De quels moyens disposons-nous pour que la vie divine envahisse notre vie ? C’est le rôle des sacrements dans la vie chrétienne qui va nous le faire toucher du doigt.
I – Pourquoi des sacrements ?
Le problème est le suivant : « l’appareil sacramentel », ensemble de gestes de rites, de signes, de démarches humaines, est-il un obstacle à cette communication de la vie divine ou est-il là pour l’opérer ? Quelle est l’utilité de cette « interface » entre l’acte unique du Christ et nous ? Le déploiement de l’année liturgique, si nous voyons bien son aspect pédagogique pour nous faire mieux connaître les actes sauveurs du Christ, a-t-il une autre efficacité que de renforcer notre foi ? Ne suffit-il pas de notre adhésion de foi et de sa conséquence : observer les commandements ?
Nous croyons que Jésus change quelque chose de notre relation à Dieu, que son sacrifice, offert une fois pour toute nous donne accès à la vie divine. Quelle place pour les gestes et les rites sacramentels ? On a reconnu l’objection protestante aux sacrements. Prenons en compte cette objection.
Pour Luther, c’est la foi qui nous fait recevoir le fruit de la Rédemption, et elle seule. Refus net de tout acte humain, autre que la foi, qui aurait une valeur aux yeux de Dieu. Le Christ seul a tout fait pour nous réconcilier avec Dieu. Cette certitude est d’abord le fruit de son expérience personnelle, quand il s’est rendu compte de l’impossibilité de sortir du péché par ses propres forces, et qu’il s’est senti libéré à la lecture de la lettre aux Romains qui met en avant le rôle de la foi. Il s’y est ajouté la peur que l’usage de ces sacrements, et de tout acte de piété extérieur, ne soient des « œuvres » qui exigeraient de Dieu son action salvatrice et viendraient minimiser le rôle unique de la foi. Prise de position violente contre certaines pratiques de son époque.
Calvin part d’une autre perspective pour écarter encore plus l’usage des sacrements. Il met en avant, et c’est un aspect positif de son enseignement, la grandeur de Dieu, sa souveraineté. Mais au lieu de s’émerveiller de ce que malgré sa grandeur Dieu vienne jusqu’à nous, il rejette tout ce qui pourrait sembler être une mainmise sur Dieu, une manière de l’obliger à nous sauver, alors que notre foi ne doit nous pousser qu’à le louer et l’honorer.
Chez l’un et l’autre penseur, et surtout dans leurs successeurs et commentateurs, il y a comme soubassement une certitude inavouée que Dieu ne peut se communiquer à ses créatures, tellement est grande la distance entre elles et lui.
On dirait qu’il y a une impossibilité, dans la théologie protestante élaborée, d’accepter que Dieu puisse mettre quelque chose de lui en l’homme de telle sorte que l’homme l’ait bien effectivement et que, cependant, le don reste au donateur. Ou, ce qui revient au même, il semble impossible, fut-ce après l’intervention de la grâce, que l’homme soit à jamais Dieu ; on dirait qu’il ne pourrait lui appartenir qu’en cessant d’être lui, qu’en s’anéantissant.
L’auteur de ce texte, le P. Louis Bouyer, parle d’expérience car de pasteur qu’il était c’est cette réflexion sur l’action de Dieu en nous, la grâce et les sacrements, qui l’a conduit à entrer dans l’Église et à être un des grands théologiens catholiques du XX° siècle. Il raconte cela dans un de ses premiers livres Du protestantisme à l’Église, paru en 1954. L’extrait cité est à la page 162. Pour les gens savants, le P. Bouyer trouve la racine de cette bifurcation dans l’enseignement philosophique du temps, le nominalisme. C’est en effet cette vision philosophique qui a fait craindre aux réformateurs que le sacrement, action voulue par le Christ mais réalisée par un homme, n’en vienne à saper par la base la souveraineté de Dieu, en l’enchaînant dans des choses de ce monde, en le soumettant à une autorité de ce monde. (p. 213). Le P. Bouyer a beau jeu de montrer que cette vision n’a pas grand chose à voir avec la conception catholique des sacrements.
