Qu’un philosophe choisisse la politique, est-ce si courant dans notre histoire récente et aujourd’hui même? Il semble à première vue que ce sont des littéraires qui ont fait carrière dans les plus hautes fonctions de l’Etat. Je songe hier à un Georges Pompidou, citant Eluard en conférence de presse, mais aussi à Laurent Fabius ou Alain Juppé. Le cas de Vincent Peillon serait-il si singulier? Lui arrive t-il de rencontrer d’autres philosophes au Parti socialiste ou dans ses joutes avec la droite? Toujours est-il qu’on ne peut bouder la satisfaction de voir une personnalité qui a le goût de la réflexion sérieuse transposée dans le champ de la cité ses facultés de discernement et de théorisation. J’ajouterais qu’un spécialiste de la pensée de Maurice Merleau-Ponty ne peut être foncièrement mauvais. Personnellement, j’ai toujours considéré « la phénoménologie de la perception » comme un des grands ouvrages de la pensée française au vingtième siècle. J’ai toujours préféré Merleau-Ponty à Sartre. En revanche, je ne dirais pas que je l’ai préféré à Camus car c’est aux cotés de ce dernier que je me range spontanément et rétrospectivement dans le débat qu’ils eurent aussi tôt après la guerre. Mais Merleau-Ponty devait lui-même dépasser ses engagements dans les années qui suivirent.
Mais cela est loin des générations actuelles, même si l’anniversaire de la mort d’Albert Camus ranime ces temps-ci les débats du milieu du vingtième siècle. Vincent Peillon, à partir de son souci politique et dans le but de ranimer intellectuellement la gauche et surtout le Parti socialiste, a ouvert d’autres chantiers et soulevé des polémiques intéressantes. Ce fut le cas avec son livre sur la Révolution française et sa vigoureuse opposition à François Furet, auteur d’un tournant historiographique qui n’a pas été sans conséquences sur l’orientation idéologique de la gauche française. En refusant l’idée que la Révolution était terminée définitivement, notre responsable politique marque son refus déterminé à la mutation libérale de la pensée politique qui s’est produite dans les années 80 et qui a d’ailleurs accompagné certaines évolutions du Parti socialiste lorsque celui-ci s’est éloigné des perspectives du programme commun et de l’alliance avec un communisme, il est vrai, en plein déclin. Ce que Vincent Peillon récuse, c’est au fond « la République du centre », telle que Furet, Julliard et Rosanvalon, l’ont conçue sur les ruines de l’historiographie classique de la Révolution. Il va encore plus loin, avec son dernier livre dont je ne puis parler qu’avec prudence, car je n’ai connaissance de sa thématique que par des comptes rendus qui m’incitent d’ailleurs à m’y plonger au plus vite.
Mais déjà, je me pose bien des questions. Ce retour à Ferdinand Buisson n’impose t-il pas une révision radicale de notre conception de la laïcité, comme neutralité philosophique et religieuse de l’Etat? N’est-ce pas aussi une récusation de ce que Claude Lefort a théorisé à l’enseigne du « lieu vide », c’est à dire de la foncière mobilité du débat démocratique à l’encontre de toute idéologie officielle. Pardon de dire les choses aussi vite, et en privilégiant les objections par rapport à l’intérêt de voir ranimer le débat de fond. J’ose, en tout cas, souhaiter que les positions singulières de Vincent Peillon provoqueront une belle discussion, utile à tous les partenaires de la chose publique.