Que l’Église d’Ile de France se mobilise pour la vie ne peut nous étonner. Cela fait longtemps maintenant que les catholiques sont sensibilisés par l’idée d’une culture de la vie s’opposant à une culture de mort, pour reprendre les propres termes de Jean-Paul II. C’est le progrès des sciences de la biologie qui a provoqué une attention nouvelle au nécessaire respect du corps humain, depuis sa conception jusqu’à la mort. Les chrétiens ne sont pas forcément les seuls à avoir ressenti cet appel particulier face à l’instrumentalisation qui confère à la technique une sorte de toute puissance morale. C’est le philosophe Michel Foucault, par ailleurs très éloigné d’une vision chrétienne de l’homme, qui avait mis en évidence ce qu’il appelait la biopolitique, dont la montée en puissance faisait planer sur les individus la menace d’un assujettissement des corps, avec notamment un changement de paradigme de la médecine. Celle-ci, débordant de sa mission thérapeutique, assume désormais une fonction eugénique en liaison étroite avec la politique qui voit ainsi s’agrandir son champ de contrôle, mais aussi de décision.
Ce n’est pas pour rien qu’un philosophe comme Jürgen Habermas s’est inquiété des questions de la bioéthique, en mettant en évidence un risque anthropologique. De là d’ailleurs un rapprochement inattendu avec l’éclairage propre aux traditions religieuses. C’est ce qui permit un dialogue au sommet Habermas-Ratzinger en 2004 à Munich. Une telle rencontre n’était pas fortuite, parce que dans le cadre d’une culture, qui se veut éloignée de la théologie, vient se poser tôt ou tard l’énigme de notre humanité. Or il apparaît, au regard de l’histoire de la pensée, que la Bible et le christianisme nous ont transmis une vision de l’homme spécifique, avec une insistance sur le respect du corps, particulièrement celui de l’enfant et du plus faible, mais aussi sur la différence ontologique de l’homme par rapport à la nature ainsi que sur la mise en valeur du libre arbitre.
Il faut se rendre compte que cette anthropologie chrétienne s’est trouvée bousculée, reniée au XVIIIe siècle, durant cette période qu’on désigne habituellement comme celle des Lumières et qui promeut une conception matérialiste et mécaniciste de la nature humaine, allant même jusqu’à nier la notion de libre arbitre. Le XIXe siècle a hérité de cette conception à travers le courant philosophique dit des Idéologues, qui avait déjà marqué la rédaction de notre Code civil et dont les effets se prolongeront à travers une certaine idée de la médecine. Je sais bien qu’il y a un paradoxe troublant entre cette philosophie matérialiste, déterministe, et la volonté moderne d’émanciper la société et les individus. Mais c’est un paradoxe avec lequel il faut nous confronter, chrétiens en s’éclairant à la Révélation, non-chrétiens grâce à une certaine idée du respect de l’homme. C’est à partir de là que peut s’affirmer une culture de vie qui permette de contrer les dangers de l’emprise biocratique et du nihilisme qui nous environne.
Chronique à Radio Notre-Dame dans le cadre de l’émission Le Grand Témoin, avec Marie-Thérèse Hermange, Sénateur UMP de Paris, membre du Comité national consultatif d’éthique, a créé l’association « CorDon, source de vie » avec Eliane Gluckman qui a réalisé en 1988 à l’hôpital Saint-Louis la première greffe de sang de cordon ombilical.
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