Q. : Père Pios, quelle est la situation actuelle de la population irakienne et notamment des chrétiens irakiens?
R. : D’abord, nous sommes dans un état d’occupation très pénible, désastreux même, parce qu’il a bouleversé toutes les structures du pays, sur tous les plans. Ainsi tout le peuple souffre de cette occupation qui dure depuis six ans, et dont les effets sont très néfastes pour les gens de toutes confessions.
Maintenant, il y a une amélioration, mais très lente. Et de temps en temps, reviennent les bombardements, les attentats, les enlèvements. Ça n’en finit pas. On est dans un chaos où il n’y a pas moyen d’avoir une sécurité très solide, très fiable, très stable.
Q. : Et quelle est la situation des chrétiens?
R. : Comme les autres citoyens, ils souffrent de ce chaos. Ils en souffrent parfois peut-être un peu plus, à cause des mouvements islamistes intégristes. Parce qu’ils sont davantage visés, ils sont parfois obligés de quitter le pays. Ce qui est un effet très néfaste. Les chrétiens, toutes confessions confondues, sont partis dans le monde entier. Les autres attendent leur tour; les gens pensent toujours à sortir [du pays], pour chercher du travail, pour chercher une meilleure sécurité.
Q. : Quel est le travail de votre Centre et en quoi peut-il être utile au développement de l’Irak?
R. : (enthousiaste) C’est votre meilleure question! Vraiment ce Centre apporte une joie et un espoir parce que nous continuons. Malgré toutes ces circonstances tragiques, que nous avons connues après la chute du régime [de Saddam Hussein], nous n’avons pas voulu cesser. L’effectif des étudiants a un peu baissé; certainement parce qu’il y a beaucoup de gens qui ont émigré dans les villages.
Il y a deux ans, au lieu de 140 étudiants, nous n’en avons reçus que 40 seulement. Mais ça continue quand même. Avec deux années de Nouveau Testament et deux années pour l’Ancien. Il y a déjà 8 cycles d’étudiants qui ont terminé leurs études de quatre ans, pour un total de 370 étudiants qui ont eu un diplôme de fin d’études. Ça donne un peu d’espoir parce que ça forme une base, des gens qui ont vraiment une culture biblique dont ils peuvent se servir dans les catéchèses, dans les activités des Églises, partout, à Mossoul et dans les alentours. En effet, habituellement nous avons des étudiants de tous les villages des alentours de Mossoul. Mais pour le moment, ce n’est plus le cas : il n’y a que les gens de Mossoul qui viennent.
(Pour ce qui est du travail d’édition du Centre) : Depuis l’an 2000, nous avons commencé à traduire et à publier les Dossiers de la Bible qui sont produits par le Service biblique Évangile et Vie. Nous en sommes maintenant au numéro 37, à raison de quatre numéros par an. Petit à petit, cette parution connaît une amélioration : tant pour l’impression, la mise en page que pour la qualité du papier, la couverture, etc. Nous tirons à mille exemplaires et il y a 5 à 600 copies qui sont vendues. Et cela à très bas prix parce que c’est soutenu [entre autres] par Aide à l’Église en Détresse. C’est vraiment un travail qui donne de l’espoir pour l’Église d’Irak.
Et puis, à côté de ces dossiers, nous avons commencé à publier, aussi dans l’année 2000, des livres de la collection Recherches bibliques. Nous sommes à la parution du 14e numéro. Il y a deux ans, quand j’étais au Canada pour le Congrès de l’UCIP (Union catholique internationale de presse) où nous avons reçu la médaille d’or pour notre magazine Al fikr al Masih, j’ai trouvé – avec une grande joie – un livre de la collection Commentaire pastoral, commentaires du Nouveau Testament. Ce sont des spécialistes qui écrivent, mais qui écrivent pour le grand public. Très simple, mais très fort, très solide. Nous avons projeté de publier dix livres de cette collection. Le premier paru a été Saint-Mathieu, et maintenant Saint-Jean. Dans cinq ans, les dix livres seront parus et diffusés à Mossoul et aux alentours.
Pour l’instant, c’est un peu dommage qu’il n’y ait pas beaucoup de lecteurs, mais le fait est là : ces livres sont parus, ils sont à la disposition des gens, et à bas prix. Je vous donne un exemple : celui de Mathieu (300 pages) qui est paru il y a à peine un an et qui est vendu 3000 dinars, ce qui équivaut à 3,00 dollars canadiens! C’est impensable chez vous (grand éclat de rire)!
