Lors de son voyage à Chypre, le Pape remettra ce dimanche aux Patriarches et évêques du Moyen-Orient le document sur lequel ils auront à travailler (Instrumentum laboris) en vue du prochain Synode des évêques pour le Moyen-Orient qui se tiendra à Rome du 20 au 24 octobre prochains.
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Synode des évêques pour le Moyen-Orient
Rome, 10-24 octobre 2010
Libres réflexions
sur le Moyen-Orient et ses Eglises
par Mgr Philippe BRIZARD
« A l’issue de la réunion des Patriarches à Castelgandolfo en septembre 2009, le Pape a annoncé la tenue d’une assemblée synodale avec les évêques du Moyen Orient. L’idée était dans l’air. On peut dire que, d’une certaine manière, elle vient d’Irak. Devant les difficultés que rencontrent les Eglises en Irak, Mgr Louis Sako, Evêque de Kirkuk, avait lancé l’idée d’un rassemblement de toutes les Eglises en communion avec Rome pour dégager un consensus. Mais la décision vient bien du Pape. Le soutien des Eglises de cette région si sensible en proie à tant de difficultés est une nécessité. Pareillement une parole claire devant des conflits qui s’éternisent devient nécessaire. Le Pape est dans son rôle quand il confirme ces chrétiens qui souffrent dans la foi et renforce la communion entre eux et avec toute l’Eglise.
La décision a donc été prise de tenir ce synode mais le temps pour le préparer a été court, tout juste un an. Il faut se rendre compte de ce qu’est un tel synode et de sa manière de travailler. A qui s’adresse-t-il ? Quels sont les enjeux et les défis ? Quel résultat en attendre ?
Qu’est-ce qu’un synode ?
Le mot synode appartient au langage chrétien. Au pied de la lettre, il veut dire chemin avec, chemin ensemble. L’idée est belle. La vie chrétienne, aussi bien la vie croyante que la vie ecclésiale est présentée comme un chemin que l’on parcourt ensemble. L’Eglise est en route vers le Royaume et elle est chargée sur cette route d’annoncer à toutes les nations la Bonne Nouvelle du Salut.
Grâce aux travaux de théologiens, notamment pour ce qui concerne la France les cardinaux de Lubac, s.j. et Congar, o.p., le Second Concile du Vatican a parlé de l’Eglise en des termes assez nouveaux puisés dans la Tradition et l’expérience des Eglises orientales. L’Eglise est communion d’Eglises. Une Eglise existe là où il y a un évêque et un peuple. Sans dire des choses théologiques compliquées, on comprend aussitôt que la communion entre les évêques est une nécessité appelant à la tenue d’instances ou de réunions qui, en Orient, sont appelées synodes. Chaque Eglise orientale est gouvernée par le Saint Synode présidé par le Patriarche. En passant, cette approche de l’Eglise comme communion change totalement le rapport entre Eglises en communion avec Rome et les Eglises dites orthodoxes. On constate des degrés de communion. La solidité de cette communion tient à l’existence d’une primauté et à son mode d’exercice. Personne ne conteste la primauté du Siège romain ; c’est le contenu de cette primauté qui fait l’objet de discussions et d’études, notamment par la Commission internationale catholiques-orthodoxes.
Si, en Orient, chaque Eglise est gouvernée en Synode, présidé par le Patriarche, qui, avec des nuances en ce qui concerne les Eglises orientales catholiques, élit les évêques et le patriarche et prend toutes les décisions nécessaires à la vie et à la mission de l’Eglise, il n’en va pas de même en Occident dans l’Eglise latine. La structure et l’exercice du pouvoir, qui s’expliquent par l’histoire, sont bien différents. Le pape ne gouverne pas en Synode. Si un concile est réuni, ce qui suppose déjà l’accord du pape, ce concile ne peut pas prendre de décision indépendamment du pape. Tout cela pour dire qu’il y a une différence substantielle en un synode tel que l’entendent les Eglises orientales et le synode qui tient périodiquement son assemblée à Rome. Ce dernier, issu de Vatican II, est un pas vers plus de synodalité dans l’Eglise. Il apporte un éclairage sur une question posée par le pape qui reste libre de sa décision. Il est arrivé que le pape ratifie les conclusions de l’Assemblée synodale. De toute façon, ces assemblées synodales donnent lieu à une exhortation apostolique écrite librement par le pape à partir des conclusions.
Donc, cette assemblée synodale n’a pas le sens d’un synode qui serait célébré par une Eglise patriarcale en Orient.
Comment travaille une assemblée synodale ?