Nous ne pourrons donc répondre que par une perspective différente sur les sacrements. Bien sûr, il nous faut admettre le postulat refusé ci-dessus : oui, le dessein de Dieu est tel que malgré l’immense différence entre Dieu et sa créature, il a voulu lui communiquer quelque chose de son être, de sa sainteté. Il l’a fait en plénitude dans le Christ : « par lequel il a réconcilié tous les hommes avec lui » (Éphésiens 1,20). Mais il faut compléter cette citation paulinienne par celle de l’évangile de Jean : « De sa plénitude nous avons tous reçu, grâce après grâce » (1,16). Quelle que soit l’importance de la foi dans son évangile, Jean ne ménage pas les allusions à la pratique sacramentelle de l’Église naissante : l’eau et le vin de Cana (chapitre 2), l’eau du Puits de Jacob et le dialogue avec la Samaritaine (chapitre 4), l’eau porteuse de l’Esprit (7,39), le Pain de vie (chapitre 6)…..Les autres évangélistes et saint Paul ne sont pas en reste avec le repas du Seigneur et l’institution de l’eucharistie.
Mais le vrai problème est le lien de cette pratique sacramentelle, tellement indéniable que les Réformateurs n’ont pu l’évacuer complètement, sauf à lui dénier toute efficacité, avec l’unique acte sauveur du Christ sur la Croix. Son unicité est soulignée très fort par la Lettre aux Hébreux : une fois pour toutes. La peur des Réformateurs était de laisser croire que la messe et les sacrements ajoutent quelque chose à cet unique acte du Christ. Mais le problème est justement de franchir cette distance entre cet acte unique, situé à une date précise de notre histoire, et nous. L’insistance sur la foi se situe là : par la foi, je me fais contemporain de l’acte sauveur. Mais qui ne voit que cela nous enferme dans une attitude purement psychologique, qui risque de passer à côté de la réalité objective de Dieu qui veut changer mon cœur et ma vie.
La réponse vient par la notion de mémorial. Lorsque Jésus prononce la phrase : « Faites ceci en mémoire de moi » nous devons traduire non pas en souvenir de moi, mais comme mon mémorial. Cette attitude est fondamentale dans l’AT. Le repas pascal, s’il est rappel de la sortie d’Égypte, est l’actualisation de l’action de Dieu. Il est riche des trois dimensions de l’expérience temporelle. Il y a le souvenir de l’acte passé de Dieu : la sortie d’Égypte. Mais ce que Dieu a fait n’est pas enfoui dans un passé lointain et inefficace : Dieu est toujours à l’œuvre pour son peuple. Cela a donné le dialogue au cours du repas pascal, où le père de famille répond au fils qui doit l’interroger : « Aujourd’hui, Dieu nous a délivré de la servitude d’Égypte. » De plus, puisque les actions de Dieu ne sont pas épuisées, le croyant espère la pleine réalisation du plan bienveillant de Dieu, dans un futur qui est son secret. Qui n’a reconnu dans ces trois dimensions du temps les trois phrases de l’acclamation après la consécration ? Le sacrement, en tant que mémorial est donc l’acte de l’Église qui se souvient de l’acte unique du Christ, par là-même le rend présent et efficace, en attendant, dans l’espérance, sa pleine réalisation dans le Royaume. Le sacrement ne tire donc son efficacité que de la volonté du Christ de se rendre présent par eux à tous les temps et à tous les lieux. Ceci évacue la crainte que l’acteur du sacrement soit un homme qui empiète sur l’action divine.
Un promoteur du renouveau liturgique, Dom Lambert Beauduin disait à peu près : La croix mérite tout et n’applique rien, la messe ne mérite rien et applique tout.
