VIII
CASTELNAU, CATHOLIQUE INSOUMIS !
« Dimanche 19 mars 1944,
« De Castelnau est mort hier, il avait 93 ans et était violemment anti-vichyssois.
On signale aussi le décès du poète « dadaïste » Max Jacob ».
nota Pierre Limagne dans ses Ephémérides (t.3, p. 1853).
Le Général eut droit à plusieurs messes et bénédictions : à Fourvière, à Saint-Front de Périgueux, au Sacré-Cœur de Montmartre avec « hommage discret mais sincère » (La Croix 5/4/44) selon les propres termes du cardinal Suhard. Il eut même droit à un long éditorial dans l’Osservatore Romano et le Cardinal-secrétaire d’Etat Naglione, auquel il avait causé du souci, présentat à la famille les condoléances du Saint-Père.
Surtout, Mgr Saliège présida les obsèques à Montastruc et il fit lire une allocution qui, étant donné la personnalité de l’archevêque de Toulouse et son franc-parler, mérite citation :
« Celui-là a été un preux. Avec une parfaite loyauté, il a tracé dans sa vie une ligne droite et n’a pas dévié… »
Et après avoir rendu hommage « au grand soldat qui savait prendre ses responsabilités, qui avait de la vie une conception ferme qui inspirait tous ses actes et qui rendait inébranlable sa conscience ». Mgr Saliège de rappeler le rôle de cette FNC « dont il voulait faire non pas un instrument de guerre, mais un instrument de défense dans la religion, attaquée dans ses œuvres vives et en même temps un insrtrument de pacification des esprits dans la France divisée… »
Puis, en conclusion : « C’était un preux, un homme qui honorait à la fois la France et le catholicisme… Il s’en est allé porter auprès de Dieu la prière de la France qui ne veut pas mourir. Il s’en est allé plaider la cause de ce pays dont il aimait à chanter les beauté, à raconter la floire. L’Eglise catholique se devait de rendre hommage à celui qui fut un chevalier de la foi sans peur et sans reproche. Le général de Castelnau était pour une fierté, un appui et un drapeau… » (in La Croix 23/3/1944).
IL LEUR EN AVAIT FAIT TANT SUBIR !
Assurément les hommages, c’était facile. Et pour certains bien soulageant ! Il leur en avait tant fait voir ce sacré personnage !
Extraordinaire qu’un Général pécha par indiscipline ? N’exagérons rien ! On en a vu d’autres depuis et dans des circonstances plus dramatiques ! Extraordinaire que des évêques qui, de mandements en homélies, célèbrent comme une innovation unique dans l’Histoire la « promotion du laïcat » refusent l’asbolution à un laïc qui osa faire montre d’indépendance au nom de ses compétences et de ses convictions fondamentales ? N’exagérons rien ! Quel pouvoir pardonne qu’on ne se mette pas à genoux, à ses ordres ? Les ecclésiastiques aussi sont des hommes !
Quel péché irrémissible commit donc le Général ? Pour lui trouver un nom – puisqu’il n’est pas cité dans le catéchisme – appelons-le : le péché de « lèse-nouvelle vague (catho) » aggravé en plusieurs occasions de « lèse-diplomatie vaticane ». En outre, battant le record de Saint Pierre, ce fut à, au moins, quatre reprises que le général de Castelnau porta atteinte à l’autorité « divine » de la Hiérarchie catholique et romaine.
1928 : PREMIERE PASSE D’ARMES !
Avant d’évoquer ces autre crises, deux précisions sont opportunes. D’une part, il est certain que le général, « ferme et habile, d’une habileté paysanne teintée de roublardise » (A. Dansette) ne prit pas grand soin pour éviter les confusions entre ses positions comme président de la Ligue de patriotes ou d’éditorialiste de l’Echo de Paris et celles, presque continuellement plus nuancées voire différentes – de la FNC qu’il faisait plus que présidait puisqu’il l’animait au sens le plus fort de ce verbe. Quelques fois, l’archevêque de Paris dut se sentir « piégé ». D’autre part, ses positions spécialement et principalement en politique extérieure – le « social » ne fut pas un vrai « point chaud » – heurtaient au-delà de la diplomatie de Rome, la sensibilité et les options des générations catholiques montantes – et impétueusement montantes ! Au debut des années 30, celles-ci inclinaient vers la fraternité, vers le désarmement. Parfois, du côté de Marc Sangnier, vers le pacifisme.
Cela étant, la première crise éclata à l’occasion d’une prise à parti vigoureuse du quotidien L’Ouest-Eclair, le 3 février 1928, contre le général de Castelnau et contre la FNC. L’Ouest-Eclair était la propriété de l’abbé Trochu, démocrate-populaire, la campagne des législatives approchait, la nonciature était agacée, difficile d’imaginer que cette charge fut accidentelle.
