La conclusion de l’année Saint Paul, qui intervient avec la fête des apôtres Pierre et Paul ce 29 juin, nous est l’occasion de remercier le Pape d’une initiative si féconde. En prenant la décision d’engager toute l’Église dans une réflexion sur la personnalité et l’œuvre de l’apôtre des nations, Benoît XVI savait à quel trésor il puisait et quelles pourraient en être les retombées, pas seulement pour les chrétiens. Théologien incomparable, initiateur des grandes thématiques qui déterminent encore les débats actuels des confessions chrétiennes, le penseur interroge aussi tous ceux qui réfléchissent à la destinée humaine, à ses fins, à la liberté, ainsi qu’à nos rapports avec la loi. Une loi qui est au centre de la foi juive mais qui rejoint aussi l’exigence morale de toutes les cultures. C’est d’ailleurs la modernité qui apparaît fascinée par un homme que les plus révolutionnaires considèrent comme l’auteur de la rupture la plus radicale tandis que d’autres admirent son rôle de fondateur. Il n’est pas jusqu’aux plus hostiles comme Nietzsche qui ne rendent hommage, à leur façon, à un interlocuteur auquel ils s’opposent violemment pour se mieux définir eux-mêmes.
Faut-il rappeler en quelques mots la spécificité de la révélation de Paul et donc le contenu de son message ? Benoît XVI l’a désigné explicitement dans ses cathéchèses du mercredi, à l’enseigne du christocentrisme. L’apparition du Christ sur la route de Damas à celui qui considérait jusqu’alors ses disciples comme les plus dangereux adversaires de sa foi juive a produit un renversement intime. Celui qui aboutit à la proclamation de ce Christ que Dieu a exalté au-dessus de tous les noms : « Le Christ est pour l’apôtre le critère d’évaluation des événements et des choses, l’objectif de chaque effort qu’il accomplit pour annoncer l’Évangile, la grande passion qui soutient ses pas sur les routes du monde. Et il s’agit d’un Christ vivant, concret : le Christ – dit Paul – qui m’a aimé et s’est livré pour moi (Ga2,20). Cette personne qui m’aime, avec laquelle je peux parler, qui m’écoute et me répond, tel est réellement le principe pour comprendre le monde et pour retrouver le chemin dans l’histoire. » (1)
En ces quelques phrases, Benoît XVI indique l’ampleur d’une christologie, qui en impliquant chacun au plus profond de lui-même, rejoint aussi l’ensemble du projet créateur et rédempteur de Dieu. Il suffit pour s’en convaincre de relire les prologues des épîtres aux Éphésiens et aux Colossiens, où un Pierre Theilhard de Chardin a puisé toute sa doctrine cosmique. La christologie implique toutes ces dimensions. Par la volonté du Père, le Christ est la lettre qui signe la création, il est, de par son obéissance parfaite, celui qui sauve l’humanité, il est enfin celui qui donne sa chair et son sang pour faire vivre les hommes de sa vie divino-humaine. Il est de surcroît, celui qui est présent à chacun dans une relation personnelle sans autre exemple.
Deux mille ans après la naissance de Paul, force est de reconnaître qu’il nous a légué non seulement une idée de l’homme, mais une image vivante qui se rapporte à notre ressemblance initiale à Dieu, sans doute atteinte par la gravité du péché mais restaurée par la Croix. Si la dignité de l’homme en est venue à dominer nos représentations et à inspirer nos législations, nous le donnons largement à l’apôtre qui a compris combien le fait d’avoir été créée et restaurée à l’image du Fils, ouvre à l’humanité sa vocation inouïe. Sans doute, devons-nous accomplir, comme Paul, la démarche intérieure de la foi pour obtenir la justification divine. Mais l’année Saint Paul, en nous rendant si présents son exemple et son témoignage, nous rend capables d’entrer dans sa démarche indépassable. L’apôtre nous montre l’unique chemin d’une foi qui mène à la profondeur de l’Amour qui nous sauve.
(1) Benoît XVI, Saint Paul un maître pour notre temps, Parole et Silence – Lethielleux.