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Je n’ai pas encore lu le dernier ouvrage de mon excellent collègue Michel Cool. Mais son titre même m’incite à penser que l’actuelle crise économique et financière l’ont incité à chercher les causes profondes et réelles d’une perturbation qui met en cause l’économie à l’heure de la mondialisation. Michel Cool, de par son appartenance à ce christianisme social – bien connu dans le nord – ne saurait séparer les grandes questions classiques, de la science économique, des interrogations fondamentales de la civilisation. Pardon pour ces grands mots. Ce faisant, il s’inscrit dans une tradition qui est celle du christianisme social des grandes encycliques, qui jusqu’à Veritas in Caritate, ont balisé la réflexion des chrétiens en relation avec celle des hommes de bonne volonté.
Mais le caractère original et nécessaire d’une telle réflexion a fait parfois difficulté. Les historiens remarqueront sans doute que les décennies 60 et 70 ont été marquées par une sorte d’éclipse de la doctrine sociale de l’Eglise. Parfois, violemment contestée comme idéologique, moralisante, etc. Je n’aurais pas la prétention d’analyser ce moment de doute qui a pu affecté les chrétiens eux-mêmes. Mais si je m’en rapporte aux bons auteurs, il concernait la question des finalités de l’action humaine. Et cette question là a pu rapprocher des courants d’inspirations absolument contraires qui voulaient émanciper l’économie de toute régulation morale. C’est ainsi que la pensée de Karl Marx a fait l’objet de grandes controverses pour déterminer si elle était inspirée ou non par un humanisme profond.
La thèse du grand philosophe Michel Henry, qui a écrit deux gros volumes sur le sujet, est que l’auteur du Capital a bousculé l’économie classique en obligeant à discerner les phénomènes d’aliénations et d’exploitations. A l’inverse, Louis Althusser, qui eut une influence étonnante chez nous, voulait purger le marxisme de toute contamination humaniste pour affirmer ce qu’il appelait sa pure scientificité. Mais du côté libéral, qui triompha à partir des années 80, il y avait une volonté analogue, purement scientifique, qui dans la ligne la plus classique des fondateurs – Bernard Mandeville, Adam Smith – établissaient que le développement sans précédent des forces de production s’expliquait par leur émancipation des régulations anciennes devenues archaïques. C’est l’affaiblissement des systèmes d’interdits et d’obligations qui auraient en quelque sorte libéré le dynamisme productif, faisant de l’économie la clé de la modernité et lui conférant tout pouvoir pour régir la société et le monde lui-même à l’heure de la mondialisation.
Contre cette réduction économiste, le christianisme a résisté fermement avec sa doctrine sociale. J’ai déjà raconté ici-même comment un économiste comme François Perroux s’était dressé contre les concepts fondamentaux de la science économique classique pour rétablir la perspective des finalités et de la place de l’homme. Les spécialistes savent qu’il aurait mérité amplement le prix Nobel, mais c’est sans doute sa différence catholique qui lui barra la route de Stockholm. L’accueil qui a été fait à la dernière encyclique montre en tout cas qu’il ne s’était pas trompé en posant au cœur de l’économie une interrogation égale à ce que suppose l’essor d’une civilisation humaine.
Ecoutez Michel Cool, auteur de « Pour un capitalisme au service de l’homme, Paroles de patrons chrétiens », Albin-Michel :
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