La mission qu’accomplit en ce moment le père Mathieu Rougé au sein du monde politique permet une réflexion sur les rapports de l’Eglise et de l’Etat dans un contexte qu’on est, me semble-t-il, en train de découvrir.
C’est a priori étonnant de dire cela, un peu plus d’un siècle après la loi de séparation de 1905, alors qu’il s’est quand même passé beaucoup de choses en France, très instructives et dont le bilan n’a pas encore été vraiment fait. Je rappelle pour mémoire : les difficultés d’application de la Séparation, les séquelles de la guerre entre les deux France avec l’héritage de la Révolution, la querelle scolaire qui a rebondi en 1981, la période difficile de la Seconde Guerre mondiale, la tentation marxisante de toute une aile du catholicisme, les divisions profondes à l’intérieur de l’Église de France…
J’arrête là mon énumération qui n’est pas exhaustive, loin de là, pour m’interroger un instant sur ce qu’a apporté le concile Vatican II dans ce domaine précis. Car Vatican II a eu un rôle considérable, notamment pour le catholicisme français, dans la redéfinition des rapports entre l’Église, et donc les chrétiens, avec le domaine politique au sens général du terme. Je ne suis pas sûr qu’on ait vraiment perçu sur le moment la nature de ce qui s’opérait. Pour certains, le concile avait signifié la victoire d’une aile marchante dans l’Église, alors que cette mouvance allait être durement éprouvée dans la période post-conciliaire. De même, l’engagement au service des plus pauvres, qui était un leitmotiv de l’époque, allait être transposé dans un autre univers mental, avec Jean-Paul II, la fin du communisme et les soubresauts du tiers-monde. La question du marxisme, obsédante dans les années 60-70, allait s’effacer pour ouvrir le champ à de nouvelles problématiques. Et c’est dans ce cadre là que l’enseignement de Vatican II a été perçu, je le crois fermement, dans sa véritable lumière. Comment définir en quelques termes ce changement ?
Tout d’abord, l’Eglise a pris acte de la mutation globale que l’on appelle d’un terme très équivoque « sécularisation ». Elle n’est plus identifiée aux institutions officielles qu’elle dominait. Mais ce qu’elle a perdu en pouvoir, elle l’a regagné en autorité morale. C’est ce qu’explique, de façon très claire, le philosophe Pierre Manent. L’Église a été chassée du pouvoir par l’État libéral, mais elle n’a jamais mieux affirmé son indépendance magistérielle. Or, c’est cela l’apport de Vatican II, celui qui apparaît de mieux en mieux. L’Église intervient dans les affaires du monde, mais en vertu de son autorité spirituelle. Elle donne un éclairage aux questions les plus graves et les plus difficiles, notamment à partir d’un enseignement anthropologique de plus en plus affirmé. Se sont trompés ceux qui ont cru que la fin d’une certaine chrétienté signifierait l’éclipse du spirituel. Son prestige s’en est trouvé au contraire renforcé. On l’a vu avec l’écho profond qu’ont eu, dans le milieu politique et la société en général, les grands documents du magistère romain, ceux de Jean-Paul II et de Benoit XVI. Est ce que je me trompe, cher Père Mathieu Rougé, en comprenant votre mission du Service pastoral d’études politiques dans ce contexte historico-religieux à mon avis profondément renouvelé ?
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