Nous pouvons lier cela à la phrase de la première lettre de Jean :
Ils sont trois à témoigner : l’Esprit, l’eau et le sang, et ces trois tendent au même but (5,7-8)
Traduisons : la vie baptismale, la vie eucharistique, la vie dans l’Esprit attestent de la vie dans le Christ.
Nous nous éloignons donc d’une vision purement psychologique de la vie sacramentelle, de l’année liturgique ou de la messe, qui n’auraient pour but que de nous permettre de mieux être remués par ce que le Christ a fait pour nous. C’est le sens des « aujourd’hui » que la liturgie emploie à chaque fête importante. L’objectivité sacramentelle nous rend contemporains de l’action du Christ pour nous en faire profiter. On peut ajouter que la sanctification du temps par le cycle liturgique, prend en compte notre expérience temporelle. De plus, elle nous fait toucher du doigt, et profiter, de la patience de Dieu. Il s’insère dans notre temps, il accepte notre rythme pour nous changer profondément.
II – Les sacrements ou l’Église sacrement ?
Pour mieux comprendre la place essentielle des sacrements dans la vie chrétienne, il est souhaitable de réaliser que c’est l’Église dans son ensemble qui est un sacrement. En effet, son caractère visible, son institution par le Christ, lui donne toutes les caractéristiques de ce que nous nommons des sacrements : des réalités visibles qui nous donnent la réalité invisible de l’action rédemptrice du Christ. Dépositaire de cette action, c’est dans son ensemble de paroles et de rites qu’elle opère cette communication.
Nous sommes victimes dans notre vision étroite des sacrements, 7 gestes strictement efficaces, de la recherche du minimum de validité pour un sacrement. Un professeur de théologie, le P. Guy de Broglie, expliquait que pour savoir ce que c’est qu’un lion il fallait d’abord étudier un lion en bon état, avec sa crinière, sa queue et ses griffes avant de savoir si en lui coupant successivement sa queue, sa crinière et ses griffes on aurait encore un lion ! On est victime du même défaut dans la vie sacramentaire. On a cherché, à juste titre, quel était le minimum de gestes et de paroles qui étaient indispensables pour que les sacrements soient valides. À ce niveau-là, c’est légitime. Mais on en est venu à ne célébrer les sacrements qu’avec ce minimum, en perdant toute l’ampleur dont ils étaient revêtus et qui aidaient beaucoup à leur compréhension. Les catéchèses mystagogiques dont nous parlerons plus loin ne disent alors plus rien à personne et deviennent même incompréhensibles.
Une image permet de comprendre le rapport de la sacramentalité de l’Église avec les 7 sacrements. L’Église est comme une fourchette. C’est l’ensemble de sa vie, enseignements et gestes, qui est le canal voulu par le Christ pour nous communiquer sa vie. Mais cette fourchette a des pointes. Ce sont les 7 sacrements. Dans ces pointes, se concentre l’action divine, à l’état brut pourrait-on dire. Dans ces gestes, que l’Église a mis pas mal de siècles à sélectionner, Dieu s’engage totalement, indépendamment de celui qui pose ce geste, du moment qu’il veut faire ce que veut l’Église, et même parfois indépendamment du sujet qui n’en verra les bienfaits que plus tard. Les théologiens parleront de l’action ex opere operato des sacrements. Par exemple, le baptême des petits enfants : ils reçoivent bien l’Esprit mais ils n’en percevront les fruits d’adoption filiale et d’insertion dans la communautés des chrétiens que plus tard.