La future assemblée est préparée en une forme de dialogue entre les parties concernées en Orient et le Saint Siège (spécialement le Secrétariat du Synode). Ainsi, selon l’habitude, des lineamenta, sorte de « draft » sur le thème retenu, ont été élaborés à Rome (mais on peut facilement deviner que des experts orientaux y ont apporté leur contribution) et ont été envoyés avant Noël 2009 à toutes les Eglises orientales en communion avec Rome. Leur diffusion a été suffisamment large pour que toute personne puisse se les procurer. Il est probable que les Eglises orthodoxes en aient eu connaissance d’une manière plus officielle que par l’internet.
Ces lineamenta ont été diffusés jusque dans les paroisses et les communautés religieuses. Mes voyages dans les pays concernés m’ont appris que la réception et la réponse à ces lineamenta sont variables d’une Eglise à l’autre. Il faut dire, et c’est un des buts de ce synode, que ce genre de questionnement frappe de plein fouet le particularisme dans lequel s’engoncent la plupart des Eglises orientales par réaction et par crainte de dissolution de leur identité. Je me suis fait même dire par un évêque qu’il n’avait pas besoin d’aller à Rome pour savoir ce qu’il avait à faire ici (au Moyen-Orient). Ce travail sur le terrain a certainement permis aux chrétiens de réfléchir sur leur présence et sur leur rôle dans leur pays. Des réunions inter ecclésiales se sont tenues avec les évêques d’une même ville. De toute manière, le retour des travaux sur les lineamenta devait se faire pour Pâques 2010 afin de permettre au Secrétariat d’élaborer l’Instrumentum laboris, l’instrument de travail. Ce document sera remis par le Pape aux évêques à l’occasion d’une réunion à Chypre le 6 juin 2010. Il fixera les chapitres qui seront traités en assemblée à Rome pendant le Synode.
A qui s’adresse ce synode ?
Toutes les Eglises du Moyen-Orient sont concernées par ce synode à Rome. En principe, tous les évêques de ces Eglises, que l’on appelle Pères synodaux, sont invités.
Ces Eglises sont les suivantes :
Dans la tradition copte : l’Eglise copte catholique
Dans la tradition araméenne occidentale : l’Eglise syrienne catholique
Dans la tradition araméenne orientale : l’Eglise chaldéenne
Dans la tradition grecque : l’Eglise grecque melchite catholique
Dans la tradition latine : le Patriarcat latin de Jérusalem et autres circonscriptions latines
Dans la tradition arménienne : l’Eglise arménienne catholique.
Les Vicariats apostoliques latins sont aussi concernés ainsi que les Ordres et Congrégations religieuses agissant au Moyen-Orient ou originaires du Moyen-Orient.
Enjeux et défis du synode
Les enjeux de ce synode sont importants. Ils le sont en raison de la place que tient la région dans le monde : elle en est le centre géopolitique avec tout ce que cela signifie : tout événement, toute initiative prise par quiconque sont aussitôt portés au niveau mondial. Se trouver sous les feux de la scène politique mondiale manifeste la gravité et la difficulté des problèmes. Les conflits, irakien et surtout israélo-palestinien, qui s’éternisent, auxquels s’ajoutent les problèmes posés par l’Iran et la poussée fondamentaliste dans les différentes familles de la religion musulmane font partie des données de base. Dans un tel contexte, quel est le rôle des chrétiens ? Il y a chez eux une sorte de nostalgie de l’époque où ils contribuèrent à la Nahda, la renaissance arabe, et une perte de confiance dans ces sociétés en ébullition. Leur poids politique a bien diminué tandis que le monde musulman continue de faire des amalgames avec les chrétiens arabes et les Occidentaux, tous considérés comme chrétiens.
Nous-mêmes, Occidentaux, devons prendre garde aux stéréotypes qu’on répète sans davantage d’esprit critique : la religion musulmane se serait imposée par la violence et le laxisme moral. A l’égard des chrétiens d’Orient, l’islam aurait toujours été persécuteur et donc les chrétiens seraient avant tout des victimes et ne seraient que cela. Il faut se méfier des concepts de dhimmitude et de minorités. Il n’y a pas qu’une seule condition minoritaire en terre d’islam.
Il y a des Etats, autoritaires, majoritairement musulmans, qui déclinent la question de leurs minorités suivant des logiques idéologiques et politiques qui leur sont propres. Ce sont les politiques de traitement des minorités qui doivent être interrogées, plus que la place assignée par la religion musulmane à ses minoritaires (Jean-Jacques Pérennès, dominicain). Le respect de l’Etat de droit par les autorités respectives serait déjà un progrès pour la sécurité des chrétiens, et de l’ensemble de la population.
