Conférence de Mgr Michel Chafik à Sciences-Po Paris, le 25 février 2010 à l’invitation de l’association Sciences-Po monde arabe - France Catholique
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Funérailles catholiques : un temps de conversion
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Conférence de Mgr Michel Chafik à Sciences-Po Paris, le 25 février 2010 à l’invitation de l’association Sciences-Po monde arabe

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C’est un honneur pour moi d’intervenir dans ce prestigieux institut où, assurément, l’on connaît bien l’Egypte : l’Egypte des pharaons, dont Champollion sut percer les secrets ; l’Egypte du Canal de Suez et du panarabisme ; celle, aussi, de la guerre des six jours, un traumatisme qui, à ce jour, n’a pu être surmonté. Mais ce soir, c’est d’une autre Egypte que je viens vous parler ; d’une Egypte méconnue, menacée, l’Egypte copte, qui refuse que s’écrive, à son propos, la chronique d’une mort annoncée.

Les situations s’analysent mais elles s’éprouvent aussi et le ressenti, forcément partiel, forcément partial, de ceux qui les vivent dit, tout autant que les concepts, quelque chose du réel. Permettez-moi, pour commencer, d’en revenir à mon expérience, à celle de mes proches. Je me pencherai ensuite sur le devenir de notre communauté.

Je rentre juste d’Alexandrie où j’ai célébré il y a quelques jours le mariage d’une nièce. De ce voyage je m’étais fait une joie. Joie aussitôt assombrie par la douleur de m’éprouver étranger en mon propre pays.

Du fait de ma religion qui s’entend dans mon prénom (je m’appelle Michel et non Mohamed), se tatoue à mon poignet, s’inscrit sur ma carte d’identité, je me suis senti rejeté comme jamais par la terre qui m’ a vu naître ; dont la langue, l’histoire et la culture ont formé mon intelligence ; dont les odeurs et les saveurs ont nourri ma sensibilité. Ce sentiment d’exclusion est partagé, hélas, par bon nombre de mes coreligionnaires. « J’étouffe », m’a dit celui-ci ; » je n’ai pas peur », m’a répété au moins vingt fois cet autre, dont l’insistance témoignait du contraire.

Qu’est-il arrivé à l’Egypte où, pendant sept cents ans, musulmans et chrétiens ont vécu côte à côte ? Cette cohabitation ne fut certes pas un long fleuve tranquille. Lorsque les musulmans furent devenus majoritaires au 10ème siècle, les coptes furent condamnés à la dhimmitude. Les hommes néanmoins cultivaient la convivialité, partageaient le pain, les joies et les peines. Aujourd’hui ce vivre ensemble millénaire semble condamné, les communautés se sont inexorablement éloignées. Entre elles, tout aussi infranchissable que le mur de béton israélien, s’est élevé un mur de défiance et d’intolérance.

Les causes de cette évolution sont légions :

Notons d’abord l’héritage empoisonné de l’histoire. Si la dhimmitude, aujourd’hui, ne figure plus en tant que telle dans le droit égyptien, elle reste une réalité, un état d’esprit et d’action intériorisé par tous. Les mots changent plus vite que les réalités qu’ils recouvrent. En Egypte, on ne parle certes plus de dhimmitude mais, dernier avatar de celle-ci, de minorité.

En terre d’Islam où l’individu n’existe pas en tant que tel, où seule compte l’appartenance au clan, à la communauté, il ne fait pas bon être minoritaire et si, par naissance, par malchance, vous en êtes, vous mènerez l’existence misérable d’un paria.

C’est ainsi que les coptes, qui représentent 10°/° de la population égyptienne, la première communauté chrétienne du monde arabe, sont dans leur vie quotidienne victimes de discriminations flagrantes. S’ils sont libres d’aller à l’église et de pratiquer leur culte, ils paient cette tolérance au prix fort. Trouver un emploi, un logement, éduquer dignement leurs enfants relève pour eux du parcours du combattant. Même si le pouvoir a affirmé à maintes reprises que les coptes font partie intégrante de la nation, ils ne sont que des citoyens de seconde zone. Soumis au bon vouloir des exécuteurs de la loi, ils ont toujours tord et aucune tribune où faire entendre leur voix. Ecartés de fait du pouvoir politique, marginalisés dans le monde administratif et culturel, ils sont privés de tout avenir.
Une petite anecdote : Récemment a eu lieu un match, suivi avec passion chez nous comme chez vous, entre l’Egypte et l’Algérie. Avez-vous noté qu’il n’y avait aucun chrétien dans l’équipe d’Egypte ? Nulle loi, bien sûr, ne l’interdit, mais il serait impensable qu’un Georges ou un Jean représentât dans les medias notre nation.