La lecture des Pères de l’Église nous met dans un contexte plus riche. Ils vivaient une expérience sacramentelle possédant un grand déploiement et ils en exploitaient le symbolisme. L’exemple du baptême est frappant. Il s’agissait du baptême des adultes, non qu’on ne baptisât pas les petits enfants, mais nous n’en avons que peu de traces. Tout d’abord, ils étaient préparés par tout un carême d’instructions sur la foi et d’efforts pour affiner leur conversion au Christ, accompagnés de gestes comme celui de l’Effata, dont saint Ambroise va nous parler. Cela concernait toute la communauté et durait tout le carême. Actuellement, les lectures dominicales de l’année A en portent la trace. Le baptême lui-même était célébré, solennellement, et collectivement, dans la sainte nuit de la Résurrection, pour rappeler que celui-ci est le moment où ce grand mystère nous atteint. Les lieux eux-mêmes étaient significatifs : une église spéciale, le baptistère, souvent octogonal pour rappeler la vie céleste (7 est la perfection humaine, 8, le chiffre divin : 8 béatitudes, le dimanche 1° et 8° jour….) La cuve baptismale était orientée. Le catéchumène était positionné à l’occident, direction du soleil couchant et de la nuit, symbole de la nuit du péché que le baptisé doit quitter. Il renonçait à Satan, puis répondait aux trois interrogations baptismales, celles qui ont été conglomérées dans le Je crois en Dieu. Beaucoup de baptistères comportaient symboliquement 3 marches pour atteindre l’eau, en signe des trois jours de Jésus au tombeau. Il descendait alors dans l’eau pour y être plongé (sens du verbe baptiser en grec) (À vrai dire, il semble qu’il restait dans l’eau jusqu’à mi-corps), et on versait sur lui trois fois l’eau préalablement bénite, en invoquant chacune des trois personnes divines. Il remontait alors de l’autre côté, en direction de l’orient, direction du soleil levant (Luc 1,78) et du retour du Christ (Matthieu 24,27), pour recevoir de l’acolyte, ou de la préposée féminine, le vêtement blanc de la vie divine nouvelle qui l’habitait alors («Vous tous qui avez été baptisés, vous avez revêtu le Christ » Galates 3,27). Il recevait aussi de l’Évêque, la chrismation, onction avec le Saint-Chrême, signe d’appartenance au Christ et de son imprégnation de l’Esprit. Il gardait cette robe blanche toute la semaine et ne la déposait que le dimanche suivant, qui portait à cause de cela dans l’ancienne liturgie le nom de dimanche in albis (sous-entendu in albis deponendis, le jour où l’on dépose l’habit blanc).
Voici, de saint Ambroise, des extraits du Traité sur les Mystères , écrit vers 380. Nous n’avons pu mettre toutes les allusions bibliques qui jaillissent à chaque pas de la célébration baptismale, pour ne retenir que le déroulement et un minimum de symbolisme.
Ouvre-toi, Ouvrez donc vos oreilles et humez le bienfaisant parfum de la vie éternelle qui vous a été insufflé avec le don des sacrements. C’est ce que nous vous avions déjà fait comprendre en vous disant, lors de la cérémonie de l’apertio : « Effata », c’est-à-dire ouvre-toi, pour que chacun d’entre vous, sur le point d’accéder à la grâce, sache sur quel sujet il serait interrogé et se souvienne alors de ce qu’il devrait répondre. (§ 3)
Suit un § sur la guérison du sourd-muet
Après ces rites, ô chrétien, le Saint des saints t’a été dévoilé, tu es entré dans le sanctuaire de la régénération. Souviens-toi des questions qui t’ont été posées, rappelle-toi ce que tu y as répondu. Tu as renoncé au diable et à ses œuvres, au monde, à ses plaisir et à ses excès. Ta parole est conservée non dans la tombe des morts, mais dans le registre des vivants. (§ 5)
Là tu as vu un lévite, un prêtre, un grand prêtre. Ne prête pas attention à l’aspect corporel, mais à la grâce de leurs ministères (§ 6)…..
Une fois entré dans le sanctuaire, afin de reconnaître ton adversaire à qui publiquement tu as décidé de renoncer, tu t’es tourné vers la lumière de l’Orient, car celui qui a renoncé au diable se tourne vers le Christ et le regarde fixement. (§ 7 )
Qu’as-tu vu alors ? De l’eau, certes, mais autres choses encore : les lévites accomplissant leur service, un grand prêtre posant des questions et consacrant. (§ 8)
Suivent alors 20 § sur les figures du baptême : l’eau primordiale, le passage de la Mer rouge, la guérison de Naaman le syrien, du paralytique de Bethesda. Et un court § sur le baptême du Christ.