Pour compléter le tableau, il convient de regarder de plus près l’apparente homogénéité du monde arabe. Ce monde est traversé par de forts courants culturels. Il est exact de dire que les chrétiens ont apporté aux Arabes l’écriture et les trésors de la civilisation grecque. Mais de quels chrétiens s’agit-il ? Surtout d’araméens, en butte avec les Byzantins pour des raisons politiques et religieuses qui se sont révélées au concile de Chalcédoine. L’arrivée des Arabes a d’une certaine manière poussé les chrétiens à repréciser leur identité en développant la tradition araméenne. Cette tradition traverse encore aujourd’hui le monde arabe et explique bien des tensions entre citoyens d’un même pays tous arabes dont les chrétiens sont en réalité de tradition religieuse araméenne, et bien des clivages entre chrétiens.
C’est dire que les enjeux du synode sont grands et complexes. Communion et témoignage. Bel objectif. Comment l’atteindre ? Il est clair que les chrétiens ne peuvent plus se positionner en ordre dispersé devant les problèmes qu’ils doivent affronter et que doivent affronter l’ensemble des populations dans lesquelles ils sont immergés. On a dit qu’ils sont parties prenantes de la civilisation arabe à laquelle ils n’ont pas peu contribué. Mais en même temps, le Moyen-Orient est multiculturel et multi-religieux. Il n’y aura pas de progrès possible sans la reconnaissance de la liberté non seulement de culte mais aussi de religion et sans l’instauration dans chaque Etat d’une citoyenneté unique.
La communion ne peut s’entendre sans ouverture vers les autres Eglises qui ne sont pas encore en pleine communion avec Rome. Il faut noter qu’il n’y a plus de désaccord sur la foi au Christ. Les accords christologiques passés avec la quasi-totalité des Eglises ont mis fin aux désaccords non résolus depuis les premiers conciles. Il n’y a pas si longtemps, les chrétiens des différentes Eglises se traitaient réciproquement d’hérétiques. Cela n’a plus lieu d’être maintenant. L’œcuménisme en Orient va de pair avec le dialogue interreligieux. A noter que, déjà, les chrétiens jouent un rôle de passeurs entre les différentes obédiences musulmanes car ils vivent au contact de tous, ce qui n’est pas le cas entre sunnites et chiites par exemple. Peut-on espérer une déclaration du synode à l’adresse de l’islam ou du judaïsme ? Serait-elle élaborée avec le concours de représentants qualifiés de ces religions ? Rien n’est moins sûr.
La paix est appelée par tous. Les chrétiens ne peuvent que la désirer et agir pour elle, tout en donnant au mot un sens plus large du fait de la foi au Christ, prince de la Paix. Le paradoxe, c’est que là où le Christ est né, la guerre et les conflits sont permanents. Toujours est-il que les chrétiens, à travers notamment leurs institutions d’enseignement et de santé, ouvertes à tous, créent des lieux de convivialité porteurs de valeurs communes à tous. C’est peut-être là que se trouve le plus grand enjeu. Les chrétiens ne peuvent devenir des minorités ecclésiales confessantes réclamant pour elles la liberté du culte, ce qui est parfois la tendance des politiques occidentales qui envisagent de les rassembler dans des enclaves. Ils forment l’Eglise arabe qui partage la mission de l’Eglise universelle d’annoncer la Bonne Nouvelle de Jésus Christ. Selon des moyens adéquats, il s’agit de montrer que le message chrétien est service de l’homme, de tout homme pour son développement intégral dans sa personnalité et dans la société. D’où l’importance du témoignage : dans les circonstances actuelles, la mission ne peut s’accomplir que dans le témoignage de la charité. La charité n’agresse personne, touche toute personne et donne la force de croire que, malgré la laideur et les difficultés du monde, l’amour est et sera toujours victorieux dans le cœur des hommes.
L’émigration des chrétiens orientaux ne peut être passée sous silence. Dans le passé, des événements d’une telle gravité se sont produits que des pays entiers ont perdu leurs chrétiens et que des Eglises ont été vidées de leur substance. Il suffit de penser à l’Arménie, à la Turquie, au Kurdistan. On ne peut donc pas se contenter de dire que l’émigration a toujours existé. Aujourd’hui des Eglises sont en danger. Mais si toutes souffrent, elles ne sont pas exsangues. Catéchèse et pastorale ont fait des progrès car les chrétiens ne tiendront pas s’ils ne sont pas forts dans la foi. En nombre de pays, séminaires et noviciats sont pleins. Cela dit, le synode est convoqué aussi pour endiguer l’émigration des chrétiens.
Qui dit émigration, dit diaspora. Des Eglises ont des diasporas qui comptent infiniment plus de fidèles que sur leur territoire propre. Il serait étonnant que la revendication maintes fois entendue de pouvoir resserrer les liens avec la diaspora ne soit pas réitérée, avec comme corollaire, la demande du droit de juridiction universelle pour les patriarches. Le paradoxe actuel est que les Eglises orientales catholiques ne peuvent pas établir de hiérarchie propre hors de leur territoire propre alors que les Eglises orthodoxes ne s’en privent pas. S’il n’y a pas d’avancée sur ce sujet, la disparition de certaines Eglises se trouvera, à terme, programmée.
