Il y a donc une querelle à propos de l’inscription au bac littéraire 2010-2011 du troisième tome des mémoires de guerre du Général de Gaulle. Je laisserai de côté les non-dits de la pétition lancé par le SNES (Syndicat National de l’Enseignement Secondaire), pour m’étonner de l’argument principal avancé par ses promoteurs : « Nous sommes professeurs de Lettres. Avons-nous les moyens, est-ce notre métier, de discuter une source historique ? » J’avoue que les bras m’en tombent. A ce compte, il faudrait exclure de l’enseignement secondaire bien des chefs-d’œuvre de notre littérature qui posent des problèmes d’interprétation historique. On cite les mémoires du cardinal de Retz et l’œuvre monumentale de Saint-Simon. Mais l’histoire, la politique, l’engagement intellectuel sont au cœur de toute la littérature ! C’est vrai déjà des écrivains du seizième siècle : je pense à Agrippa d’Aubigné ou à Montaigne, à tous ceux du dix-septième siècle, et bien évidemment à ceux du dix-huitième. Ceux-ci sont tous engagés dans d’ardentes querelles politico-philosophiques. Les Lumières constituent un enjeu considérable au carrefour des idées, de l’anthropologie, de la religion, de la révolution.
Non franchement, je ne comprends pas la pétition du SNES, syndicat au demeurant engagé à gauche. La gauche n’a-t-elle pas été associée à de Gaulle durant l’aventure de la Résistance ? Du moins une partie appréciable d’entre elle. Et s’il y a eu rupture rapide et violente dès après la Libération et encore plus au moment du retour du général au pouvoir en 1958, je ne sache pas que l’homme du 18 juin ait jamais été rejeté par la dite gauche. A dire vrai, soixante-dix ans après le désastre de mai-juin 1940, ce moment où le général de Gaule intervient dans l’histoire est à la fois pour nous, proche et lointain. Proche pour les générations qui ont vécu les événements ou qui les ont entendu évoquer par leurs parents (ce qui est mon cas). Lointain pour les générations nées depuis les années soixante-dix qui n’ont pas connu le général de Gaule président de la République. Pour les premiers, l’homme du 18 juin demeure un personnage associé directement à leur vie, à leurs souvenirs, ne serait-ce qu’avec les images des interventions mémorables du général à la télévision. Pour les autres, c’est déjà un personnage de l’histoire, singulièrement important dans les annales de la France contemporaine.
Mais d’une façon ou d’une autre, il est impossible d’échapper à de Gaulle, à la densité du personnage, à son inscription profonde dans notre passé. C’est dire à quel point j’approuve personnellement l’introduction de ses Mémoires dans le programme du bac. Hier, je protestais contre le massacre de la littérature dans notre système scolaire. Je n’aurais pas l’idée de m’associer à une pétition qui renforce la tendance à l’amnésie nationale, au refus de l’héritage, notamment de l’héritage littéraire. Avec tout ce qu’il nous apporte de richesse humaine, d’inscription dans la réalité à l’encontre de toutes les entreprises de dissociation de la réalité et de l’humanité même, comme je l’indiquais à propos de Philippe Muray. Que la littérature et l’histoire soient associées en la personne de de Gaulle, c’est vraiment une bonne nouvelle !
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Chronique de Gérard Leclerc sur Radio Notre-Dame le 3 juin.
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