres. Sur ce dernier point, il y a eu quelques accrocs : on a mis en avant des abbés de monastères, non revêtu du caractère épiscopal, qui auraient ordonné leurs moines. Mais ceci est discuté et ne fait pas loi. C’est cette possibilité de transmettre qui semblait bien être la spécificité du sacerdoce épiscopal. Le Concile Vatican ll a abordé le problème par un autre biais.
Le saint Concile enseigne que par la consécration épiscopale est conférée la plénitude du sacrement de l’Ordre, que l’usage liturgique et la voix des saints appelle le sacerdoce suprême, le sommet du ministère sacré. La consécration épiscopale, avec la charge de sanctifier, confère aussi la charge d’enseigner et de gouverner, lesquelles cependant, de par leur nature, ne peuvent s’exercer que dans la communion hiérarchique avec la tête et les membres du Collège. La tradition qui s’exprime surtout dans les rites liturgiques et dans l’usage de l’Église aussi bien d’Orient que d’Occident, montre clairement que l’imposition des mains et les paroles de consécration confèrent la grâce de l’Esprit Saint, et impriment un caractère sacré, de sorte que les évêques, d’une façon éminente et visible, jouent le rôle du Christ lui-même, Maître, Pasteur et Pontife, et agissent comme ses représentants (in ejus persona). C’est pourquoi il appartient aux évêques d’assurer dans le corps épiscopal, par le sacrement de l’Ordre, de nouveaux élus. (Lumen Gentium § 21)
La première phrase laisse entendre que le concile engage son autorité doctrinale sur ce qui est dit ensuite. Le caractère sacramentel est alors défini par le don de l’Esprit, et non par la possibilité d’ordonner, celle-ci ne vient qu’en conséquence. Il porte sur les trois fonctions dont nous étudierons le détail dans la prochaine communication. Sans avoir une référence explicite au sacerdoce du Christ, celui-ci est sous-entendu par la double référence, d’une part aux trois fonctions exercées par le Christ, d’autre part à l’action in ejus persona, en tenant la place du Christ.

* On retiendra aussi de ce texte l’emploi du mot caractère sacré. Ceci relie l’Ordre à ceux des autres sacrements qui marquent en profondeur le récipiendaire et, de ce fait, ont un aspect définitif, et ne peuvent donc être réitérés (baptême, confirmation). De même qu’un baptisé est marqué du sceau du Christ, et quels que soient ses errements ou ses refus, il reste baptisé. S’il revient auprès de l’Église pour retrouver l’amitié de Dieu, il n’aura pas à être baptisé à nouveau. De même le prêtre, même s’il s’est éloigné de l’Église, s’il demande à être réintégré, ne sera pas ré-ordonné. L’appartenance au Christ dans les deux cas reste un don de Dieu, comme tous les dons de Dieu, ils sont sans repentance.

* Nous sommes alors capables de comprendre quel est ce nouveau lien avec le Christ que réalise le sacrement de l’Ordre. De même que le baptisé est configuré au Christ mort et ressuscité, plongé avec le Christ dans la mort pour revivre de la vie même de fils adoptif de Dieu, de même le prêtre est configuré au Christ, prêtre éternel et véritable.
Souvent, on traduit cela en terme de « pouvoir » : pouvoir consacrer le corps et le sang du Christ, pouvoir remettre les péchés, pouvoir enseigner… Mais n’y a-t-il pas plus dans l’ordination ? C’est le problème signalé plus haut et qu’il faut traiter maintenant. Le prêtre est-il un pur canal de la grâce du Christ, quelles que soient ses dispositions, ou celle-ci est-elle proportionnée à ses dispositions. L’Église a sagement affirmé que du moment que le ministre agit conformément à ce qu’elle veut pour les sacrements, ceux-ci obtiennent bien leur effet. C’est une sécurité absolue et bienfaisante. Si le fidèle devait, avant de communier ou de se confesser, s’assurer de la foi et de la moralité du prêtre, il serait dans une situation impossible. Le Christ a pris le risque de s’assimiler des hommes avec leur poids de péchés. D’où cette affirmation d’un certain « automatisme » des sacrements, sorte de sécurité indispensable pour les fidèles. Mais les limites de cette position sont palpables. Qui de nous n’a pas eu l’expérience de la qualité de parole ou de célébration de tel ou tel prêtre ? Nous sommes donc obligés de moduler l’affirmation de la validité du sacrement par une autre donnée : celle de l’union du prêtre à celui auquel l’ordination l’a configuré. La sainteté du prêtre, avec toutes ses nuances, n’est pas à mettre sur le même plan que ses qualités pastorales, tant dans la conduite de la portion du peuple de Dieu qui lui est confiée, que dans les domaines de l’apostolat, de la prédication ou de la liturgie.
On peut citer le cas célèbre du saint ermite Pierre de Morrone. En 1294, après 2 ans pendant lesquels les cardinaux ne réussissaient pas à se mettre d’accord pour élire un pape, ils se sont dit qu’un saint les tirerait d’affaire. Ils ont élu Pierre de Morronne qui prendra le nom de Célestin V. Au bout de quelques mois, son pontificat était tellement désastreux qu’il fut contraint de démissionner et de retourner à son ermitage. Par la suite il fut canonisé sous le nom de saint Pierre Célestin.

Conclusion

Saint Jean, au début de sa première lettre, parle de la communion qu’il a avec le Père et avec son Fils Jésus Christ, mais c’est pour justifier cette annonce du Christ qui a pour but cette communion. On pourrait dire que l’Apôtre veut communiquer ce qu’il vit comme communication, ou communion, avec la vie divine. Si le débat avec les donatistes s’est conclu en refusant le principe : « on ne donne que ce qu’on a », c’est–à-dire que les sacrements gardent leur validité, même en cas de ministre indigne, on ne peut se contenter de ce minimum. L’histoire de l’Église atteste massivement, malgré le contre-exemple cité plus haut, que la forte union du prêtre au Christ, disons le mot, sa sainteté, est une réalité bénéfique.