La visite du président russe à Paris a été notamment marquée par une visite à la cathédrale Notre-Dame où Dmitri Medvedev et son épouse ont vénéré les relique de la Couronne d’épines. Événement singulier que celui-là ! Quel autre chef d’État aurait pu accomplir une telle démarche dans le cadre d’un programme officiel ? On ne l’imagine pas et l’on est contraint de s’interroger sur la particularité de cette Russie sortie de sa période soviétique de soixante-dix ans où l’athéisme était idéologie d’État et où la pire persécution de l’Histoire sévissait contre les chrétiens. Mais les écrivains prophètes qu’étaient Dostoïevski et Soljénitsyne l’avaient annoncé. Sortie de son expérience totalitaire, la Russie ne pouvait que revenir à son identité spirituelle, la seule qui puisse éclairer et rassembler un peuple meurtri.
Évidemment, ce n’est pas parce que le nouvel État russe affirme son attachement à une telle identité qu’il se révélera exemplaire sur tous les terrains, y compris celui du respect des droits élémentaires des personnes. La Russie se trouve face à d’immenses défis de tous ordres : politiques, économiques. Sa situation internationale n’est pas son moindre souci au sein d’un monde en plein bouleversement où elle aspire à retrouver un rôle éminent. La spiritualité ne peut remplacer la politique ou compenser les défauts d’un système qui peine à s’inventer. Du moins peut-elle insuffler une âme commune, modifier certaines mœurs, susciter plus d’entraide et offrir un idéal supérieur aux sombres combinaisons des clans et des appétits. C’est le vœu que l’on adresse au Ciel pour aujourd’hui et demain.
Chronique de Gérard Leclerc écrite pour le quotidien Le Bien Public
http://www.notredamedeparis.fr/Visite-du-President-de-la
Chronique à Radio Notre-Dame
C’est avec une certaine réserve que je me permets d’intervenir ce matin à propos de la Sainte Russie. N’étant ni spécialiste au sens universitaire de cet immense sujet, ni immergé dans la piété orthodoxe – ce qui est le cas de quelques uns de mes amis – je n’en puis parler que de mon point de vue très partiel, qui est celui d’un témoin qui a espéré en la renaissance d’une certaine idée de la Russie. C’était à un moment où la chute de l’Empire soviétique demeurait très problématique et où d’excellents observateurs comme Raymon Aron en doutaient fortement. Cette idée-là, c’est d’abord Dostoïevski qui me l’a instillée avec la lecture de ses grands romans. Elle s’imposait à moi et à bien d’autres à travers l’expérience forte d’un désastre spirituel au sein duquel une lumière perçait, un témoignage irréductible se dessinait, celle de la foi d’un peuple au sein d’une menace massive. Celle que font peser « les possédés » sur le destin d’un peuple et le salut des âmes!
Pourtant, il y avait des difficultés dans la réception de Dostoïevski. En France même existe une tradition tenace qui vient, d’Henri Massis à Alain Besançon, pour stigmatiser les tentations et les périls du courant slavophile. Et il est vrai que l’auteur des « Frères Kamarazov » n’en est pas indemne et que les théologiens, y compris orthodoxes, ont beaucoup à redire sur son orthodoxie précisément. Aux deux sens du terme : celui du christianisme russe en son authenticité et celui de la rigueur de la foi. Dostoïevski n’est pas le seul de son espèce à provoquer doutes et objections. C’est aussi le cas d’un Berdiaev qui fit tant pour répandre en France le génie propre de la spiritualité russe.
J’ajouterai toutefois que je ne retrouve pas ce genre de difficultés avec le génie de cet immense contemporain que fut Alexandre Soljénitsyne. Mais les ambiguïtés de la théologie des « frères Karamazov » ont, à mon sens deux explications. La première tient à une certaine infirmité théologique dont l’écrivain est la victime. La seconde de l’expérience propre à un homme qui, à travers l’apocalypse de l’âme russe, rend compte de son propre retour des enfers. Son itinéraire, c’est en grande partie celui d’un homme qui échappe à son propre nihilisme et à celui de son époque. Ce qui en résulte, est une expérience spirituelle de conversion difficile, périlleuse. Certes, la critique n’a pas grand mal à souligner les graves déficiences de la christologie dostoïevskienne. Mais c’est que celle-ci se formule dans la douleur extrême, qu’elle s’inspire de la foi populaire, non savante, spontanée, qui n’est nullement le fait d’une école théologique structurée. Elle peut se réclamer aussi de ce personnage typique qu’est un staretz, une sorte d’ermite qui n’a que sa foi et son rayonnement intense pour éclairer le peuple.
Si un théologien aussi savant que le Père de Lubac a donné une telle importance à Dostoïevski dans son livre célèbre Le drame de l’humanisme athée, c’est en vertu de la lucidité tragique de l’écrivain qui a compris que l’athéisme contemporain ne libérait pas l’âme russe et son âme à lui. Bien au contraire il les « dévorait » pour reprendre sa propre expression. Et pour échapper à l’enfer du nihilisme et de la possession, il n’y avait que le pur témoignage de la foi, celui qui subsistait chez les plus humbles, celui qui renaît aujourd’hui, il faut l’espérer fermement, avec la liberté religieuse et le renouveau d’une Eglise disposant de l’héritage inaliénable de sa liturgie et de sa spiritualité.
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Le front de Dmitri Medvedev, posé sur une icône de la Vierge, à Notre Dame de Paris, mardi 2 mars, surprend. Un président russe – baptisé dans l’Eglise orthodoxe à l’âge de 23 ans – se recueille dans une cathédrale catholique. Il s’y tient, accompagné de sa femme, une fervente chrétienne. Il suit l’office de la vénération des reliques de la Sainte Couronne d’épines. Devant des caméras, certes. Mais qui peut mettre en doute la sincérité de la foi ou juger du sanctuaire intérieur de l’homme ?
par Jean-Marie Guénois
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La « Sainte Russie » conquiert le Louvre