La conférence épiscopale du Kenya, présidée, début février, par le cardinal John Njue, estime que la sous-alimentation touche dix millions de Kenyans. Les raisons en sont climatiques et économiques, mais surtout politiques. Les violences de décembre 2007 et janvier 2008, qui avaient dégénéré en pogroms contre la tribu Kikuyu à laquelle appartient le président Kibaki, ont laissé des traces et l’accord entre les diverses factions pour se partager le pouvoir – le chef de l’opposition Raila Odinga devenant Premier ministre – est source d’immobilisme.
Une fois passée l’euphorie causée par l’élection en Amérique d’un président dont le père est né à Kogelo, petit village de l’Ouest kenyan, tout le monde attend à nouveau les suites judiciaires qui pourraient être données au rapport de la Commission d’enquête… Celle-ci, menée par le juge kenyan Philip Waki, à laquelle participait également Kalume Kambale, un expert juriste de la République Démocratique du Congo et Alistair Mac Faden, policier à la retraite de Nouvelle-Zélande, fait état d’environ 1 500 tués et de la ruine de 300 000 personnes déplacées… Les enquêteurs accusent de préméditation des responsables politiques encore en place aujourd’hui, mais sans les nommer. Ces noms sont entre les mains du négociateur en chef, Koffi Annan. C’est à lui que reviendra la responsabilité de les divulguer, afin d’actionner la justice. Au risque de déclencher de nouvelles violences ?
« Cette crise a permis aux Kenyans de se redécouvrir eux-mêmes », indique à un représentant de l’Aide à l’Église en Détresse, le père Roger Tessier, Missionnaire d’Afrique qui est présent au Kenya depuis plus de 25 ans. « Les Kenyans ont redécouvert le pouvoir du peuple et celui des médias […] c’est ce qui a forcé les négociateurs à arriver à une entente. Parce que sinon, on s’acheminait vers un renouveau des violences ». Mais cela a aussi été l’occasion d’enterrer beaucoup d’illusions. « Jusqu’ici, on prétendait que le pays était uni malgré la diversité des tribus et classes sociales. Comme l’a dit le premier ministre, « cette vitrine a été brisée » ».
Le Père Tessier indique que « la plupart des Églises ont fait des efforts sérieux pour la réconciliation », tout comme la société civile, en organisant, dans les journaux mais aussi dans les paroisses, des forums de réflexion sur la raison des violences. « Le problème, c’est que cette réflexion ne pénètre pas encore dans les cœurs et les esprits et n’influence pas beaucoup l’agir des gens. »
L’Église catholique se sert des campagnes de Carême pour promouvoir à nouveau les idées de justice, réconciliation, paix et vérité. Une série d’affiches est diffusée. Les Jésuites du Centre Hakimani publient des brochures sur les processus de guérison. Leurs collègues du collège Ekima ont imprimé 150 000 cartes, en anglais et en swahili, de la prière pour la paix attribuée à saint François d’Assise. Les religieuses du Centre Imara pour la justice et la paix ont « développé un thème qui leur est familier : les femmes comme promoteurs de la paix ». L’Aide à l’Église en Détresse subventionne une initiative des Missionnaires d’Afrique : « Heal the Healers », qu’on pourrait traduire par « Guérir les guérisseurs ». Un programme bâti, dans un premier temps, pour l’Église soudanaise, particulièrement pour le personnel religieux et laïc, visant la guérison à la suite d’un stress d’ordre post-traumatique dans le cadre d’un conflit armé. Ainsi, les gens qui viennent en aide aux autres ne restent pas prisonniers de leurs propres peurs et peuvent, de nouveau, assumer leurs responsabilités. Les religieuses des écoles kényanes situées dans les régions les plus touchées par les violences ont reçu ce soutien. C’est Ludwig Peschen, prêtre d’origine allemande, médecin et Missionnaire d’Afrique, qui l’a mis sur pied.
Quant au cardinal John Njue, il a donc annoncé un plan stratégique des évêques contre la famine, mais « qui ne concerne pas seulement des activités et des objectifs pratiques, mais fait référence aussi à la rencontre entre l’Église et les fidèles, pour qu’ils se sentent aimés, suivis et respectés comme des personnes créées à l’image et à la ressemblance de Dieu, qui partagent la liberté, la joie et la paix des enfants de Dieu ». n