Depuis que les événements de Tunisie ont éclaté avec la force que l’on connaît, l’idée s’est faite, puissamment appuyée par la révolution égyptienne, d’une sorte de printemps des peuples arabes. Cette expression de « printemps des peuples » date, on le sait, de 1848 avec la révolte en chaîne qui se produisit en Europe un peu partout, en Italie, en France, en Autriche, en Hongrie, en Pologne, en Allemagne. C’est l’affirmation des nationalités qui veulent s’affranchir de la tutelle des empires ou tentent de créer des nations à partir de la dispersion héritée de l’histoire. Rétrospectivement, on peut éprouver de la sympathie pour ce printemps, du moins pour certains de ces aspects. Je pense notamment à la Pologne qui est pour nous une nation sœur en raison de son identité catholique. Pourtant notre jugement ne saurait être unilatéral. On s’interroge encore aujourd’hui sur l’éclatement de l’empire austro-hongrois à la suite de la première Guerre Mondiale, éclatement qui constituait la conclusion du printemps des peuples. Certes, les avis sont très partagés, mais la fin de la monarchie des Habsbourg ne peut être séparée de l’avènement des totalitarismes national-socialiste et soviétique et qui se sont nourris de l’éclatement de l’Europe centrale.
Il serait téméraire d’établir trop d’analogies entre le printemps des peuples du 19e siècle et le supposé printemps actuel des peuples arabes, même s’il y a des ressemblances. Je pense notamment à une sorte d’enthousiasme communicatif qui enflammait l’Europe d’hier et enflamme aujourd’hui les médias qui emploient des termes hyperboliques pour décrire les événements du Caire et d’ailleurs. Je songe à Laurent Joffrin dans Libération d’hier qui écrivait: « L’heure est à la célébration de l’héroïsme populaire, qui fait trembler les tyrans et basculer l’histoire. Une grande lumière vient soudain d’Orient. Nous assistons à un lever de soleil. » C’est beau et épique comme du Victor Hugo. Mais je me souviens aussi d’André Malraux, à propos de l’Espagne d’avant-guerre, parlant d’illusion lyrique. On peut partager l’espoir des peuples malheureux mais on doit aussi s’interroger sur les solutions politiques qui surgiront de ce printemps précoce. Rien n’est écrit encore. Entre le printemps des peuples et l’illusion lyrique, l’histoire n’a pas encore tranché.