Le contexte économique ensuite rend plus précaire que jamais la situation des Coptes. L’Egypte est confrontée à la crise économique mondiale, à une inflation galopante, à un taux de chômage record, bref, à une misère multiforme qui touche non seulement les plus pauvres mais aussi la classe moyenne. Oui, tout le monde souffre en Egypte, mais les coptes plus que d’autres pour délit de religion.

La corruption des fonctionnaires, l’incurie des dirigeants ajoutent encore aux difficultés rencontrées par les chrétiens. A 81 ans le président Moubarak, qui finit son 5ème mandat, prépare sa succession tandis que se dégrade le climat politique. Il tient d’une main de fer le pays où, sans raison, l’état d’urgence est maintenu depuis 1981. Mais, s’il garde le contrôle du politique et de l’économique, il est absent du champ social, religieux et culturel.

Les frères musulmans, pourtant officiellement interdits, et les tenants du wahabbisme ont eu tout loisir d’occuper cette vacance, d’infiltrer la société, d’en modifier en profondeur les références et les comportements. Ils occupent désormais l’espace publique à travers mille signes extérieurs : prières dans la rue, dans les bureaux et les usines ; lectures du Coran dans les taxis et les autobus ; visages mangés par les barbes ou occultés par le Niqab ; cheveux cachés par les foulards. La piété doit s’afficher et ceux qui, parce que d’une autre religion, n’en portent pas les signes, sont ostensiblement désignés à la vindicte populaire. C’est ainsi que, pour n’être pas agressées, bien des chrétiennes couvrent à leur tour leur chevelure . Pauvre, pauvre Egypte qui s’enfonce, comme on se noie, dans l’obscurantisme, dans le fanatisme ! Quand le monde entier court vers le 22ème siècle, les islamistes veulent arrêter le temps, en inverser le cours, revenir aux origines, au 7ème siècle.

Le conservatisme ambiant et le refus de la pluralité religieuse font d’autant plus de ravages que l’école et l’université sont dans un piètre état. Les Coptes, image honnie de l’autre, sont les premières victimes de cette lente et sournoise détérioration du climat social. Dans un environnement communautaire excessivement tendu, les incidents se multiplient et s’ont prompts à dégénérer. Des églises sont incendiées, des fidèles agressés, des jeunes filles enlevées et contraintes d’embrasser la foi musulmans.

Soucieuses de calmer le jeu, les autorités tentent de minimiser les faits. A lire la presse égyptienne, il s’agirait, ici d’une banale affaire de vendetta, là de l’œuvre d’un désaxé. Il semblerait que l’Egypte soit le pays au monde le mieux pourvu en fous ! Mais comment ne pas voir, derrière les exactions dirigées contre les coptes, l’influence de l’islam radical ? Le président Moubarak a beau assurer que « personne ne peut porter atteinte à l’union entre les musulmans et les chrétiens », l’objectif de ces moudjahidins est clair : ils veulent prendre le pouvoir et éradiquer les coptes.

C’est ce qu’a révélé le Noël sanglant de Nagaa Hamadi où, à la sortie de la messe, les chrétiens ont été mitraillés comme au champ de foire. Le pouvoir, une fois de plus a tardé à réagir ; une fois de plus, il a affirmé qu’il s’agissait d’un crime isolé. Aujourd’hui des arrestations ont eu lieu. Mais, petit reste d’une Eglise souffrante qui puise dans « n’ayez pas peur » christique la force de se battre, les coptes attendent plus.

Et maintenant quel avenir pour les chrétiens d’Egypte?

