L’HEURE DE VÉRITÉ POUR LA POLOGNE - France Catholique
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L’HEURE DE VÉRITÉ POUR LA POLOGNE

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En tant que prêtre d’origine polonaise, curé de paroisse en France depuis vingt ans, je rentre de Varsovie et de Cracovie où j’ai pu participer pendant une semaine à tous les moments du deuil que la Pologne a dû affronter dans un paroxysme historique.

Après le choc et le désarroi du tragique accident de l’avion présidentiel à Smolensk, après le temps de la prise de conscience et de l’intériorisation favorisé par le deuil national, est venu enfin le moment de se tourner vers l’avenir. Cela a commencé au cours de la célébration des funérailles officielles des victimes à Varsovie et pendant celles du couple présidentiel à Cracovie. C’est vers ce lieu-symbole où bat le cœur de la Pologne que le monde entier a tourné son regard. Les têtes couronnées et les chefs d’État se sont rassemblés, au moins virtuellement, au chevet du catafalque présidentiel au château de Wawel. Certes, il y en avait parmi eux qui ne se parlaient pas auparavant ou d’autres qui se sont désistés à la dernière minute. Ce que le défaut du transport aérien a empêché de nouer entre les Grands de ce monde, les cœurs de tous les présents à « l’étape du dernier adieu » l’ont rétabli. Pendant tous ces jours, le monde se demandait combien de peines et de chagrins le cœur des Polonais était encore capable d’absorber ; combien de cercueils couverts du drapeau blanc et rouge le sol de l’aéroport de Varsovie pouvait encore accueillir ; combien de messes des morts pouvait-on encore célébrer dans les églises ; combien de requiems, de marches funèbres et de glas pouvaient encore résonner à leurs oreilles ; combien d’images des débris de l’avion-fantôme pouvaient encore enregistrer leurs yeux endeuillés ; combien de lumignons pouvaient encore se refléter dans le ciel si tourmenté ? Dieu le sait, tout comme le peuple polonais dans son cœur déchiré. Temps du deuil… Temps du recueillement… Temps d’un providentiel rendez-vous du peuple souverain avec lui-même… Voilà ce que la Pologne vient d’achever avec les deux dernières cérémonies clôturant cette semaine d’épreuves et de défis. Mais qu’en restera-t-il demain  après le temps des multiples séparations ? Combien d’adieux faudra-t-il encore prononcer avant cet ultime « à Dieu » pour pouvoir enfin tourner la page ?

En effet, pendant huit jours et huit nuits interminables, le peuple polonais s’est retiré du quotidien pour vivre une véritable retraite sociale et spirituelle, collective et individuelle sans précédent. Pour ce faire, tous ont été attirés à Varsovie par le couple présidentiel défunt dont le catafalque reposait dans le palais national. En effet jamais encore dans l’histoire polonaise, le palais présidentiel, emblème de l’indépendance du pays, n’a incarné à ce point la maison de tous, quelle que soit leur appartenance sociale, politique ou religieuse.

Horrifiés par l’envergure du drame et le spectre de Katyn qui les ont secoués, les Polonais se tournent vers l’avenir. Certes il reste encore des enterrements à célébrer dans les jours à venir. L’aéroport de Varsovie attend toujours le retour de nouveaux cercueils. Reviendront-ils d’ailleurs jamais sur la terre de la Mère-Patrie ? Qui le sait ? Mais, au rythme des panégyriques prononcés pour les défunts, un impératif national commun commence à émerger doucement dans  la conscience des Polonais : il ne faut pas que toutes ces émotions, fussent-elles les plus nobles, restent sans lendemain. Bien que tous les gestes sentimentaux témoignés apportent la consolation nécessaire, ils restent fugitifs. Il faut qu’ils fassent place au plus vite à un état d’esprit plus solide et plus utile pour la nation, à savoir  la conscience de sa responsabilité collective à l’égard de l’avenir de la patrie. Certes, les Polonais ont passé avec succès l’examen de leur solidarité face à l’épreuve. Historiquement ils ont en l’habitude. Mais sauront-ils relever le défi du ressaisissement collectif et celui d’une nouvelle éthique politique ? Oui, s’ils voient dans ce drame incompréhensible plutôt une chance pour un réveil social et politique comparable à celui de l’époque de Solidarnosc, que le fruit d’un destin fatidique.

Dommage pour l’élite institutionnelle qu’il lui ait fallu mourir pour que la valeur du patriotisme défendue par le Président défunt, Lech Kaczynski, soit enfin comprise et appréciée par les Polonais et par l’Europe entière. Et pourtant il aurait suffi d’avoir lu dans les pensées du Président défunt pour comprendre combien sa vision de la Pologne était prophétique et indispensable pour la sauvegarde de sa culture et pour un digne fonctionnement des institutions nationales.

Certes, il est impossible qu’un pays démocratique de plus de quarante millions d’habitants se retrouve en permanence à l’unisson. L’imaginer serait revenir au temps de l’utopie communiste ô combien détestable. Cependant la logique démocratique d’un pays ne devrait-elle pas ressembler plutôt à celle d’une chorale harmonieuse sous la houlette d’un seul chef d’orchestre ? C’est vers cette logique-là que les Polonais ont tourné leur cœur et leur âme, au moins pendant cette grandiose heure de vérité. Que cette épreuve infligée par un destin diabolique à un peuple fidèle aux plus grands idéaux nationaux et religieux, soit pour lui le temps d’un nouveau réveil. Comme me le disait un passant à Varsovie, « ils ont fermé leurs yeux pour que nous puissions les ouvrir ».

Chers frères polonais ! Ne fermez pas à nouveau les yeux alors que vont se faner les pétales des tulipes du deuil. Ne rajoutez pas d’obscurité à la fumée hostile du volcan islandais qui a maintenu séparés les chefs d’État du monde. Faites plutôt en sorte que ces cendres telluriques symbolisent les derniers restes de la haine qui divise encore les hommes. Sinon, le sacrifice et les atroces souffrances dans lesquelles ont péri les victimes de Smolensk seraient vaines. Ce serait pour eux un second Katyn.

Depuis la terre de France où je suis revenu, je vous rappelle, chers compatriotes, les paroles mêmes de l’hymne national polonais : « Tant que nous vivons, la Pologne n’a pas encore disparu… Bonaparte nous a montré comment nous devons vaincre. » Courage !

Père Robert Lorenc,

Curé de Meudon-Bellevue

dans les Hauts-de-Seine