Je lis souvent avec plaisir et avec « appétit » vos chroniques de France catholique. Littéraire de formation, je ne suis qu’un profane en science ; mais si le scientifique consent, au cours d’un article, à éviter les termes trop techniques ou à expliquer en langage d’honnête vulgarisation « à l’usage de ceux qui ont des lumières sur tout » (même sans être eux-mêmes des savants), alors il m’arrive de suivre, de comprendre et d’apprendre vraiment des choses nouvelles.
C’est le cas aujourd’hui pour votre chronique sur les « Quasars » 1 .
J’ignorais totalement et le nom et la réalité de ce que ce mot recouvre. Mais ce n’est pas sur ce mot et cette réalité que je voudrais vous poser une question, ou plutôt non, je n’ai pas dessein de vous questionner.
Mon but est au contraire de vous faire part d’une réaction que j’ai remarquée bien des fois à la lecture d’articles scientifiques, chez les lecteurs les plus divers : la réaction, la voici : « Que peuvent-ils en savoir ? » Il faudrait, de temps à autre, expliquer au lecteur moyen quelques acquisitions de base qui, pour le savant, ne sont plus des problèmes et ne font plus problème, mais qui risquent de ne faire surgir, dans l’esprit non rompu à la spécialité scientifique, que le doute ou même une méfiance allant jusqu’à la quasi-certitude d’être berné.
C’est le cas aujourd’hui pour moi, lorsque je lis ceci : « La lumière que nous en recevons et qui impressionne en 1971 nos plaques photographiques, a voyagé des milliards et des milliards d’années… » C’est là que mon esprit se sent mal à l’aise et que se fait jour le Que peuvent-ils en savoir ?
Voilà qui serait intéressant pour les nombreux, les plus nombreux lecteurs de la FC, qui ne sont évidemment pas des savants. Car beaucoup sont dans mon cas, même sans le dire ou sans oser le dire : quand on arrive à des numérations aussi gigantesques, peut-il encore être question de constat, d’expérimentation et de certitude scientifique ?
Veuillez excuser la simplicité de mon esprit.
Abbé Pierre Lainey, 59 Picauville
Aussi incroyable que cela paraisse, la distance d’un astre lointain se détermine au premier coup d’œil jeté sur son spectre tel qu’il apparaît sur la plaque photographique : plus il est éloigné et plus les raies de son spectre sont déplacées vers le rouge. Le calcul est une simple règle de trois, bien plus facile qu’un problème de robinets !
La question est évidemment : comment sait-on que ce calcul est légitime ?
On le sait par de nombreuses confirmations concordantes. Par exemple, quand un astre donne quatre fois moins de lumière qu’un autre astre auquel il est par ailleurs identique (ce qui signifie qu’il est deux fois plus loin, comme on peut constater avec une lampe), le décalage du spectre vers le rouge indique lui aussi une distance deux fois plus grande.
Mais surtout, ces propriétés du spectre sont prévues par les mêmes calculs qui permettent les expériences de laboratoire et les réalisations technologiques. Elles découlent d’une réalité unique, la physique quantique, qui est l’objet de notre expérience quotidienne. Les savants admettent que, lorsqu’ils voient clairement quelque chose se produire, ce quelque chose ne change pas de nature selon qu’il est près ou loin de nous ; que, par exemple, un homme ou un coquelicot restent un homme ou un coquelicot même si on les observe en Chine.
Quelques savants, comme l’Anglais Milne, ont cependant émis l’hypothèse que l’extrême lointain pourrait changer de nature, et que par exemple le temps ni l’espace n’y auraient plus de signification. Il s’agirait de toute façon d’un lointain bien plus éloigné que les quasars, et l’idée de Milne n’est pour l’instant qu’une captivante spéculation philosophique.
Une autre question que l’on peut se poser est la suivante : étant entendu (et prévisible) que les savants ont réponse à des objections comme celle de notre lecteur, comment le profane peut-il savoir qu’ils ne sont pas dans l’illusion, ou même si leur assurance n’est pas le fait d’une mode, d’une connivence, voire d’un complot ?
Nous recevons souvent des lettres exprimant cette inquiétude. « Je suis à peu près certain, nous écrit un lecteur, que la science veut supplanter la foi. » (M. Charles Leconte.)