La riposte fut foudroyante :
LE DISCOURS DE MONSIEUR STRESEMAN
« D’une manière générale… l’opinion publique… juge que M. Streseman dépasse, avec une finesse toute germanique, les bornes de la plaisanterie permise…
« Il est pourtant des milieux où les discours du ministre allemand ont mérité les plus sérieuses approbations.
C’est ainsi qu’un important organe de presse régionale de l’Ouest, sous la plume d’un distingue correspondant, loue l’évidente et sincère volonté de paix de M. Streseman…
« Aussi le distingué correspondant, distinguant entre ceux qu’il appelle les « catholiques officiels » et les autres, reproche violemment aux premiers de rester sourd aux enseignements révélés ou tacites du Saint-Sièges…
« Peut-être celui-ci voudrait-il que les « catholiques officiels » soumissent à la curie romaine la question complexe de la sécurité de leurs frontières orientales. Il ignore, donc, qu’à côté de la Sacré-Congrégation des Rites n’est pas encore instaurée « la Sacré Congrégation des Problèmes stratégiques » ?
« … Et alors ? Alors, fort de notre doctrine directement contrôlée aux meilleures sources, nous essayerons de résoudre nous-même et, en toute indépendance, le problème stratégique de l’inviolabilité de nos frontières, avec le constant souci d’assurer à notre pays et à l’Europe, la paix dans la justice… Ce n’est tout de m^peme pas nous, voyons ! Qui avont déchaîné la guerre mondiale « ! (Echo de Paris 10/2/1928).
Ce fut l’émoi aux sommets de la Hiérarchie. Le cardinal Dubois, archevêque de Paris, était à Rome. Il semble qu’il en ait « causé ». Pour ne rien arranger, dans son numéro du 14 février, L’Ouest-Eclair récidivait, publiant une lettre que le Général avait cru devoir rester personnelle entre M. Pagès (le rédacteur du journal) et lui. Du coup, nouvelle érplique en vue dans L’Echo de Paris. Sans attendre, le 18 février, le chanoine Gerlier se précipitait chez le Général pour le supplier de surseoir à celle-ci. Dès son retour de Rome, le Cardinal, le 23 au soir, recevait lui-même Castelnau qui remettait une note de quatre pages.
Ce document ne manque pas d’intérêt. En particulier, le Général y insiste sur le droit à l’indépendance des catholiques citoyens : « D’autre part, j’ai voulu protester, une fois de plus, par mon attitude, contre l’erreur, aussi stupide que très intéressée, qui, dans certains milieux, catholiques ou autres, attribue au Saint-Siège la volonté d’enchaîner le libre-arbitre des fidèles, toujours et partout, même dans le choix des moyens techniques propres à assurer à notre pays et à l’Europe la paix dans la justice et le respect des traités… »
Et si, paradoxalement, la défense de la fameuse « autonomie du temporel » était passée, alors non par les démocrates-populaires mais par ce vieux général « catholique et français » ?
En tout état de cause, Castelnau accepta de ne pas publier sa réplique, L’Ouest-Eclair ayant accepté, de son côté de publier dans son numéro du 1er février un communiqué intitulé : « L’incident est clos ».
1931 : LE GENÉRAL DE SIGNE PAS ET NE VA PAS A LA MESSE !
C’est en 1931 que le Général récidiva dans l’indiscipline pour la seconde fois. Toujours sur les orientations de politique étrangère.
Cette année fut celle de la « guerre des manifestes ». Le 18 janvier parut le premier. A l’initiative de Jean Luchaire, 186 intellectuels (dont Gabriel Marcel et François Mauriac) : « Il importe que ce pays riche d’un passé généreux (la France) ose proclamer que la nouvelle Europe et l’entente franco-allemande qui en est la clef de voûte ne pourront naître que d’accords librement consentis par des peuples apaisés. » Le 25 janvier suivant, un second manifeste était lancé, un « Manifeste des jeunes intellectuels mobilisables contre la démission de la France ». Parmi les 202 noms : Brasillach, de Fabrègues, J.-P. Maxence, H. Massis, Thierry Maulnier. Le 9 avril, La Croix publiait le troisième manifeste.
Cette « Déclaration des Jeunes Catholiques sur la Paix » saluait l’aube d’espérance dans la paix, rappelait les déclarations pontificales et affirmait l’appui aux institutions internationales « Notre patriotisme vigilant professe d’ailleurs que le problème du désarmement doit être lié à ceux de la sécurité collective ». Ce texte était signé de très nombreux groupements catholiques : CJF, JAC, jec, JOC, CFTC, Action Populaire, Secrétariats Sociaux, etc.
