21 Février
Le Monde s’affirme, depuis le début de la crise, parmi les accusateurs du Pape, ce en quoi il ne fait qu’être fidèle à son conformisme habituel. Le numéro paru ce soir (21 février) appuie la campagne de dénigrement au moyen d’une longue tribune « d’un philosophe et médiéviste allemand » du nom de Kurt Flasch. Je ne connais pas ce monsieur qui ne précise pas exactement « d’où il parle ». Est-il catholique ? Il est plus vraisemblable qu’il soit protestant si l’on se fie à sa dialectique, et la seule certitude que nous ayons concerne sa radicale hostilité à Joseph Ratzinger. « L’acteur principal du drame, se nomme bien Ratzinger et non Williamson, et encore moins la Curie. » Voilà qui a au moins le mérite de la franchise et nous place au cœur de la diatribe de ces cinq colonnes serrées.
Autre mérite, Kurt Flasch entend qu’on ne se trompe pas de procès. Il est inepte, dit-il, de s’attaquer au Pape pour antisémitisme : « Il est clair comme de l’eau de roche que le Pape n’a rien à voir avec le racisme et l’antisémitisme. Il l’a lui-même réaffirmé, et cette certitude-là était acquise depuis belle lurette. Cela se déduit de ses convictions aussi bien philosophiques que politiques. Remettre cette question sur le tapis est à la fois sot et contre-productif. » Donc acte. Mais c’est pour mieux monter à l’assaut que Flasch repousse sèchement ce qui est d’évidence une sottise. Ce à quoi il en veut, c’est l’édifice même de l’Église catholique, sa structure, son enseignement, sa tradition. Et c’est contre elle qu’il voudrait mobiliser tout ce qui est force de contestation pour obliger le Pape à se rendre à son modèle à lui, qui s’imposerait d’autorité, dès lors qu’il s’identifie à ce qu’il croit être la modernité.
Incroyable la prétention de ces gens qui ne supportent pas qu’on soit en désaccord avec eux, et qui ne rêvent au fond que la disparition de ce qui leur est contraire. C’est l’intolérance même qui ne cache pas sa fureur. Si je m’attarde quelque peu sur ce texte, c’est qu’il vaut par ses aveux singuliers. D’ordinaire, ceux qui s’opposent au Pape le font au nom d’un concile dont ils prétendent tirer la légitimité de leur action. Kurt Flasch, lui, n’est pas dupe. Il ose l’affirmer : « Vatican II n’a jamais été qu’un tournant surestimé par les catholiques ». Aveu magnifique. Le concile n’est qu’un prétexte et, de fait, il indiffère au fond des gens qui ont tout autre chose à entreprendre que de se pénétrer de son contenu. Visiblement, Flasch ne s’est donné aucune peine pour comprendre l’ecclésiologie de Vatican II, alors que son ambition est de promouvoir une révolution des pouvoirs qui est hors des perspectives institutionnelles de l’Église. Curieusement, il rejoint les conceptions des gens qu’il exècre le plus et qui conçoivent le rapport des évêques au Pape sur un schéma très napoléonien qui subordonne les premiers au second comme des préfets par rapport au pouvoir central. On comprend qu’il voudrait que les évêques renversent le modèle, mais c’est proprement absurde en économie ecclésiologique. On voudrait faire une révolution politique dans un cadre qui n’est pas politique mais se rattache à une communion de foi. Ce qui produit des relations spécifiques tout à fait originales. Nous ne sommes pas dans un conflit de force qui suppose pouvoirs et contre-pouvoirs mais dans des relations fondées sur le primat de la foi et le service de la charité.
Ceux qui ont imaginé, au moment de Vatican II, et encore aujourd’hui, une sorte de contre-pouvoir collégial qui s’exercerait dans le cadre d’une représentation permanente sont hors sujet, comme le sont aussi ceux qui pensent à une sorte de concile perpétuel : « Ce n’est pas seulement par les décisions prises en concile, mais c’est plus habituellement par l’enseignement unanime de ses membres, dispersés dans l’espace et échelonnés dans le temps, que le collège épiscopal contrôle et règle la foi et la vie de la communauté chrétienne. » (Henri de Lubac).
Mais justement la question de l’unanimité dans la foi est insupportable à ceux qui ont en tête un projet idéologique qui consiste, purement et simplement, au déni de cette même foi. Kurt Flasch se révèle dans sa phobie de la doctrine catholique où il ne discerne aucune différence significative d’avec l’intégrisme. Il est vrai que pour opérer cette distinction, il faudrait qu’il entre dans une culture théologique dont il ne semble avoir que des notions très approximatives, en dépit de ses affirmations catégoriques. Ce philosophe « médiéviste » a évidemment le droit de penser ce qu’il veut, mais on peut s’étonner que, sous couvert de pluralisme, il se montre si intransigeant, comme si l’existence de l’identité catholique lui était invivable. On comprendrait qu’il discute, fasse part de ses désaccords avec Joseph Ratzinger. Non, il le somme d’arrêter de penser ce qu’il pense, parce que cela ne lui plaît pas. Ainsi, la célèbre conférence de Ratisbonne ne lui semble tout simplement pas audible. Faut-il interdire le Pape de parole ? Tout se passe comme s’il n’était acceptable qu’une sorte de minimum commun où tout le monde pourrait se retrouver. Mais je prends le pari que personne ne s’y retrouverait en fait, pas plus les juifs que les musulmans, les protestants de toutes obédiences, que les orthodoxes, etc. Pardon, nous répondrait-il peut-être, mais je n’en ai qu’à l’assurance imperturbable du pape de Rome à posséder la vérité à lui seul. Comme s’il l’imposait ! Comme s’il forçait à croire ce qu’il croit. Je crains bien plutôt qu’à éluder toute éthique de vérité, Kurt Flasch ne soit le premier des intolérants et ne veuille contraindre les autres à s’aligner sur ses propres opinions, dédaignant et rejetant toutes les traditions qui lui sont étrangères. Tout cela se réduirait-il à un grand feu expiatoire où seraient brûlées toutes les œuvres qui ont alimenté la foi de Joseph Ratzinger ?
Je note encore quelques contre-vérités factuelles énoncées avec assurance. Il n’est pas vrai qu’il y ait eu mise à l’écart théologique du judaïsme et de l’islam par Benoît XVI. Le Pape sera bientôt en Israël où il est ardemment souhaité, ce qui est bien le signe que la communauté juive n’a pas été dupe de la campagne qui l’a pris pour cible. Quant au dialogue avec l’islam, on peut dire qu’il a pris avec le Pape, et après Ratisbonne, un élan qu’il n’avait jamais connu jusqu’alors. Je relève enfin cette perle : « Il n’a du monde auquel il s’adresse qu’une vision imprécise et que personne ne rectifie pour lui. Une gigantesque administration l’entoure, mais qui ne lui sert à rien. » Là, tout simplement, j’ai envie de rire, tant c’est ridicule. L’administration du Vatican est toute petite, elle équivaut à peu près celle d’une ville très moyenne, alors que sa responsabilité est à l’échelle de la planète ! Quant à la vision imprécise du Pape par rapport à celle de Monsieur Flasch, qui doit être remarquablement précise, elle renvoie à la suffisance de ce dernier.