PETIT SUPPLÉMENT AU LIVRE DE RUTH - France Catholique
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PETIT SUPPLÉMENT AU LIVRE DE RUTH

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PETIT SUPPLÉMENT AU LIVRE DE RUTH (*, a)

Au cours de leur vie, qui dure vraisemblablement une vingtaine de milliards d’années, les étoiles évoluent comme notre corps au cours de la nôtre, ou comme un arbre entre la graine et la pourriture. Il nous suffit d’examiner cette poussière d’astres avec nos instruments pour y voir toute la variété des âges, depuis celui de la naissance jusqu’à celui où l’étoile s’effondre sur elle-même comme un arbre vieilli.

Les astronomes ont classé les âges successifs selon les types de lumière que l’étoile nous envoie. On constate alors que celle-ci parcourt au long de sa vie sept types principaux représentant donc, un peu arbitrairement, les sept âges de l’étoile. Les Grecs ou les Arabes auraient sans doute inventé des noms poétiques pour désigner ces sept âges. Les astronomes se contentent des lettres O, B, A, F, G, K, M, données ici dans l’ordre de succession (b).

En simplifiant beaucoup, et pour avoir une idée grossière de ce qui se passe dans le ciel (car la destinée d’une étoile est très variable suivant que sa masse est plus ou moins importante), on peut dire que, de O à M, il se passe une vingtaine de milliards d’années.

La maturité de l’étoile

La classe G mérite qu’on lui accorde une attention particulière. Les étoiles de ce type sont arrivées à ce que l’on pourrait appeler maturité, disons ce qui correspond à vingt ans pour un homme. Elles ont traversé rapidement, en quelques centaines de millions d’années, peut-être moins, toutes les étapes précédentes. En d’autres termes, les stades O, B, A et F sont extrêmement brefs : la presque totalité de la vie de l’étoile se déroule après F. Le stade G est crucial à deux titres : d’abord l’astre y atteint une stabilité qui va durer des milliards et des milliards d’années au cours desquelles il restera à peu près semblable à lui-même ; et surtout, en même temps, on constate. que sa vitesse de rotation sur lui-même (car toutes les étoiles tournent sur elles-mêmes comme la Terre) s’est extraordinairement ralentie. J’ai déjà expliqué dans une précédente chronique (c ) ce que signifie ce ralentissement rapide de la vitesse de rotation : tout simplement la formation des planètes qui désormais vont tourner autour de leur Soleil (d).

Trois chiffres suffiront à illustrer cet enfantement

– 0 % des étoiles de classe O sont à rotation lente ;

– De 30 à 80 % des étoiles de classe F sont à rotation lente ;

– 100 % des étoiles des classes G, K et M sont à rotation lente.

On voit que la rotation lente (c’est-à-dire la présence des planètes) est aux étoiles ce que la barbe est au menton des garçons : à leur naissance, aucun n’en a ; à vingt ans, tous en ont. La principale différence est que la maturité des étoiles dure formidablement plus longtemps que celle de l’homme. Si l’on fixe (grossièrement) à 100 millions d’années le temps de la jeunesse, leur maturité dure quelque deux cents fois plus, comme si l’homme devait jouir de la sienne quelque quatre mille ans ! On comprend dès lors que, dans une population d’étoiles, l’immense majorité (98 %) soient des étoiles adultes, à rotation lente, ayant dépassé l’âge F ; de même que, si nous devions vivre quatre mille ans, la proportion des enfants parmi nous serait imperceptible.

Les astronomes citent généralement deux étoiles comme parfaitement représentatives du type G : Epsilon des Gémeaux et le Soleil. (Dans la classe G, le Soleil est une étoile d’une si parfaite banalité qu’on la considère comme typique, nez moyen, taille moyenne, signe particulier : néant.)

Et c’est là que l’on se sent saisi de vertige. Si l’on porte notre Soleil sur un graphique représentant les étapes de la vie d’une étoile de masse solaire 1, on constate que le Soleil est né il y a quelque quatre milliards et demi d’années et qu’il est donc en type G, avec ses planètes, depuis moins que cette date. Les plus anciennes traces de vie terrestre repérées jusqu’ici remontant à trois milliards huit cents millions d’années (e ), cela signifie que la vie est apparue sur la Terre dès la naissance de celle-ci, aussitôt que cela fut possible, comme quelque chose d’une parfaite banalité, comme une péripétie normale incluse et prévue dans le même plan qui fait passer les étoiles de O à G et qui leur donne des planètes…

De nombreux lecteurs attentifs à ces faits m’interrogent : l’Univers est-il infini ? (M. Vallery, Carpentras.) Compte tenu de la jeunesse du Soleil, donc de la Terre, compte tenu par conséquent de l’immense évolution qui s’ouvre encore à la vie terrestre au-delà de l’homme, comment concilier la foi chrétienne avec l’hypothèse de créatures supérieures à l’homme et lui succédant ? (M. Gardair, Kénitra, Maroc.) Cette dernière question, remarquons-le, porte en elle-même deux généralisations encore plus vertigineuses et pratiquement inévitables car, d’une part, s’il en est ainsi de la planète appelée Terre, tournant autour de l’étoile de type G que nous connaissons le mieux, à savoir le Soleil, il doit en être de même d’une foule innombrable de planètes tournant autour des autres étoiles de type G ; et surtout, qu’en est-il des planètes beaucoup plus anciennes que la Terre, où la vie a déjà pu évoluer pendant des milliards d’années au-delà du niveau humain ?