La FNC ne figurait pas parmi les signataires. Dans une circulaire confidentielle (8 mai 1931, citée par J.-C. Delbreilh), le général de Castelnau expliquait cette abstention : « L’attitude de la FNC dans cette affaire a été déterminée par notre répugnance à mettre notre signature au bas d’un texte qui m’est apparu tout de suite comme hâtivement préparé, ne disant pas suffisamment que les catholiques français entendent trouver au-delà des frontières un état d’esprit égal au leur ». Il ajoutait qu’il avait été lobjet de pression de la part d’une « personnalité » agissant pour l’autorité ecclésiastique.
Au fin du fond, en refusant sa signature, Castelnau était fidèle à sa philosophie de l’action internationale. Il dut penser à cet incident quand, dans le seul article qu’il ait donné à l’hebdomadaire Demain, il écrivait, le 15 février 1942 :
LES LeçONS OUBLIEES
« L’adage de la sagesse antique « Si tu veux la paix, prépare la guerre » a été au lendemain de la guerre de 1914-18 violemment condamné… A la doctrine des Anciens, des âmes affaisaissées et des esprits subtils ont triompahlement opposé la « devise » des temps nouveaux : « Si tu veux la paix, prépare la paix… »
Comme il était normal, l’attitude du Général provoqua des mouvements divers. Notamment, il fut pris vivement à partir par Francisque Gay (in Vie Catholique 16/5/1931). L’incident faillit rebondir – et et il n’est pas inimaginable que d’aucuns le souhaitaient – le 19 juin 1931. Ce dimanche-là, le chancelier d’Allemagne Bruning, en visite officielle à Paris, assista en la basilique Notre-Dame des Victoires, à la messe mensuelle pour la paix, organisée par le Père Debusquois, direction de l’Action Populaire. Il fut reçu dans cette église par le ministère des pensions Champetier de Ribes (du PDP), de nombreuses personnalité du catholicisme social, de l’ACJF, du PDP assistèrent à la cérémonie dont la presse rendit compte à bonne place. Evidemment, le Général n’alla pas à cette messe et il n’écrivit même pas d’éditorial dans L’Echo de Paris. Dans ce quotidien, on se borna à rendre hommage à la « dignité de la vie privée » du Chancelier, à souligner qu’il était « officier-mitrailleur et membre du tiers-ordre franciscain », à commenter que « chez nous, on est enclin, parfois, à considérer le Centre catholique comme un élément de pondération en politique étrangère (alors que) depuis quinze ans cette vue a bien des fois été démentie par l’événement » (Echo de Paris 19/7/1931).
Le Général ne rompit son silence sur cette messe fameuse qu’en 1936. Dénonçant les responsables de « la politique d’illusion, de faiblesse, d’abdication, suivie depuis dix ans vis-à-vis de l’Allemagne, il laisse tomber :
« C’en est fini des finasseries qui oscillaient entre la Loge du Grand-Orient et le Sanctuaire de Notre-Dame des Victoires » (Echo de Paris 14/3/36, France Catholique 14/3, cité par René Rémond in Les catholiques dans la France des années 30, éd. Cana).
TROISIEME INCARTADE : L’ACJF DANS LE COLIMATEUR !
La troisième indiscipline du Général vira au sacrilège ! En tous cas, elle lui fit des ennemis quasi-héréditaires ! Il faut avouer qu’il n’y avait pas été avec modération, toujours en proie à cette liaison passionnelle qui le dévorait : « Pour nous, catholique de France, l’attachement à la foi de nos père est et reste inséparable d’une indéfectible fidélité au culte de la patrie » (Echo Paris 13/1/1928). Il faut non moins convenir que dans leur certitude d’avoir choisi le bon chemin de la paix et dans leur non moindre désir de « liquider » le nationalisme, « c’est bien d’une liquidation qu’il s’agit » (Christianus in Vie intellectuelle, décembre 1932, p. 370) puisque « la charité chrétienne… décidément ne peut faire bon ménage avec le nationalisme », les nouveaux cathos ne lésinaient pas sur les moyens polémiques.