Pour croire cela, il faut oublier ce qu’est la méthode scientifique, et surtout ce que sont les mœurs de la recherche. Quand un savant publie un travail, quel qu’il soit, idée, résultat, théorie, tous ses collègues de la même spécialité n’ont qu’une hâte, celle de l’examiner à la loupe pour déceler l’erreur, l’insuffisance, la faute de raisonnement, et quand ils l’ont trouvée, de la publier. Rien de nouveau n’est jamais accepté en science que quand on ne peut plus faire autrement, quand toutes les objections ont été surmontées par des preuves expérimentales contrôlables par chacun 2. L’histoire de la science est certes jalonnée d’erreurs : mais ce sont toujours des erreurs dues à un excès de critique et de scepticisme, excès qui n’en est d’ailleurs pas un, car il constitue le prix à payer pour être sûr de ce que l’on convient d’accepter. La recherche scientifique est une lutte impitoyable, où l’on ne fait aucun cadeau, et je recommande au lecteur qui serait curieux d’en avoir un tableau vivant de lire le livre où James D. Watson raconte la découverte qui lui valut le Nobel de médecine (J.-D. Watson : La double hélice, chez Robert Laffont). 3
La foi supplantée par la science ? Mais comment la connaissance de l’univers pourrait-elle éloigner de son Créateur ? Il y a dans cette crainte une obscure réminiscence manichéenne : il faudrait enfin prendre conscience que ce n’est pas le Diable qui a créé le monde. 4
Aimé MICHEL
Les notes de (1) à (4) sont de Jean-Pierre Rospars
(*) Texte n° 72 paru dans F.C. – N° 1310 – 21 janvier 1972. Reproduit dans La clarté au cœur du labyrinthe, chap. 18 « La science et sa méthode », pp. 473-474.
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Rappel :
Deux livres qu’il faut absolument faire connaître :
Aimé Michel, « La clarté au cœur du labyrinthe ». Chroniques sur la science et la religion publiées dans France Catholique 1970-1992. Textes choisis, présentés et annotés par Jean-Pierre Rospars. Préface de Olivier Costa de Beauregard. Postface de Robert Masson. Éditions Aldane, 783 p., 35 € (franco de port).
Aimé Michel, « L’apocalypse molle ». Correspondance adressée à Bertrand Méheust de 1978 à 1990, précédée du « Veilleur d’Ar Men » par Bertrand Méheust. Préface de Jacques Vallée. Postfaces de Geneviève Beduneau et Marie-Thérèse de Brosses. Éditions Aldane, 376 p., 27 € (franco de port).
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- Chronique n° 68, Les savants russes et les anges, reproduite ici la semaine passée et dans le n° de France Catholique n°3250 à paraître le 11 mars 2011.
- Sur cette incitation à la critique et à l’objectivité, voir aussi les chroniques n° 21, Le temps de la soif (in La clarté, chap. 21, p. 519 ; parue ici le 22.2.2010), et n° 34, Auguste Comte et le Père Noël (La clarté, chap. 21, p. 522 ; parue ici le 27.9.2010).
- Dans ce livre célèbre paru en 1968, James Watson raconte comment il découvrit avec son collègue Francis Crick, la structure de l’ADN à Cambridge en 1953, découverte couronnée par le prix Nobel en 1962 et régulièrement rapportée depuis comme une des plus importantes découvertes de la science. Aimé Michel tient par ailleurs cette « sarcastique Double hélice » pour un « chef d’œuvre » et un « comprimé de mauvais sentiments » (L’Apocalypse molle, Aldane, 2008, p. 316). Watson et Crick étaient en compétition non seulement avec le célèbre chimiste américain Linus Pauling, mais aussi avec leurs collègues du King’s College de Londres, notamment Rosalind Franklin. Cette dernière réussit à obtenir des clichés aux rayons X d’un cristal d’ADN, clichés qui eurent un rôle déterminant dans l’élucidation de la double hélice. Non seulement, Watson exploita ce travail à l’insu de Rosalind Franklin dans les deux semaines qui suivirent, mais en plus il fit de cette dernière dans son livre un portrait peu flatteur qui provoqua l’indignation de tous ceux qui la connaissaient, y compris Crick lui-même. Cet épisode célèbre et peu glorieux apparut comme une légitimation de la compétition effrénée dans la recherche. Selon Anne Sayre « une génération d’étudiants en sciences lut La double hélice et y apprit une leçon : la vieille morale était morte, et son décès était annoncé par un respecté et très illustre lauréat du prix Nobel » (A. Sayre, Rosalind Franklin and DNA, W.W. Norton and Company, New York, 1975 ; cité par G.N. Amzallage dans La raison malmenée, CNRS éditions, Paris, 2002, pp. 137-140).
- La remarque d’Aimé Michel est bien sûr essentiellement juste en son principe mais elle laisse de côté une difficulté : la permanente adaptation de l’esprit de l’homme à l’esprit du Créateur. Ne doutons pas que les idées que nous nous faisons de l’univers et de l’au-delà de l’univers, de ce que nous sommes et de ce que nous sommes appelés à être, ainsi que des enseignements même de la foi, sont grossières et fades car « nous n’enfantons que des atomes, au prix de la réalité des choses ». « L’auteur de ces merveilles les comprend. Tout autre ne le peut faire. »