Bien entendu, il n’appartient pas à un chroniqueur scientifique de répondre à la question théologique posée par M. Gardair. On me permettra cependant de dire que si je ne suis plus le matérialiste convaincu que j’étais à vingt ans, c’est en partie à cause de ces découvertes de l’astronomie. Je ne comprends pas du tout comment le jeune Claudel peut trouver dans la pensée de la pluralité des mondes une raison de perdre la foi. Cela me semble une complète aberration. Comment ! l’ordre du monde peu à peu révélé par la science fait apparaître le plan d’une orientation universelle des choses en direction de la conscience et de la pensée et cela devrait décourager la foi en un Esprit créateur et organisateur ? Je voudrais bien que l’on m’expliquât par quelle mystérieuse dialectique de telles prémisses peuvent aboutir à pareille conclusion. Ce qui, selon moi, serait troublant et décourageant pour le spiritualiste, ce serait que la science condamne comme illusoire et démentie par les faits l’idée d’une orientation providentielle de l’espace-temps.

La vie un accident ?

Et il faut certes qu’il l’ignore pour croire ce qu’il croit. Nul n’est besoin d’entrer dans le fond du problème soulevé par M. Gardair pour constater ceci sur quoi je terminerai : qu’on doit désormais, pour croire à l’absurdité d’un monde sans but, se raccrocher à l’idée intenable (je cite Monod) que la vie est un accident « presque infiniment improbable » et que « l’homme est seul dans l’immensité indifférente de l’Univers ». Je montrerai dans une prochaine chronique combien les astronomes (et en particulier les astronomes français) sont éloignés d’une telle vision, qui contredit tout ce que l’on sait. On verra qu’une initiative qu’ils viennent de prendre, et qui fera l’effet d’une bombe, est fondée sur une idée exactement opposée. (f)

Aimé MICHEL

(*) Chronique n° 94 parue initialement dans France Catholique – N° 1329 – 2 juin 1972.


Notes de Jean-Pierre Rospars

(a) Pourquoi ce titre ? On sait que le court Livre de Ruth, le troisième des Livres historiques de l’Ancien testament, raconte l’histoire émouvante d’une famille israélite et d’une jeune veuve étrangère, Ruth, en des temps de famine et d’épreuves. Il advint que Booz prit Ruth pour épouse, « Booz engendra Obed, Obed engendra Ichay, Ichay engendra David ». Est-ce à cette généalogie du roi David (vers 1000 av. J.-C.), par laquelle se termine le recueil et que reprendra Matthieu, qu’Aimé Michel fait ici allusion en traitant de la généalogie des étoiles ? Ou bien évoque-t-il aussi quelque parallèle entre ce que découvre l’astronome dans les champs d’étoiles où se jouera notre destinée et ce que glane Ruth dans les champs d’orge où se joue son destin à elle ?

(b) Trois autres types spectraux ont été ajoutés à cette liste : R, N et S. Les étudiants n’ont pas attendu l’aide érudite de savants arabes pour populariser une formule mnémotechnique qui met un peu de poésie dans cette aride série de lettres : « Oh, be a fine girl, kiss me, right now, sweetheart! » (Oh ! sois une gentille fille, embrasse-moi tout de suite, chérie !). Cette formule est attribuée à l’astronome américain Henry Norris Russell (1877-1957) qui a donné son nom au diagramme de Hertzprung-Russell, diagramme qui représente la luminosité des étoiles en fonction de leur type spectral. A l’origine l’ordre des lettres étaient alphabétique ; on le changea ensuite pour refléter la température de surface des étoiles.

(c ) Il s’agit de la chronique n° 8 Combien y a-t-il de Terres dans l’espace ? publiée ici le 6 juillet 2009. J’y commente l’argument de la vitesse de rotation des étoiles et fait le point sur la recherche des exoplanètes.

(d) On sait aujourd’hui qu’au moins 10% des étoiles de type G, donc de même masse et composition chimique que le Soleil, ont des planètes (Udry S. et Santos C., Statistical properties of exoplanets, Ann. Rev. Astron. Astrophys., 45: 397-439, 2007). A ce jour aucune planète de la taille de la Terre n’a été détectée. En septembre 2009, Alain Léger, de l’Université d’Orsay, a annoncé la découverte d’une exoplanète dont on a pu, pour la première fois mesurer à la fois le rayon et la masse. Son rayon (1,7 fois celui de la Terre) a été déterminé grâce au satellite CoRot (méthode du transit devant l’étoile) ; sa masse (5 fois celle de la Terre) l’a été par différents télescopes européens au sol (méthode du mouvement radial de l’étoile). On a pu ainsi calculer sa densité qui est compatible avec une planète rocheuse. Elle est située très près de son étoile et tourne autour d’elle en moins d’un jour terrestre. Il est probable que cette planète présente toujours la même face à son étoile. On s’attend donc à une face éclairée très chaude (plus de 1500 °C), avec un océan de roches fondues au centre, une face obscure froide (moins de -80 °C) et, entre les deux, une bande tempérée (0-50 °C) d’une centaine de km de large seulement.

