Le pays était entré dans le chaos après l’annonce des résultats électoraux, que d’aucuns qualifiaient de falsifiés ou encore, de « pas précis ». Des violences qui étaient, selon un rapport sorti en octobre dernier, prévisibles dès le mois de septembre 2007, trois mois avant les élections. « La réponse des services de sécurité n’a pas été à la hauteur du péril, connu de tous, plusieurs mois avant le jour du vote », indique d’ailleurs le rapport de la commission d’enquête menée par le juge kenyan Philip Waki, à laquelle participait également Kalume Kambale, un expert juridique de République Démocratique du Congo et Alistair Mac Faden, policier à la retraite de Nouvelle-Zélande.
La violence était-elle voulue par le gouvernement en place? C’est la troublante conclusion à laquelle est arrivé cette commission (à l’automne 2008), qui révèle que des membres de la police locale ont été « entraînés et transportés en bus par le Parti de l’Union nationale, PNU », le parti au pouvoir dirigé par Mwai Kibaki. Les policiers auraient ensuite « semé la confusion le jour de l’élection dans diverses villes et participé aux affrontements. » (Source : Rue89.com)
Violences post électorales au Kenya en 2008: l’aide se met en place
La commission nomme même des responsables qui se trouvent en haut lieu encore aujourd’hui. Les noms des responsables restent secrets et sont entre les mains du négociateur en chef, Koffi Annan. C’est à lui que revient la responsabilité de les divulguer, dans moins de deux mois et demi, afin qu’ils soient poursuivis par la justice. Une situation redoutée puisqu’elle pourrait créer de nouvelles violences chez les partisans de ces responsables. Quoi faire? La question demeure entière.
Une population qui perd ses illusions
« Cette crise a permis aux Kenyans de se redécouvrir eux-mêmes », indique en entrevue à l’Aide à l’Église en Détresse, plus d’un an après, le père Roger Tessier, Missionnaire d’Afrique qui est présent au Kenya depuis plus de 25 ans. Un témoin à qui nous avions d’ailleurs parlé lors des tragiques événements qui ont fait plus de 1500 morts et 300 000 personnes déplacées. « En même temps, les Kenyans ont redécouvert le pouvoir du peuple. » Un pouvoir « exprimé par les médias ». Selon le père Tessier, c’est cette pression « qui a forcé les négociateurs, avec Koffi Annan, à en arriver à une entente. Parce que sinon, on s’acheminait vers un renouveau des violences », explique-t-il.
En plus de se redécouvrir, les Kenyans n’ont pas eu le choix de laisser tomber l’illusion que tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. « Jusqu’ici, on prétendait, comme beaucoup d’observateurs à l’extérieur, non seulement étranger mais aussi à l’intérieur du pays, que le pays était uni malgré la diversité des tribus et des classes sociales », dit le père Tessier. Reprenant l’avis même du premier ministre Raila Odinga, il estime que « cette façade a vraiment été brisée par cette crise post électorale ». Finalement, « on s’est aperçu que le Kenya était au fond un pays divisé par les lignes ethniques et tribales. »
Les Églises et la réconciliation
« Je pense que la plupart des Églises ont fait des efforts sérieux », estime le père Tessier. Tout comme la société civile souligne-t-il d’abord, en organisant des forums de réflexion sur la raison de ces violences, par le biais de lettres ouvertes dans les journaux et les magazines. Les paroisses ont aussi tenu des temps de réflexion. Des temps « intellectuels » sur le sujet. Le père Tessier estime d’ailleurs qu’il faudra aller plus loin : « Le problème, c’est que cette réflexion pénètre dans les cœurs et les esprits et influence l’agir des gens. Je ne suis pas certain qu’on est arrivé à ce stade-là ».
L’Église catholique s’est servie de la campagne de carême pour promouvoir les idées de justice, réconciliation, paix et vérité. À l’aide de 40 000 brochures, les gens ont pu, surtout dans les communautés de base, utiliser la bonne vieille méthode d’action chrétienne : « Voir, juger, agir ». Une série d’affiches a également servi à la réflexion sur la place publique. Les Jésuites du Centre Hakimani ont pour leur part publié deux brochures sur les processus de guérison. Leurs collègues du Collège Ekima ont imprimé 150 000 cartes, en anglais et en swahili, de la prière pour la paix de Saint-François d’Assise. « Et cette prière qui n’était pas bien connue a frappé beaucoup de gens, catholiques comme non catholiques. » Les gens ont prié avec ce classique, mais grâce à elle, ils ont « initié une réflexion sur le thème de la paix », révèle le père Tessier.
L’espoir réside dans la réconciliation
Enfin, les religieuses du Centre Imara pour la justice et la paix* ont « développé un thème qui leur est familier à leur manière : les femmes comme promoteur de la paix ». Quant à eux, les évêques catholiques demandent que les résolutions des diverses commissions soient réellement appliquées. « Il ne s’agit pas de faire un beau rapport dans un beau livre de 200 pages et on s’assied sur nos lauriers », insiste le père Tessier. D’ailleurs, le parlement travaille présentement sur des projets de loi qui découlent de ces rapports.
L’Aide à l’Église en Détresse a supporté l’une des initiatives mises en place par les Missionnaires d’Afrique, « Heal the Healers », qu’on pourrait traduire par « Guérir les guérisseurs ». Un programme bâti tout d’abord pour l’Église soudanaise, particulièrement le personnel religieux et laïc, visant la guérison à la suite d’un stress d’ordre post-traumatique dans le cadre d’un conflit armé. Ainsi, les gens qui viennent en aide aux autres ne restent pas prisonniers de leurs propres peurs et peuvent, de nouveau, remplir leur responsabilité de soutien et d’aide. Les religieuses des écoles kényanes situées dans les régions les plus touchées par les violences ont reçu ce soutien. C’est le père d’origine allemande, docteur et Missionnaire d’Afrique, Ludwig Peschen, qui l’a mis sur pied.
*Instance de justice sociale de l’association des religieuses kényanes
Mario Bard
Pour aller plus loin :
- Le défi du développement des peuples et le pacte de Marrakech - la fuite en avant des Nations Unies
- Liste des ouvriers pastoraux, Evêques, Prêtres, Religieux, Religieuses et Laics tués en 2011 et 2010
- Kenya : comment panser les plaies ?
- LE MINISTERE DE MGR GHIKA EN ROUMANIE (1940 – 1954)
- Sur le général de Castelnau et le Nord Aveyron.