Tu es donc descendu dans la piscine ; souviens-toi de ce que tu as répondu : que tu croyais au Père, au Fils, à l’Esprit Saint (§ 28)….
Il n’est pas fait mention, tellement s’était évident, de l’eau versée ou dans laquelle il était plongé
.
Après cela tu es remonté vers le prêtre…(onction) car nous sommes oints de la grâce sacerdotale pour devenir royaume de Dieu et collège de prêtres. (§ 30)….
Ensuite tu as reçu des vêtements blancs, preuve que tu avais dépouillé la lourde tunique du péché et que tu avais revêtu les chastes voiles de l’innocence. (§ 34)
Ainsi donc, remémore-toi le signe spirituel qui t’a marqué : « esprit de sagesse et d’intelligence, de conseil et de force, de science et de piété, de sainte crainte » et garde bien ce que tu as reçu. Dieu le Père t’a marqué d’un signe, le Seigneur Jésus Christ a confirmé cette appartenance et a donné à ton cœur les arrhes de l’Esprit ainsi que tu l’as appris par les lecture de l’Apôtre. ( § 42)
Bien d’autres auteurs ont prêché et écrit sur ce même sujet. Tous veulent montrer que les rites, les gestes de la liturgie, veulent nous faire suivre au plus près le Christ, spécialement dans sa mort et sa résurrection.
III – Organigramme des sacrements
La liste des sacrements a été longtemps flottante, jusqu’à ce qu’on affirme ces « pointes » où le Christ s’engage totalement. Ils ont été fixés à 7 à la fin du 12° siècle et réaffirmés comme tels, face aux négations des protestants, par le concile de Trente.
Dans ce domaine très connu, plusieurs pistes peuvent être suivies pour en montrer l’arborescence.
Saint Thomas d’Aquin prend l’analogie de la vie humaine : naissance, croissance, maladie, états.
On distingue traditionnellement les trois sacrements de l’initiation : baptême, confirmation et eucharistie (dans cet ordre, car les chrétiens d’Orient nous reprochent vivement donner la confirmation après l’eucharistie), les sacrements de guérison : réconciliation et onction des malades ; les sacrements d’état de vie ou de mission : mariage et ordre.
Quelle que soit la classification adoptée, il faut voir que ces sacrements ont pour but de nous fournir la grâce dont nous avons besoin dans toutes les circonstances de notre vie.
IV – Du bon usage des sacrements
* Prendre une conscience renouvelée de la réalité étonnante des sacrements. Avec des réalités humbles et quotidiennes le Dieu Très-Haut nous rejoint. Qui aurait oser penser que par du pain, du vin, de l’eau, de l’huile, le Dieu que ni le ciel ni la terre ne peuvent contenir, le Verbe éternel issu du Père, se communique à nous ?
* Par ces réalités toutes simples, Dieu prend en compte notre réalité corporelle. Certes, Dieu est esprit, mais nous, nous avons un corps, nous sommes un corps. Si la Révélation chrétienne fait appel à notre intelligence par la profondeur de son enseignement, elle ne néglige pas de nous atteindre par les multiples aspects de notre existence corporelle. Un reste de platonisme (le corps est une prison dont il faut s’évader), joint à une intellectualisation du mystère de notre salut (il faut sauver notre âme) nous a peut-être fait mépriser cet accès simple et profond à la réalité divine. Notre créateur sait mieux que nous ce dont nous avons besoin et il y a pourvu.
* L’usage des sacrements doit rester humain, c’est-à-dire entrer dans le cadre de nos actions libres et raisonnées. L’humilité des moyens voulus par le Christ ne doit pas inhiber notre liberté. Ils nous sont proposés comme des moyens, indispensables, certes, mais dont nous devons user avec discernement. Cela inclut le respect des règles que l’Église a fixées pour la réception fructueuse de ces sacrements, mais cela inclut aussi notre volonté de se laisser modeler par le rythme qu’il nous propose, par exemple dans le cadre de l’année liturgique. Plus profondément, nous devons admettre que sous l’immense profondeur du bienfait des sacrements se cache un immense respect de notre lente transformation.
