En ce début d’année, il est plutôt normal qu’on prenne un peu de distance, non seulement pour faire le bilan de 2010, mais pour s’interroger sur la marche du monde. Où allons-nous ? Où nous mènera la crise économique et financière, dont on sent bien qu’elle n’a pas épuisé tous ses effets et ses développements ? L’euro tiendra t-il le coup ? Après la Grèce et l’Irlande, l’Espagne et le Portugal résisteront-ils à la tourmente ? Et après, à qui le tour ? Les économistes ne sont pas seuls en cause, ni même les politiques en situation de responsabilité. Il y a ceux dont le métier est de réfléchir aux évolutions à long terme, au carrefour de l’histoire, de la philosophie politique et même d’une réflexion encore plus poussée sur l’aventure humaine. Je pense ici au trio d’excellence que le Nouvel Observateur a eu la très bonne idée de réunir, ce qui n’est pas commun, pour qu’il débatte de l’avenir de la démocratie. Programme d’autant plus vaste qu’il ne s’agit pas seulement d’une question institutionnelle mais de notre situation fondamentale dans le temps et dans l’espace.
Trio d’excellence, oh oui ! Puisqu’il s’agit de Pierre Rosanvallon, Marcel Gauchet et Pierre Manent. Leurs livres me poursuivent depuis des décennies, et ils continuent à publier des œuvres majeures, celles qui nous permettent de comprendre un peu mieux notre destin. Non pas qu’ils nous donnent le dernier mot, celui qui confère la certitude absolue sur ce que demain sera. Au contraire, parfois ils contribuent à nous enfoncer dans la perplexité. Les choses ne sont pas simples du tout. Ainsi, en ce qui concerne l’Europe et les nations qui la composent, l’Europe et l’Amérique, l’Amérique et la Chine. Sur l’Europe, ils ont presque un diagnostic commun, pas très euphorisant. A l’heure de la mondialisation et des puissances émergentes, ne serions-nous pas devenus des absents du devenir ? Pierre Manent s’inquiète d’une Europe vieillissante, Marcel Gauchet se demande si les Etats-Unis ne sont pas déstabilisés dans leur leadership mondial. Et si Europe et Etats-Unis ne sont plus en mesure de dominer dans les grandes orientations internationales, le trio serait plutôt d’accord pour convenir qu’il y aura « d’étranges évènements ». Alors ? Les vœux de 2011 seraient-ils si amers ? Pas tant que cela si l’on admet que l’heure de l’inquiétude extrême est aussi celle du réveil !
Chronique lue le 5 janvier sur Radio Notre-Dame
