Chère Alexandra Viatteau,
j’ai gardé un souvenir très précis des premières fois où j’ai fait votre connaissance. C’était à Rome, au moment exaltant mais encore périlleux de l’épopée de Solidarnosc. Lech Walesa était venu pour la première fois au Vatican afin de rencontrer Jean-Paul II. Vous faisiez partie de la suite journalistique du chef mythique du syndicat polonais et j’avais le sentiment que vous étiez engagée dans une course poursuite avec Walesa, lui-même en route pour un véritable marathon. Mais si ces images me sont restées, c’est qu’elles s’identifient avec un véritable moment historique, celui où, avec l’extraordinaire Jean-Paul II le sort du monde est en train de basculer. Les choses se passaient alors simultanément à Rome et en Pologne. Nous aurons aussi l’occasion de trembler un peu plus tard, avec le coup d’État du général Jaruzelski, l’arrestation de Walesa et des principaux dirigeants de Solidarnosc.
Non, décidément, le pouvoir totalitaire communiste n’aurait pas le dernier mot. J’ai encore d’autres souvenirs en tête. Y étiez-vous? C’était lors du troisième voyage du pape polonais dans sa patrie. Je revois l’immense foule réunie pour la messe papale sur l’ancien aérodrome de Gdansk. Walesa est avec son épouse au pied de l’immense podium qui a été dressé et qui représente symboliquement l’étrave d’un navire. Durant son homélie, Jean-Paul II subjugue littéralement la multitude qui lui répond en scandant indéfiniment: « Solidarnosc! » L’URSS n’a pas encore plié, la milice est aux portes de l’aérodrome, et dans la soirée il y aura des affrontements dans la ville.
Il n’empêche que c’est bien par la Pologne que le système totalitaire va s’effondrer. On ne doit jamais l’oublier et Walesa s’est chargé de le rappeler il y a quelques mois lors du vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin. Les événements tragiques que nous vivons en ce moment avec la disparition du président Lech Kaczynski, de son épouse, et de sa suite prestigieuse, remettent brusquement la nation polonaise au premier plan de l’actualité mondiale. Et ce serait justice que de se souvenir de l’importance considérable de cette nation dans le destin européen. Alexandra Viatteau, votre travail universitaire, mais aussi en partie journalistique, a consisté à nous rappeler que la Pologne est une des nations martyres et résistantes du vingtième siècle, et que plus que toute autre elle a souffert de la persécution sanglante des deux totalitarismes, deux totalitarismes – j’en ai parlé hier – qui s’entendirent, avec le pacte entre Staline et Hitler, pour se partager les dépouilles d’un pays dont ils massacreraient les populations. C’est par millions de morts qu’il faut compter les victimes polonaises des deux monstres totalitaires.
Avec l’arrivée de Karol Wojtyla au siège de Pierre, j’ai eu le sentiment que l’héroïsme de son peuple était enfin reconnu, et qu’après ses mystères douloureux, la Pologne vivait enfin une sorte de mystère glorieux. Je sais bien qu’avec l’histoire des peuples, tout est toujours à reprendre, sinon à recommencer. D’autres défis attendent la nation de saint Stanislas, que nous fêtions il y a deux jours. Nous formulons pour elle tous les vœux possibles, en faveur d’un avenir qui ne soit pas indigne des épreuves passées.
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