Ainsi, dans les « Annales de l’ACJF » était publié, le 15 octobre 1932, un article intitulé « AU SERVICE DE L’ESPRIT DE GUERRE ». Observant que les grands quotidiens nationaux insistaient sur les faiblesses de la SDN et sur « La mauvaise foi de l’Allemagne », etc. L’auteur croyait en trouver la cause dans « l’intérêt matériel chez presque tous, et chez les autres une question de mentalité ». A partir de là étaient désignés comme les principaux fauteurs de guerre : le « Comité des Forges, pour la France, et le trust Hugenberg pour l’Allemagne », étant considéré comme assuré que ces trust « en temps de guerre, par l’influence que chaque branche nationale exerce sur l’éat-major de son pays (empêchent) la destruction des usines dans le pays adverse, augmentant ainsi les chances de durée du conflit ». Comme preuve, inéluctablement, l’auteur utilisait une affaire, alors fameuse : « le non-bombardement par l’aviation française (au cours de la Guerre 14-18) du bassin de Briey (en Lorraine) où se fabriquaient une grosse partie des munitions allemandes est dû à l’action sur l’état-major du Comité des Forges qui avait partie liée avec la Metallgesllschaft allemande. »
La riposte ne se fit pas attendre, d’autant que Castelnau – rappelons-le – avait été chef d’état-major adjoin avant 1914 et qu’il avait commandé en Lorraine durant la guerre. Dans l’Echo de Paris, du 23 novembre 1932, elle déferla, cinglante :
« L’HISTOIRE TELLE QU’ON L’ENSEIGNE A LA JEUNESSE CATHOLIQUE »
« Ces stupides imputations ne sont évidemment justiciables que du profond mépris…
« Il suffira, pour en dégager l’inspiration profonde, se signaler les sources où, de son propre aveu, le rédacteur…
« Est-ce l’esprit de guerre qui anime les maître éminents appliqués à instruire, avec une admirable générosité, la jeunesse laborieuse orientée vers les grandes écoles militaires de notre pays ? Non, certes ! C’est uniquement et exclusivement « l’esprit de légitime défense ». Il n’a certes jamais été condamné, celui-là, ni par saint Thomas d’Aquin, ni par le savant Suarez, ni…
« Comme catholiques et comme Français, nous sommes aussi sincèrement attachés que quiconque à l’organisation de la Paix. Mais nous voulons la Paix dans l’honneur, la dignité et la sécurité de notre pays.
« C’est pour cette Paix et pour cette paix seulement, que nous avons sacrifié nos enfants.
Et, in fine, cette condamnation explosive : « L’Association Catholique de la Jeunesse de France fut, jadis, un admirable foyer de formation morale et religieuse. « Elle a rendu à l’Eglise et à la France d’éminent services. « Mais, à l’heure actuelle, elle se manifeste comme un groupement politique, une pépinière de recrues « au service » d’utopies dangereuses et de doctrines révolutionnaires. Aux foyers catholiques d’aviser ! »
A ces mots, ce ne fut pas l’explosion ! Ce furent des explosions en chaîne qui s’étendirent sur plusieurs années : 1933, 1934, 1935, etc. La presse catholique donna ferme contre le Général : L’Aube, La Vie catholique, Sept, La vie intellectuelle, etc. Peut-être François Mauriac donna l’explication de cette énorme querelle :
« Cette génération se sent coincé entre deux hécatombes, et celle qui n’est encore qu’une menace mais dont le cauchemar pèse sur eux, ils ne voudraient pas qu’un seul mot pût faire croire qu’ils l’acceptent d’avance, qu’ils s’y résignent. On sent qu’à leurs yeux, c’est être déjà complice du destin que de prévoir le mire et de le croire possible… D’où leur haine. C’est une génération d’autruches… (Echo de Paris, 28/1/1933).
Et les évêques dans tout ça ? Aux cent coups ! Dans une situation difficile ! Ils ne pouvaient rien contre Castelnau. Ils souhaitaient d’un grand désir couvrir leur ‘Action Catholique », l’Action Catholique version 1930. Par ailleurs, les temps changeaient. En janvier, février, Hitler prenait le pouvoir, se faisait voter les pleins pouvoirs, le Reichtag était incendié. Adieu Briand, adieu Bruning, etc.
Le cardinal Verdier couvrit de fleurs la JOC (lettre du 27/11/32). Ils obtinrent, non sans mal, que l’auteur de l’article démissionnât du Comité Général de l’ACJF. Ils vérouillèrent le congrès de l’ACJF consacré à la conception chrétienne de la paix (21-23/4/32). Ils firent différer le numéro de la Documentation catholique relatant cet incident notable. Les méthodes ordinaires de tout pouvoir, quoi !
Du coup, l’orage retomba. Laissant des traces. Encore davantage que les évêques, les laïcs de l’Action catholique ne pardonnèrent jamais au Général l’outrage ! Ceux qui devinrent historiens s’en vengèrent en l’ignorant ou en le rapetissant !