Dans le sacrement, Dieu ne nous donne pas un bien. Le penser ferait pencher l’usage des sacrements dans le sens de la superstition : obtenir quelque chose de Dieu. Cela n’est pas une condamnation de la prière de demande mais de l’usage perverti des sacrements. Dans certains régions peu évangélisées, on venait demander aux prêtres des messes « contre » untel. Variante, on en faisait dire trois, géographiquement situées aux pointes d’un triangle au centre duquel se trouvait celui auquel on voulait nuire ! Une variante moderne pourrait être celle des couples qui battent de l’aile et qui demandent le mariage à l’Église pour le consolider. Ça marche rarement !
Dans le sacrement, Dieu se donne lui-même, en donnant son Esprit. Il y a donc une purification d’intention à vérifier dans notre usage des sacrements. Nous ne pouvons espérer de Dieu que Dieu lui-même. Surtout si nous avons bien intériorisé cette certitude que nous sommes faits pour le rencontrer.
Mais il faut aller encore plus loin. Si Dieu nous donne son Esprit dans les sacrements, c’est pour mener à son terme le but de l’incarnation : nous rendre semblables à lui.
Mes bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que lors de cette manifestation nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est. ( 1° lettre de Jean 3,5)
C’est cette phrase que saint Irénée commente par cette phrase qui est le fil rouge de nos réflexions de cette année : Dieu s’est fait homme pour que l’homme soit fait Dieu. Parmi les nombreuses affirmations de ce type qui jalonnent l’œuvre d’Irénée, on peut retenir celle-ci :
( à propos de la phrase de l’évangile de Jean qui cite le psaume 81 : J’ai dit, vous êtes des dieux) Jésus adresse ces paroles à ceux qui, refusant de recevoir le don de la filiation adoptive, méprisent cette naissance sans tache que fut l’incarnation du Verbe de Dieu, privent l’homme de son ascension vers Dieu et ne témoignent qu’ingratitude au Verbe de Dieu qui s’est incarné pour eux. Car telle est la raison pour laquelle le Verbe s’est fait homme, et le Fils de Dieu, Fils de l’homme : c’est pour que l’homme, en se mélangeant au Verbe et en en recevant ainsi la filiation adoptive, devienne fils de Dieu. (Contre les hérésies 3,19,1)
* Mais cette citation de saint Jean nous ouvre un autre perspective : notre divinisation prend du temps. Si par sa mort et sa résurrection Jésus a tout fait pour nous rendre fils de Dieu, si le baptême effectue bien en nous cette filiation, les effets ne se font jour qu’au cours d’un long cheminement qui est celui de toute notre vie chrétienne. Celle-ci reste un étonnant mélange d’initiatives du Christ, qui sans cesse se présente sur notre chemin (par des signes, et pas seulement les signes sacramentels), et des actions de notre part pour correspondre à ces initiatives. De plus, il ne s’achèvera que dans le face à face éternel. Le Christ nous propose donc de mouler cette lente transformation par l’usage régulier des sacrements, concrètement, ceux de l’eucharistie et de la réconciliation. On peut dire que par ceux-ci, le Christ prend en compte notre existence temporelle. Qui dit temporalité dit liberté. Par la proposition sacramentelle, dont l’usage est remis à notre liberté, à notre initiative, le Christ nous invite à nous laisser modeler par lui, grâce à son Esprit. Les mystiques diront qu’il faut que le Verbe se forme en nous (voir 9° communication).
* Temporalité et liberté se retrouveront dans le souci de se préparer à la réception d’un sacrement. Même s’il faut affirmer haut et fort l’efficacité des sacrements en toutes circonstances, même si le ministre est défaillant, même si le récipiendaire n’est pas très réceptif, on doit quand même admettre des degrés dans le fruit recueilli dans la réception du sacrement. Les sages conseils (avant-pendant-après) restent de mise pour que la communion ou la confession portent du fruit.