Enfin, et ce sera la conclusion, le travail et les conclusions de ce travail synodal doivent tenir le plus grand compte des Eglises orthodoxes pour ne pas blesser leur sensibilité, pour ne pas leur donner l’occasion de remarquer les contraintes qui s’imposent aux Eglises orientales catholiques, pour faire de ce travail une avancée vers l’unité. Mais, ce qui est clair, c’est que cette assemblée synodale donnera l’occasion aux Eglises orientales de faire parler d’elles, même si toutes les Eglises orientales catholiques ne sont pas conviées à cette assemblée. Encore une fois, seules, les Eglises du Moyen-Orient sont concernées. Que l’immense Eglise latine porte à leur égard plus qu’un regard de curiosité ou une parole de compassion. Qu’elle connaisse un véritable élan de charité qui aille jusqu’à alerter les consciences occidentales sur leurs responsabilités dans la situation actuelle de ces Eglises et de tout le Moyen-Orient. »
Mgr Philippe Brizard,
Directeur général de l’Œuvre d’Orient
Le Synode : quelques repères
Les Eglises d’Orient concernées par le Synode
En principe, tous les évêques de ces Eglises, que l’on appelle Pères synodaux, sont invités. Ces Eglises sont les suivantes :
Dans la tradition copte : l’Eglise copte catholique
Dans la tradition araméenne occidentale : l’Eglise syrienne catholique
Dans la tradition araméenne orientale : l’Eglise chaldéenne
Dans la tradition grecque : l’Eglise grecque melchite catholique
Dans la tradition latine : le Patriarcat latin de Jérusalem et autres circonscriptions latines
Dans la tradition arménienne : l’Eglise arménienne catholique
Les Vicariats apostoliques latins sont aussi concernés ainsi que les Ordres et Congrégations religieuses agissant au Moyen-Orient ou originaires du Moyen-Orient.
Les pays concernés par le Synode
Turquie : 80 000 chrétiens (soit environ 0,1 % de la population) dont 10 000 catholiques arméniens, syriens et chaldéens.
Liban : 1,5 million de chrétiens (soit environ 37 % de la population) dont 1 million de catholiques principalement maronites, grec-melkites, syriens et arméniens
Israël : 150 000 chrétiens (soit plus ou moins 2 % de la population) principalement latins et grec-melkites.
Egypte : 8 à 10 millions de chrétiens (soit environ 10 % de la population) dont 225 000 coptes catholiques.
Jordanie : 350 000 chrétiens (soit environ 6 % de la population) dont 120 000 catholiques maronites, grec-melkites, chaldéens et latins.
Syrie : 850 000 chrétiens syriens, grec-melkites, maronites, chaldéens et arméniens (soit environ 4,5 % de la population).
Irak : 600 000 chrétiens (soit moins de 3 % de la population) dont 400 000 catholiques chaldéens et syriens.
Iran : 135 000 chrétiens (soit moins de 0,3 % de la population) dont 20 000 catholiques essentiellement chaldéens.
Chypre : entre 30.000 et 35.000 catholiques maronites, arméniens et latins (soit environ 4 % de la population)
Composition du Conseil pré-synodal
– S.B. le Cardinal Nasrallah Pierre Sfeir, Patriarche maronite d’Antioche, Président délégué honoraire du Synode
– S.B. le Cardinal Emmanuel III Delly, Patriarche chaldéen de Babylone, Président délégué honoraire du Synode
– Le Cardinal Leonardo Sandri, Préfet de la Congrégation pour les Eglises orientales, Président délégué du Synode
– Mgr Ignace Youssif Younan III, Patriarche syriaque d’Antioche, Président délégué du Synode
– S.B. Antonios Naguib, Patriarche copte d’Alexandrie, Rapporteur général du Synode
– Mgr Nikola Eterovic, Secrétaire général du Synode des Evêques
– Mgr Joseph Soueif, Archevêque de Chypre des maronites, Secrétaire spécial du Synode
– Le Cardinal Ivan Dias, Préfet de la Congrégation pour l’évangélisation des peuples
– Le Cardinal Walter Kasper, Président du Conseil pontifical pour l’Unité des chrétiens
– Le Cardinal Jean-Louis Tauran, Président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux
– Mgr Gregorios III Laham, Patriarche melkite d’Antioche
– Mgr Nerses Bedros XIX Tarmouni, Patriarche arménien de Cilicie
– Mgr Fouad Twal, Patriarche latin de Jérusalem
– Mgr Ramzi Garmou, Evêque chaldéen de Téhéran.
L’analyse de Jean-Marie Guénois pour sont blog du Figaro