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Avoir eu pour maître Friedrich Von Hayek et Leo Strauss à Chicago, avoir rencontré à Paris Pierre Grimal, Pierre Chaunu et Raymond Aron, c’était une belle introduction à la vie intellectuelle. Je remarque que la génération de Claude Fouquet, n’a pas toujours bénéficié de tel patronage et d’une telle initiation. L’attirance pour le marxisme était la note dominante de la période d’après-guerre, du moins à Paris. Ce n’était pas le libéralisme de Hayek qui était à la mode et le nom de Sartre s’imposait alors à l’horizon de la pensée. Il y avait sans doute très peu d’étudiants français, notamment en philosophie et en philosophie politique, pour avoir entendu parler d’un Léo Strauss, a fortiori, si l’on avait su que le dit Strauss s’intéressait de manière privilégié aux lumières du Moyen Age, on lui aurait tourner le dos pour s’accrocher fermement aux seules lumières de notre dix-huitième siècle.
Mais il est vrai que, même en France, il y eut un tournant dans les années 80. Paradoxalement, au moment où la gauche prend le pouvoir avec François Mitterrand, la pensée radicale qui avait dominé les décennies précédentes se trouve refoulée. Ses représentants traversent l’Océan pour formuler en Amérique ce qu’on appellera la French Theory. A Paris, on prend conscience qu’il valait beaucoup mieux avoir raison avec Raymond Aron que de délirer avec Jean-Paul Sartre, et c’est un véritable printemps du libéralisme avec le retour en force de Tocqueville, une nouvelle historiographie de la révolution avec François Furet et, plus timidement sans doute mais de plus en plus surement, la découverte des grands représentants du libéralisme, avec Hayek. De ce point de vue Claude Fouquet est sans doute un précurseur et le fait qu’il ait été associé à la fondation de la revue Commentaire, en 1978, avec Raymond Aron démontre qu’il participa à ce tournant intellectuel. Cependant, le propre de la vie des idées, et leur intérêt aussi sans doute, est de contribuer à des débats qui parfois rejoignent la scène politique. On le vit bien aux États-Unis avec la fortune de ceux qu’on appelle les néoconservateurs, qui influencèrent incontestablement les deux mandats présidentiels de Georges Bush. Or ces néo-conservateurs avaient été à l’école de Léo Strauss. On pouvait être en désaccord avec eux mais il n’était pas possible de contester leur brio intellectuel. La publication en français de L’âme désarmée d’Alan Blum, l’un des plus brillants représentants du courant, fut une véritable révélation pour nous. Cependant, je l’ai dis, il y a débat. Les néo conservateurs sont plus que contestés aux États-Unis et en France. Leo Strauss est mieux connu qu’il ne l’a été mais il souffre toujours d’une mauvaise réputation.
Impossible de dénouer bien sûr en quelques lignes des débats aussi complexes, même s’ils sont décisifs. Une question pourtant : la crise actuelle n’est-elle pas une remise en question d’un certain optimisme libéral, du moins en économie ? Ne sommes-nous pas contraints de prendre en compte des défis radicaux qui nous obligent à revoir beaucoup de nos paramètre ? Certains pensent que nous frôlons l’abîme, et un Jean-Pierre Dupuy, disciple très proche de René Girard s’est fait le théoricien de ce qu’il appelle un catastrophisme éclairé. La pensée n’est-elle pas en train d’aborder un continent nouveau, énigmatique, propre à susciter de nouvelles joutes intellectuelles ?
Le Grand Témoin, le 7 octobre, à 7h33, présenté par Louis Daufresne.
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Claude Fouquet, historien, économiste, auteur de Modernité, source et destin, (L’Harmattan)
http://fr.wikipedia.org/wiki/Claude_Fouquet