Mon idée est-elle saugrenue? Je n’ai pu m’empêcher, lorsque j’ai appris que Christophe Bourseiller était notre invité, de penser à Maurice Barrès qui écrivit pendant la grande guerre, un petit livre sur « les familles spirituelles de France ». Le contexte était singulier, puisque nous étions dans un conflit terrible, mais Barrès qui était alors le chantre de l’Union Sacrée, était pris par une sorte d’élan œcuménique afin de réconcilier toutes les familles les plus diverses et parfois les plus opposées qui composaient la France et concouraient toutes à son combat commun. Du coup, l’écrivain oublie ses propres tendances partisanes et trouve en lui-même l’inspiration pour faire l’éloge de ce qui, parfois, lui a été le plus contraire. C’est vrai qu’il a déjà été saluer sur son lit de mort Jean Jaurès après son assassinat, accueilli avec reconnaissance par la fille du dirigeant socialiste. Mais désormais il va jusqu’à saluer la communauté juive de France, lui qui s’est distingué comme leader du camp anti-dreyfusard. Ce fait avait frappé le Père de Lubac qui aimait citer ce petit livre de Barrès.
Certes, Christophe Bourseiller n’a pas écrit – du moins à ma connaissance – un livre œcuménique où il aurait salué la diversité mais aussi la complémentarité des diverses composantes intellectuelles et politiques de la France d’aujourd’hui. Mais son intérêt multiple pour les extrêmes-droites, surtout les extrêmes-gauches, aujourd’hui la Franc-maçonnerie, à laquelle il a appartenu, montre son intérêt pour la diversité des appartenances de gens qui, tout de même, participent, quoi qu’ils veuillent, à une communauté de destin. Fussent-ils les plus contestataires, voire les plus révolutionnaires par rapport à elle. Même les plus marginaux, même les plus excessifs participent d’une histoire commune et rien ne fera qu’ils n’existent indésirables ou pas, dans l’horizon de la communication ou de la non communication. On peut penser qu’une Arlette Laguiller appartient à une sorte de secte marginale aux aspects parfois étranges, elle est quasi-indispensable à nos joutes politiques depuis 40 ans, comme un Olivier Besancenot s’impose aujourd’hui en dépit de sa propension à la marginalité.
Au risque d’étonner, je dirais, moi qui ait toujours dénoncé avec fermeté le mythe du grand timonier Mao, que le destin du maoïsme en France m’a toujours intéressé et parfois fasciné. Il est vrai qu’il s’agissait d’une aventure hors norme où la Chine rouge était un prétexte pour poursuivre une quête quasi mystique, dont l’exemple de Benny Lévy fournit la clé avec ses dernières années dans une yeshiva de Jérusalem. Il faut de tout pour faire un peuple, et même parfois certains excès. Qu’on me pardonne ce langage très incorrect. Le cas de la Franc-maçonnerie rejoint cette diversité avec sa tonalité très particulière aux confins des aspirations de l’esprit et des engagements sociétaux. C’est avec eux aussi qu’on fait un pays. Barrès, pour revenir à lui, écrivait que chacun, si différent soit-il, « descend en lui-même et y retrouve son trésor intérieur avec les éléments par lesquels il peut s’entendre avec son prochain ». Est-ce trop optimiste que cette recherche de ce que l’écrivain appelait la « tendre fraternité »? Sans doute, mais n’est-ce pas aussi un devoir civique et en tout cas un souci pas si idiot, pour vivre et pour rêver?
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