A la frontière orientale du Congo avec le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi, dans la région riche et peuplée des Kivu, les opérations militaires ont repris avec leur cortège de réfugiés, de déplacés et de massacres. C’est la troisième fois en dix ans: la guerre, partie de ces confins, a ravagé la totalité du Congo de 1998 à 2002, puis la rebelion a repris en 2004 avec la prise de Bukavu, puis à nouveau en 2008 avec la chute annoncée de Goma. Bukavu et Goma sont deux villes congolaises frontalières du Rwanda. Si une rebelion amie de Kigali s’empare de l’une ou l’autre de ces villes, elle favorise un continuum d’un pays à l’autre, sécurisé et homogénéisé. A partir de là, le Rwanda, enclavé, qui se croit assiégé par ses éternels ennemis au Congo, obtient enfin un espace de respiration.
Le paradoxe est que, par cette politique de coups de mains et de faits accomplis, le régime de Kigali se met en difficulté avec ses soutiens internationaux. En 2004, Londres, principal bailleur de fonds, avait menacé de lui couper son aide budgétaire. En 2008, Le même partenaire britannique est embarrassé et participe à une initiative diplomatique commune avec la France. Paris est dans la situation rigoureusement inverse de Londres. Le gouvernement rwandais a rompu ses relations diplomatiques avec la France en 2006 après l’incrimination d’officiels rwandais dans l’attentat contre l’avion du dernier président le 6 avril 1994 (cet attentat qui avait donné le coup d’envoi du génocide). Le hasard (?) a voulu que l’un de ces officiels soit arrêté en Allemagne ces jours-ci pour être déféré devant les juges français, déclenchant la fureur du président Kagamé. Comment dans ces conditions la parole de la France pourrait-elle avoir quelque crédit à Kigali ? Pire, Paris soutient résolument le président congolais Joseph Kabila et ne verrait pas d’objections à ce qu’il se fasse aider à nouveau par le voisin angolais avec lequel Paris souhaite se réconcilier pour faire oublier une autre affaire judiciaire, l’Angolagate.
Nous sommes donc impliqués jusqu’au cou, sans pouvoir jouer les bons offices ni évidemment envoyer des forces, même dans un cadre onusien, dans cette région où s’est réalisée en 1994 la fameuse opération Turquoise, dont Goma était la base logistique principale.
Cela tombe au plus mal pour les efforts sincères du docteur Kouchner, ami du Rwanda, d’opérer une réconciliation avec le président Kagamé. On ne peut finalement pas être l’ami de tout le monde à la fois, quand les gens se détestent comme c’est le cas entre Rwandais et Congolais, ou du moins certains Congolais et certains Rwandais. Car dans cette région des Grands Lacs, l’imbroglio ethnique est tel que personne n’a raison ou tort à lui tout seul. C’est la force et la faiblesse à la fois de ce général Nkunda. C’est aussi ce qui explique que les hommes en armes, qu’ils soient loyalistes, rebelles, chasseurs (Mai-Mai), se comportent tous de la même façon et que personne n’a plus de légitimité que l’autre.
Ne voir que l’aspect humanitaire, ou une partie des problèmes humanitaires, risque de reproduire les injustices du génocide où la communauté internationale s’apitoyait sur la foule des réfugiés qui étaient en réalité les génocidaires, alors que le génocide lui-même n’avait pas eu de témoins.
Si le problème ressurgit avec autant de force après dix ans, c’est qu’il n’est pas réglé. Les mêmes acteurs sont en place et chacun campe sur ses positions. Les accords de paix se succèdent sans qu’on se soit attelé au problème de coexistence de ces populations mues par une volonté de revanche et la peur mutuelle. Le maintien de la paix ne suffit pas. Si tout le monde s’en prend à tout le monde, une ou plusieurs brigades supplémentaires d’Uruguayens et de Pakistanais ne changeront rien. Ils seront assiègés et réduits au silence. Ce n’est pas une région où on peut tout régler avec trois cents hommes. Nous avons affaire à des guerriers qui maîtrisent le terrain. On peut les tuer, le problème persistera.
Pour les uns la solution est simple: Nkunda et Kagamé méritent d’être traduits devant la Cour pénale Internationale; pour les autres, elle est aussi simple: la communauté internationale n’a qu’à se mêler de ce qui la regarde et laisser les Africains se battre ou s’entendre entre eux. La troisième voie est de plus en plus difficile.
Yves LA MARCK
Témoignage sur l’action Humanitaire de l’ONG Medair
Le 9 octobre dernier, on pouvait lire sur le site internet de l’ONG Médecins sans Frontières, une dépêche alarmante concernant l’Ituri, province du Nord-Est de la République Démocratique du Congo à la frontière du Soudan et de l’Ouganda : « des milliers de personnes ont dû quitter, en urgence, leurs localités d’origine de la région de Gety, à 60 km au sud de Bunia – le chef-lieu – à la suite de nouveaux affrontements entre les FARDC (Forces armées de la République du Congo) et les miliciens de Tchey, l’une des agglomérations proches. Des bombardements à l’arme lourde suivis de combats entre les différents groupes armés avaient commencé à Bukiringi dès le 27 septembre. à ce jour, la zone est toujours inaccessible. »
Medair est notamment présente dans le village de Zitono, non loin de la ville de Gety, à quelques km au sud de Bunia : « Cette zone a subi de très nombreuses attaques ; ces dernières années, le village a été six fois entièrement dévasté par la guerre » raconte Ruth Mutanga, sage-femme à Zitono. « À chaque fois, le centre de santé a été détruit et nous nous sommes retrouvés sans toit pour accueillir les femmes sur le point d’accoucher. »
En 2006, après qu’une nouvelle attaque ait laissé le centre de santé en ruines, Ruth a aménagé dans sa petite maison une maternité improvisée. Elle dormait par terre pour laisser plus d’espace aux patientes. En 2007, alors qu’elle était la seule ONG présente à Zitono, Medair a envoyé sur place une équipe chargée de reconstruire le centre de santé. Nos employés y rencontrèrent Ruth qui leur suggéra immédiatement d’en profiter pour bâtir une maternité digne de ce nom.