(e) La Terre s’est condensée en même temps que les autres planètes et le Soleil lui-même au sein d’un nuage de gaz et de poussières il y a 4,55 Ga (milliards d’années). La formation des planètes a été relativement rapide – quelques dizaines de millions d’années. Selon une hypothèse commune un corps de la taille de Mars a percuté la Terre il y a 4,44 Ga, ce qui a donné naissance à la Lune. La Terre, la Lune et les autres planètes ont continué d’être bombardées par des comètes et autres corps (planétésimaux) jusque vers 3,8 Ga (voir Th. Encrenaz et coll., Le système solaire, EDP Sciences & CNRS Editions, 2003, chap. 4). Il est possible que la vie ait pris naissance dès la fin de cette période de cataclysmes. En 1987, J.W. Schopf et B. Parker décrivent des microfossiles dans une roche sédimentaire australienne (Warrawoona) datée de 3,3 à 3,5 Ga mais cette interprétation est contestée par la suite. En 1997, A. H. Knoll et E.S. Barghoorn découvrent dans des roches sud-africaines de 3,4 Ga des structures semblables à des cyanobactéries, dont certaines paraissent se diviser, mais ils n’excluent pas la formation de ces sphères par un processus purement physique. Un bon indice du démarrage de la vie dès cette époque est fourni par une légère modification du rapport isotopique des carbones non radioactifs 12 (le plus abondant) et 13, à Warrawoona mais aussi au Groenland dans des roches datées de plus de 3,7 Ga. L’enrichissement en 12C peut s’expliquer par l’activité de micro-organismes photosynthétiques, car la photosynthèse préfère le dioxyde de carbone « léger » (12CO2) au « lourd » (13CO2), mais sans qu’on puisse exclure totalement un processus non-biologique. On trouvera une mise au point critique sur ces premiers signes de vie dans A.H. Knoll, Life on a young planet, Princeton University Press, 2003, chap. 4. L’auteur conclut malgré tout que « Il y a 3,5 milliards d’années, la diversification métabolique qui assura la perpétuation à long terme de la vie avait presque certainement commencé. Des communautés microbiennes complexes assuraient les cycles du carbone et d’autres éléments à travers la biosphère. Il est même possible que la photosynthèse ait été présente. » (p. 88).

(f) Il s’agit probablement d’une allusion aux articles de Pierre Guérin, de l’Institut d’astrophysique de Paris et de Jacques Lévy, de l’Observatoire de Paris, sur la question des ovnis. Ces articles parurent trois mois plus tard dans la revue Sciences et Avenir de septembre 1972. Aimé Michel en fera un compte-rendu dans la chronique n° 110 Les OVNIS et l’irrationnel, in La clarté au cœur du labyrinthe, chap. 20, pp. 505-507.


Rappel :

Entre 1970 et sa mort en 1992, Aimé Michel a donné à France Catholique plus de 500 chroniques. Réunies par le neurobiologiste Jean-Pierre Rospars, elles dessinent une image de la trajectoire d’un philosophe dont la pensée reste à découvrir. Paraît en même temps, une correspondance échangée entre 1978 et 1990 entre Aimé Michel et le sociologue de la parapsychologie Bertrand Méheust. On y voit qu’Aimé Michel a été beaucoup plus que le « prophète des ovnis » très à la mode fut un temps : sa vision du monde à contre-courant n’est ni un système, ni un prêt-à-penser, mais un questionnement dont la première vertu est de faire circuler de l’air dans l’espace confiné où nous enferme notre propre petitesse. Empli d’espérance sans ignorer la férocité du monde, Aimé Michel annonce certains des grands thèmes de réflexion d’aujourd’hui et préfigure ceux de demain.

Aimé Michel, « La clarté au cœur du labyrinthe ». Chroniques sur la science et la religion publiées dans France Catholique 1970-1992. Textes choisis, présentés et annotés par Jean-Pierre Rospars. Préface de Olivier Costa de Beauregard. Postface de Robert Masson. Éditions Aldane, 783 p., 35 € (franco de port).

Aimé Michel, « L’apocalypse molle ». Correspondance adressée à Bertrand Méheust de 1978 à 1990, précédée du « Veilleur d’Ar Men » par Bertrand Méheust. Préface de Jacques Vallée. Postfaces de Geneviève Beduneau et Marie-Thérèse de Brosses. Éditions Aldane, 376 p., 27 € (franco de port).

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  1. (Comme le graphique d’A.G.W. Cameron et G. Ezer, de l’Institute for Space Studies, New York, cité par Schklovski et Sagan : Intelligent lite in the Universe, San Francisco, 1966, p. 77, figure 6-3.)