Les perspectives, vous en conviendrez, ne sont guère encourageantes. Le poids cumulé de la misère et des discriminations les contraint au choix impossible de la conversion ou de l’exil.

Si rien n’est fait pour enrayer cette tendance, l’Egypte sera, uniformément, musulmane. C’est un pan entier de sa culture qui, gommée déjà des manuels scolaires, mais pieusement conservée par la communauté, disparaîtra alors. C’est un rapport au monde, à la connaissance, à l’autre, qui s’effacera aussi des bords du Nil. Privés du miroir copte, cet empêcheur de tourner en rond, les musulmans se radicaliseront encore. Alors que faire ?

Renoncer aux « incha’allah » qui ponctuent le discours et influencent la pensée ; prendre en charge son destin ; ne pas baisser les bras mais, comme nous y invitent le Saint Père et les patriarches d’Orient, travailler pour rester sur cette terre où naquit le christianisme ; pour y vivre avec les musulmans, dialoguer avec eux, faire tomber les peurs et les préjugés, tisser des liens, construire des ponts.

On peut néanmoins déceler quelques signes prometteurs :

Les coptes depuis peu font entendre leur voix. Ils organisent des manifestations, demandent des comptes au pouvoir, sont présents dans les médias et sur internet. Avec Moubarak, la presse est libre et ils apprennent à l’utiliser. Comme ils apprennent à utiliser internet dont l’influence est à double tranchants : les fatwas s’y multiplient mais aussi les débats contradictoires.

Dans leurs écoles, ensuite, les coptes dispensent un enseignement de si grande qualité que l’élite musulmane n’hésite pas à y inscrire ses enfants. Même si ceux-ci ont désormais tendance à pratiquer l’apertheid- on ne joue pas avec les enfants de l’autre communauté- les graines semées porteront bien quelques fruits.

Par l’intermédiaire enfin de leurs instituts, les religieux promeuvent une réflexion critique des textes sacrés qui peut aider les musulmans eux-mêmes à initier la réforme nécessaire de l’islam

Mais la route est longue et les souffrances présentes infinies.

Il y a deux hommes en moi : le prêtre qui, contre tout espoir, cultive l’espérance et rend grâce. Je rends grâce car, comment n’est pas voir que la pérennité du christianisme en Egypte, malgré les brimades, malgré les persécutions, est un miracle ?

Mais, quand le prêtre rend grâce, le citoyen se bat. Il se bat en Egypte aux côtés des musulmans éclairés qui osent, depuis peu, l’impensable, prononcer les mots interdits de laïcité, citoyenneté, égalitéالمواطنة والمساواة والعلمنة : Trois termes qui, si l’on pouvait les conjuguer en arabe, sonneraient comme le chant du cygne de la dhimmitude, de la notion de minorité.

Il se bat ici, car sans le soutien de l’Occident, sans votre soutien, nous sommes condamnés à être balayés par le vent de l’histoire. A ce propos, je voudrais remercier du fond du cœur l’Oeuvre d’Orient et son si généreux directeur, Mgr Brizard, qui se dépense sans compter pour les chrétiens du Nil.

A vous, jeunes français, appelés demain à exercer les plus hautes responsabilités, j’adresse un ultime message. Oui, vous pouvez aider les coptes, et toutes les minorités opprimées en Orient, en défendant les valeurs de votre République.

L’égalité, notamment entre les hommes et les femmes : Pensez-y lorsque vous écrirez sur le voile ou la bourqa ; la fraternité, dont l’autre nom est la solidarité qui ne peut plus, à l’ère de la mondialisation, s’exercer dans une seule nation. Et aussi, et surtout, la liberté. Ne vous laissez pas abuser par les défenseurs du tout est égal qui, à cette aulne, admettent comme fait culturel digne de respect les pratiques les plus barbares ; ne vous laissez pas tromper par les chantres du communautarisme, qui entendent asservir la personne au groupe.

Les valeurs universelles fondatrices de votre République sont applicables à tous les êtres et à toutes les nations. Soyez-en fiers, jouissez de leur protection et défendez-les ici et partout.

Mgr Michel Chafik

Recteur de la Mission copte catholique de Paris