Tout le monde s’entendait sur la nécessité d’une véritable maternité. Pourtant, le comité de construction local vota contre ce projet, décidant que l’argent serait utilisé pour construire un centre de santé en briques qui résisterait mieux aux futures attaques. Notre équipe de construction était d’accord avec Ruth sur l’importance d’avoir une maternité, mais notre rôle était de collaborer avec la communauté et pas d’imposer notre volonté. Nous ne comprenions que trop bien les craintes du comité local qui se sont vérifiées en 2007 et sont à nouveau de pleine actualité.
Dans les régions reculées du nord-est, les Uélés et l’Ituri, Medair a apporté son aide à plus d’un million d’habitants. Nous y avons appuyé 490 structures médicales en fournissant des médicaments subventionnés et en y organisant des supervisions mensuelles ainsi que des formations pour le personnel médical. Nos équipes d’urgence ont aussi été occupées à répondre à d’importantes épidémies dans le nord-est. Entre-temps, nos équipes de construction rebâtissaient ou réhabilitaient deux douzaines de centres de santé, dont le bâtiment en briques de Zitono.
Ruth a fini par réaliser son projet. En effet, lors du retour de Medair dans ce village fin 2007, les habitants se sont joints à notre équipe de construction pour lui bâtir une grande maternité. « Nous sommes tous satisfaits maintenant » dit Ruth. « J’ai ma maternité et grâce à Medair, la communauté dispose d’un centre de santé en briques qui résistera plus facilement aux prochaines attaques. » Pour combien de temps ?
La guerre qui ravage périodiquement cette population vulnérable est d’une brutalité qui dépasse l’entendement, avec de très fréquents cas de violences sexuelles à l’encontre des civils, souvent même des enfants. Nos équipes dispensent des formations psychosociales aux habitants, en particulier dans les écoles, pour leur apprendre à aider les personnes les plus affectées à surmonter ces terribles traumatismes.
« Nous sommes vraiment heureux que Dieu ait conduit Medair en Ituri et ici, à Lolwa, malgré toutes les difficultés que connaît la région », remarque Justin Ngombele, directeur d’une école primaire de Lolwa. « Je remercie Medair d’avoir en particulier concentré ses efforts sur les écoles. Il n’est pas facile de s’occuper des enfants, et je suis content qu’ils n’aient pas été oubliés. »
Dans toutes les structures de soins de santé, Medair a formé des médecins et des infirmières en leur enseignant des compétences techniques précieuses pour développer leur autonomie. Nous avons également lancé un nouveau projet visant à améliorer l’accès à l’eau potable et aux installations sanitaires en construisant des latrines, en protégeant les sources d’eau et en installant des systèmes de récupération de l’eau de pluie. De plus, grâce entre autres à de nouveaux donateurs, nous avons pu élargir nos activités à de nouvelles zones comme Aungba et Dingila.
Souvent, dans les domaines de l’aide d’urgence et de la réhabilitation, toute l’attention se porte sur les besoins urgents existants auxquels il faut répondre. Lors de son 10e anniversaire Medair a saisi une rare opportunité, celle de réfléchir à ce qui a pu être accompli et se réjouir du travail acharné et de la persévérance qui ont sauvé et préservé de nombreuses vies tout en leur offrant l’espoir d’un avenir meilleur.
« Ce qui m’a le plus frappée chez Medair », témoigne Alphonsine Unwang, co-coordinatrice de l’ONG locale SYNERGIE, « c’est qu’elle tente de rester pendant la guerre alors que d’autres centres de santé et ONG ferment ou quittent le pays. Et c’est précisément parce qu’elle est restée et qu’elle a continué à agir, malgré la violence et les dangers, que Medair est l’organisation la plus respectée de toute la région. »
Pourtant, depuis début septembre, Medair a dû réduire ses interventions dans les zones de santé de Nyankunde, Boga et Gety, une région comptant quelque 140 000 habitants. Pour le moment, les 14 autres zones de santé soutenues par Medair demeurent accessibles. Jusques-à quand ? On n’en sait rien, car toutes les conditions politiques d’une reprise à grande échelle de la guerre sont à nouveau réunies dans cette zone maudite, la plus sanglante du Congo R-D, où le nombre des victimes directes et indirectes des guerres depuis 1998, se chiffre par centaines de milliers, mettant aux prises des ethnies opposées, mais plus encore les ambitions régionales de l’Ouganda et du Rwanda, tandis que les forces d’interposition de l’Onu n’ont ni les moyens ni le mandat suffisants pour faire respecter les accords de cessez-le-feu si souvent signés.
En France, l’adresse de Medair est
1, rue Bizet – Tour Europe 26000 Valence
Tél. : 04 75 59 88 28