* L’un des aspects de cette réception fructueuse résidera dans le lien avec la prière et spécialement la prière liturgique. Il y a là un élément de logique élémentaire : si le sacrement est une rencontre du Christ, comment peut-il se passer de cette attention du cœur qui est indispensable à toute rencontre.
Il paraît utile de bien situer les sacrements dans l’ensemble de la vie liturgique de l’Église. Nous avons vu comment le baptême était vécu par les communautés liturgiques des premiers siècles. Les communautés qui ont la joie d’accompagner des catéchumènes vers le baptême, en ont redécouvert le bienfait. Si tout le monde connaît le déploiement qui accompagne les ordinations, et plus modestement les mariages, deux sacrements souffrent de cet éloignement du cadre liturgique.
Pour l’Onction des malades, son but même en fait un sacrement qui est éloigné du cycle liturgique. Certes, on a proposé des célébrations communautaires de ce sacrement, mais elles ont le grave inconvénient de n’être souvent proposées qu’à des gens peu atteints par la maladie. On connaît la boutade : « M. le Curé, je n’ai pas pu venir à la célébration du sacrement de l’Onction des malades parce que j’étais malade ! ». L’aspect liturgique devra se loger dans la célébration, où qu’elle se passe. D’où l’inventivité qui doit être celle du ministre pour célébrer ce sacrement à domicile ou dans la chambre d’hôpital : décor, lumière, fleurs, présence des proches, et surtout lectures adaptées.
Pour le sacrement de réconciliation, il faut faire un peu d’histoire. La première forme en a été la réconciliation des pénitents, au matin du Jeudi saint, après le carême de pénitence qui leur était infligé. Cette splendide cérémonie, qui est restée au Pontifical (Livre des cérémonies réservées à l’Évêque) jusqu’à une date récente, est tombée en désuétude avec la généralisation de la confession auriculaire inventée par les moines irlandais. Il faut reconnaître que celle-ci se prête peu à un déploiement liturgique. Les célébrations communautaires, se rassembler pour se reconnaître pécheurs, en particulier à la lumière de la Parole de Dieu, et tous ensemble, parce que notre péché blesse la communauté, avaient un but louable et bénéfique, mais elles ont été polluées par la pratique, répréhensible, de l’absolution collective. Les recherches actuelles, même après les indication claires du Rituel de pénitence de 1974, n’ont pas encore porté beaucoup de fruit.
Conclusion
L’auteur de L’Imitation de Jésus-Christ dit aux premières ligne de son livre : « À quoi vous servent de hautes discussions sur la Trinité, si vous venez à manquer d’humilité et à déplaire ainsi à la Trinité ? » Loin de moi l’idée de rejeter cet ouvrage qui a nourri la piété de tant de fidèles, surtout aux époques où on n’avait pas accès à la Bible, mais je me vois obligé de prendre le contre-pied. Pour bien user des sacrements, il faut en connaître le sens et la richesse. C’est à cela que voulait concourir cette modeste étude. Mais le but demeure : ne pas négliger ses splendides cadeaux que le Christ nous a laissés pour nous unir à lui et que l’Église nous présente comme un trésor inépuisable. En bref, participez à l’eucharistie avec foi et respect, sans oublier l’adoration qui prolonge la communion, confessez-vous, sans oublier de tenir les résolutions que vous y aurez prises, et l’Esprit fera grandir en vous la vie divine reçue au baptême.
Pour aller plus loin :
- EXHORTATION APOSTOLIQUE POST-SYNODALE « AFRICAE MUNUS » DU PAPE BENOÎT XVI
- 2 - Le sacrement de l'ordre
- Le rite et l’homme, Religion naturelle et liturgie chrétienne
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- La paternité-maternité spirituelle en vie monastique est-elle menacée en Occident ?