"Le Monde" en danger - France Catholique
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Le martyre des carmélites
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« Le Monde » en danger

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Le Monde est en danger. Je veux parler du journal, du quotidien le monde, fondé à la Libération à l’initiative du général de Gaulle et sous la dirrection de ce personnage singulier qui était Hubert Beuve-Mery. Bien sûr, il ne s’agissait pas d’une complète création puisque le nouveau quotidien prenait la suite d’un grand journal d’avant-guerre, Le Temps qui s’était imposé lui aussi comme un organe de référence par son sérieux et sa tenue. N’empêche que Le Monde s’affirmait dès le départ comme une entreprise indépendante déliée en particulier de toute attache avec le capital, ou des actionnaires extérieurs à sa direction et à sa rédaction. C’était d’ailleurs la rédaction qui était maîtresse de son destin grâce à une société des rédacteurs créés en 1951. Celle-ci possédait la propriété et donc la gestion du quotidien. C’est ce statut original qui a déjà évolué et qui va changer radicalement très prochainement. Puisque, pour dire les choses un peu crument, Le Monde est à vendre. S’il n’est pas racheté dans les semaines qui viennnent, il sera, dès le mois prochain en cessation de paiement, incapable de verser leur traitement à ses journalistes et à ses salariés. C’est une date dans l’histoire de la presse française. Le Monde perd son indépendance financière qui était la garantie de son indépendance tout court.

Bien sûr, on peut imaginer que dans les négociations en cours, avec des groupes candidats au rachat, la question de la ligne du journal et de l’autonomie de ses rédacteurs est fermement envisagée. De ce point de vue, certaines solutions sont sans doute préférables à d’autres, si elles évitent une appropriation trop flagrante de la part de candidats très éloignés de la philosophie d’une entreprise de presse. Mais je n’entrerai pas aujourd’hui dans les différentes hypothèses de rachat qui se présentent. Ce qui m’intéresse en premier chef, c’est le destin de la presse avec celui de la liberté de pensée, en référence à certaines valeurs.

Disons-le: avec la fin du Monde d’Hubert Meuve-Méry, c’est un grand rêve qui s’écroule. Un rêve qui fut quand même incarné pendant plusieurs décennies par une institution que l’on pouvait contester, éventuellement détester mais, qui n’en assumait pas moins la tâche que lui avait dévolue le général de Gaulle. La France avait besoin d’un journal de référence, ne serait-ce que pour son rayonnement à l’étranger. Né d’une initiative du pouvoir, Le Monde pouvait afficher à son égard la même autonomie qu’il avait à l’égard des puissances d’argent. C’est fini, maintenant. Il rentre dans le lot commun, la condition commune qui s’est d’ailleurs aggravée ces dernières années. La presse n’est quasiment plus une activité économique rentable en elle-même. Elle a besoin de l’apport de capitaux étrangers et se trouve donc aux mains de capitalistes qui certes, sont intéressés par les journaux, mais peut-être à cause du pouvoir qu’il confère. Nous ne sommes plus au dix-neuvième siècle, et même au vingtième siècle où la presse quotidienne a connu son âge d’or. Les conditions financières et techniques ont radicalement changé. On s’interroge même sur la viabilité des journaux sur papiers. Mais c’est nous tous qui sommes puissamment interrogés sur l’avenir de la liberté d’expression dans le respect des convictions supérieures aux valeurs marchandes.

G.L.

Chronique lue sur Radio Notre-Dame le 15 juin 2010