24 mars
Il y a quelques mois, très exactement le 25 novembre 2009, l’opinion de tous les pays d’Europe -et j’imagine d’une bonne partie du monde, notamment le monde musulman dans son ensemble- était secouée par une sorte de séisme moral. L’électorat de la confédération helvétique venait de voter à une majorité impressionnante l’interdiction de construire des minarets sur le territoire national, et cet interdit était inscrit dans la constitution du pays.
L’événement était d’autant plus surprenant qu’inattendu, du moins du côté des observateurs qualifiés et des instituts de sondage, démentis de la façon la plus cinglante par l’électorat populaire. Je parle de séisme parce que l’émotion provoquée avait été intense et qu’une fois de plus se révélait un véritable abîme entre la base et le sommet, les organisations officielles et la population, les intellectuels patentés et ceux qui sont censés ne pas bénéficier de leur lumière. Qui plus est, quelques sondages auxquels on pouvait cette fois se fier, indiquaient qu’à la même question d’autres peuples d’Europe auraient apporté une réponse identique.
Les réactions du côté des « élites » furent extrêmement vives. Certains en profitèrent pour affirmer leur opposition totale à la notion même de référendum populaire au prétexte de l’extrême dangerosité de la démocratie directe à la merci de la manipulation des démagogues. En laissant s’exprimer, disait-on, la peur de l’autre, le refus de la rationalité, l’intérêt immédiat, on s’exposerait aux pires dérives populistes. Quoi qu’on pense de cette démocratie directe, on est bien obligé de constater que la notion même de démocratie devient problématique, dès lors qu’on entend censurer et même empêcher l’expression la plus explicite du suffrage populaire. Surtout, on peut s’interroger sur la signification profonde d’un pareil événement. S’agit-il d’un refus pur et simple de l’Islam, d’une peur de la population face à la menace d’une sorte de conquête de l’espace symbolique ? On ne peut évidemment écarter cette notion de peur qui s’associe à la menace de l’extrémisme islamiste, d’un terrorisme bien réel, et du souvenir très prégnant d’un certain 11 septembre 2001.
Pourtant, la population suisse – comme les peuples européens – est tout à fait capable de faire la différence entre un extrémisme minoritaire et les ressortissants musulmans tout à fait pacifiques qui sont venus en Europe pour améliorer leur condition matérielle, ou tout simplement faire vivre leur famille. Mais, même dans le cadre d’une simple cohabitation, il y a, semble-t-il, une réelle difficulté. La perspective d’une véritable intégration étant désormais plus que problématique. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne transformera pas le climat actuel de l’opinion d’une façon magique. De graves questions sont posées, et d’abord aux chrétiens qui ont désiré, depuis Vatican II, entreprendre un dialogue loyal avec les autres religions. Mgr l’archevêque d’Alger est de ceux qui sont le mieux à même de nous éclairer là-dessus. Peut-on vivre dans le respect mutuel, mieux apprécier l’authenticité spirituelle des croyants musulmans? La fraternité est-elle possible? Et si des obstacles considérables s’interposent, qui rendent très difficile, une telle fraternité, y a-t-il encore de réelles raisons d’espérer, ne serait-ce qu’en se référant à l’expérience de la petite communauté chrétienne d’Algérie ?