JEUDI 17 septembre
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La série de suicides qui s’est produite dans l’entreprise France Telecom provoque, à juste titre, une grande émotion dans le pays. Vingt-trois morts en 19 mois, c’est un symptôme d’évidence alarmant. Et l’on comprend la mobilisation syndicale ainsi que la pression, gouvernementale et médiatique, qui est mise sur le PDG, Didier Lombard. Lui-même admet se trouver dans « un espèce de spirale dramatique » qui s’est enclenchée cet été après les premiers drames. Et c’est France Telecom dans son ensemble qui est mis en état d’alerte, avec arrêt des mutations de personnel, détection des personnes à risques et repérage de toutes les causes possibles de stress dans le travail et les relations entre membres du personnel.
Mais ce n’est pas un cas unique qui se trouve ainsi mis en lumière et dénoncé par des éditoriaux d’une singulière violence. Laurent Joffrin dénonçait hier dans Libération « une culture créée par les forts qui assimile l’économie à une forme de guerre, requérant la mobilisation générale, le patriotisme fervent et la sanction régulière des défaillances. Quand le management devient martial et l’entreprise une armée sans fusils, la métaphore se prolonge jusqu’au drame : chacun sait qu’à la guerre, il y a des morts. »
C’est du coup, au-delà de France Telecom, toute notre société avec son culte de l’efficacité et ses méthodes de management qui se trouve mise en procès. Et l’affaire ne date pas de ces derniers mois. Il y a plus de 10 ans, en 1998, paraissait l’ouvrage de Marie-France Hirigoyen, psychanalyste et psychothérapeute familiale, intitulé Le harcèlement moral. Ce fut un immense succès : cinq cent mille exemplaires vendus, 26 demandes de traduction dans le monde entier.
Le harcèlement dans l’entreprise ne concernait pas seulement la France et l’Europe, il était lié aux phénomènes de la mondialisation. On comprend que le sujet soit aujourd’hui au centre de toutes les interrogations sur l’avenir du travail, de l’entreprise et de l’économie. Jean-Pierre Le Goff, un de nos meilleurs sociologues, n’hésite pas à déclarer que « la défense des victimes du harcèlement prend le relais des luttes de la classe ouvrière dans une optique qui allie la psychologie, la morale et la loi. Pour beaucoup, cette défense rejoint le combat contre le capitalisme qui cherche à trouver un second souffle. »
Comment dans ces conditions aborder sérieusement un sujet d’une telle ampleur ? Hier, on parlait d’une « civilisation du travail ». Aujourd’hui, l’accent est mis sur la performance, l’efficacité, la mobilité nécessaire au dynamisme. Cette belle dynamique est rattrapée par la dénonciation d’une autre forme d’exploitation humaine, qui jouerait sur des mécanismes psychologiques pervers. Il en résulte, comme le remarque Jean-Pierre Le Goff, une psychologisation qui conduit à la confusion et aux abus. Car la question n’est pas uniquement psychologique. Elle renvoie à toutes les valeurs et aux modes de fonctionnement de notre société. Ce n’est pas par la chasse aux « pervers » que l’on sortira de nos difficultés actuelles, mais par une interrogation soutenue sur ce qu’on pourrait appeler nos fondamentaux. « Le phénomène du harcèlement survient, dit encore Le Goff, dans un moment marqué par une temporalité désarticulée de l’histoire et une crise de pouvoirs et des institutions qui ont de plus en plus de mal à assumer leur rôle de référence et de protection. » Certains voudraient remédier à cela par des codes éthiques. Nul doute que la morale ne joue un grand rôle dans la vie sociale. Mais attention ! La morale énoncée en code peut être également imprégnée de technocratisme. L’Évangile nous fait vivre dans un autre climat, celui d’un art de vivre ensemble. N’est-ce pas cela que nous sommes en train de perdre, pour notre plus grande confusion ?
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