Q. : C’est vraiment exceptionnel que vous ayez pu, en temps de guerre, faire paraître ces livres!
R. : C’est une grâce de Dieu qui nous a donné du courage. J’ai été kidnappé il y a un an et demi, pendant 9 jours, et le lendemain de ma libération j’ai continué les cours au Centre. Les cours et les publications n’ont été arrêtés d’aucune façon! Ça réjouit beaucoup, vraiment! J’étais avec un condisciple, un jeune prêtre, quand nous avons été kidnappés. Nous sommes restés sur place, à Mossoul même, et continuons notre apostolat et nos activités. Nous n’avons pas fui! (éclat de rire).
Q. : Justement Père Affas, en octobre 2007, comme vous venez de le mentionner, vous avez été enlevé pendant neuf jours. Que gardez-vous de ces moments?
R. : C’est une magnifique expérience pour moi et pour mon condisciple aussi! Parce qu’une fois que nous avons été kidnappés, nous avons eu la mort en face. Et au lieu d’avoir peur, nous avons été dans la paix, dans la confiance. Nous nous sommes mis à la disposition du Seigneur. “Si tu veux que nous continuions notre apostolat, tu vas nous aider à sortir, sinon c’est ton affaire.” Nous avons pu parler ainsi dans nos prières, dans le secret de nos âmes. À notre sortie, c’est vraiment une nouvelle vie qui s’est ouverte pour nous. Nous avons vraiment senti un mouvement mondial de solidarité avec nous : les prières qui ont pu vraiment contribuer à notre libération, et surtout l’appel du pape Benoît XVI.
Une fois sortis, nous l’avons dit dans nos témoignages, dans nos homélies, en prenant l’exemple de Saint-Pierre. Quand il fut sorti de prison, les chaînes sont tombées, et il s’est dit en lui-même : “Je vois, c’est le Seigneur qui a envoyé son ange ”. Nous avons connu les mêmes sentiments. Alors, c’est une nouvelle vie qui s’est ouverte pour nous : nous avons donné tous nos efforts pour servir la Parole de Dieu et notre population.
Nous n’avons pas voulu quitter [Mossoul] parce que nous voulions donner du courage aux chrétiens qui sont restés. Et ça les encourage à rester. Quand ils voient leurs pasteurs rester sur place, ça leur donne un meilleur courage, un espoir.
Q. : Pour vous, que représente l’année sacerdotale qui a commencé le vendredi 19 juin 2009?
R. : J’étais alors à Rome et j’ai assisté aux Vêpres présidées par le pape à Saint-Pierre. J’ai eu vraiment ce sentiment – j’ai 47 années de sacerdoce – que le sacerdoce est premièrement un service. Être au service des gens pour les aider dans leur marche pénible, cette marche de la foi.
Le prêtre doit vraiment être comme un leader de cette marche, avec ses fidèles. Ils vont ensemble chercher les voies du Seigneur, et pour donner un témoignage dans ce monde qui perd les valeurs spirituelles. Alors, j’espère que cette année va donner un meilleur élan à tous les prêtres du monde entier, pour témoigner de Jésus Christ dans ce monde.
Q. : Quels sont vos espoirs pour l’avenir en Irak?
R. : Le grand espoir c’est la paix, la sécurité et la stabilité du pays pour tous les citoyens. Et bien sûr pour les chrétiens, parce que c’est vraiment dommage qu’ils soient contraints de quitter : c’est une perte.
Quand il y a eu cette affaire des chrétiens qui ont dû quitter Mossoul (meurtres et menaces de mort en octobre dernier, forçant près de 10 000 chrétiens à fuir la ville), il y a eu une déclaration des évêques de Mossoul pour dire que nous ne pouvons pas du tout renoncer à cette présence [chrétienne], qui est importante pour nous. Nous avons vécu des siècles ensemble avec nos frères musulmans, nous ne voulons absolument pas que cette présence soit cachée. J’espère beaucoup que ceux qui restent continuent à témoigner de cette présence du Christ dans ce pays.
Ce problème des chrétiens de Mossoul a eu aussi un effet tout à fait positif, parce que les musulmans eux-mêmes ont tenu à notre existence. Dans les mosquées, ils ont déclaré : «Nous sommes avec nos frères chrétiens, ils sont originaires du pays, ils sont des citoyens authentiques d’Irak, et alors nous voulons toujours les avoir avec nous pour bâtir et construire ce pays ensemble.» Ça, c’est l’espoir qu’il n’y ait aucun obstacle à cette convivialité très importante dans le pays, qu’il n’y ait pas d’entraves à cette convivialité.