28 avril
Cher André Paul, il m’est agréable de saluer en vous ce matin un penseur et un exégète original, dont le propre est vraiment de renouveler les recherches, parfois en bousculant les idées reçues, mais toujours dans une direction féconde. Qu’on veuille bien me passer cette pointe polémique, mais on a souvent le sentiment que l’exégèse se voulait ce qu’on appellerait de nos jours déconstructrice, parce qu’elle opposerait à la foi, vue plutôt comme de la crédulité, la réalité solide de l’histoire. L’opposition du Jésus de la foi et du Jésus de l’histoire n’est-elle pas un classique depuis le dix-neuvième siècle?
Il me semble que vous dépassez cette opposition en montrant précisément qu’elle ne tient pas parce que l’histoire est solidaire de ce que vous appeler le mythe qui est assez approprié à la dimension de la foi. Ainsi vous opposez-vous aux excès du rationalisme, qui prétendant déconstruire, ne fait que détruire la matière même de son étude.
J’ai toujours eu le sentiment, à vous lire, que vous élargissiez les frontières de la science exégétique en provoquant des polémiques salutaires. J’ajouterais que j’ai toujours eu l’impression avec vos livres qu’il me fallait recommencer mes études. Vous êtes tout à la fois un révolutionnaire au sens positif et un traditionaliste au sens dynamique du terme. Ainsi, vous bousculez notre vision dont la façon dont s’est construite la Bible, vous bousculez la légende des esséniens singulièrement tenace, vous imposez aussi une autre perception des relations entre judaïsme et christianisme qui n’est pas sans conséquences sur le contenu de nos discussions. Vous assumez l’originalité de la foi chrétienne en montrant comment la notion de résurrection y est inhérente et principale.
Ainsi, l’histoire telle que vous la concevez fait éclater l’histoire positiviste, en raison même de l’éclatement des cadres imposés et de la réinterprétation à laquelle nous obligent les découvertes qui mettent en ruines tous les préjugés, y compris – dirais-je – les préjugés savants.
Evidemment, votre grand champ d’expérimentation est Qumran, avec l’obligation de tout revoir, de tout repenser en fonction des documents inépuisables qui donnent donc une autre idée de l’histoire, une autre idée de la façon complexe dont s’est formée la Bible, et la façon dont s’est formulé le christianisme qui est plus original que l’on croit. Bien sûr, nous ne pouvons sortir indemnes d’une telle remise en cause des idées toutes faites. Mais quelles conséquences en tirer? Parfois il y a des dérapages. Je me souviens d’une étrange émission de télévision qui voulait démonter que le Vatican avait tout fait pour étouffer ce qu’il y avait de révolutionnaire dans Qumran. C’était vraiment ridicule au demeurant, mais cela ne pose t-il pas le problème, à la suite d’un éclatement des cadres, d’un réexamen de la pédagogie et de l’initiation à la Bible. Aux deux Testaments et plus généralement de la culture la plus communément enseignée. Sommes-nous prêts à en assumer les conséquences ?
André Paul, grand témoin à radio Notre-Dame