Jean-Luc Romero assume : « La date est symbolique ». Dans sa présentation à la presse de son nouveau concept, le président de l’ADMD ne cache pas qu’il s’agit de récupérer le 2 novembre pour en faire la journée emblématique de ce qu’il nomme « l’ultime liberté ». Le projet de l’ADMD s’inscrit dans le cadre du 17e congrès de la Fédération mondiale des sociétés pour le droit de mourir qui se déroule à Paris du 30 octobre au 2 novembre. L’invitation publique de l’ADMD n’hésite pas à entretenir la confusion : « Venez nombreux rappeler la mémoire d’un être aimé, disparu dans d’inutiles souffrances. Venez déposer, sur un billet, son nom et/ou une pensée que nous collecterons. Un geste d’amour, un acte de solidarité pour magnifier notre ultime liberté. Un signe partagé par des hommes et des femmes de 24 nations. Un rassemblement paisible pour justifier publiquement notre action. »
C’est au parvis des droits de l’homme du Trocadéro que se déroulera la cérémonie annoncée. Parasitage – d’aucuns diront profanation – d’une journée qu’on imaginerait plutôt celle de la trêve et du recueillement. Mais c’est dans la mémoire des fins de vie difficiles, source de peur pour de nombreux Français, que l’ADMD puise son énergie militante. Et entretient sa colère. Jean-Luc Romero ne cache pas la sienne à l’approche des conclusions de la mission Leonetti qu’il suspecte d’ores et déjà « d’accoucher d’une souris ». Lorsque Rachida Dati a exprimé devant la mission son opposition à la modification de la loi, l’ADMD a accusé le Garde des Sceaux de proposer « d’observer les patients souffrir… sans rien faire pour les soulager ! »
Tout porte à croire que l’ADMD ne verra pas cette année la reconnaissance d’un droit de se faire administrer la mort. La radicalité de sa revendication a même provoqué, l’été dernier, sa fracture. Son vice-président Gilles Antonowicz, qui fut également avocat de Chantal Sébire, en a claqué la porte, reprochant à son président de promouvoir sans limite le suicide assisté.
Comment expliquer que l’ADMD peine à se faire entendre des décideurs alors qu’elle clame avoir gagné la bataille des sondages, 8 Français sur 10 s’affirmant désormais favorables à l’euthanasie ? Comme pour la peine de mort, un écart d’information et de réflexion semble persister entre les citoyens et leurs élus. Les seconds sont conscients du risque de disloquer le fragile équilibre du système de santé, à partir du moment où il entrerait dans la mission du médecin d’administrer la mort. Quoi que prétende Jean-Luc Romero, on sait que la légalisation ne signifie en rien l’extinction des pratiques illégales. Quand tuer n’est plus tabou, elles tendent à se développer à la marge.
Même la gauche n’épouse pas unanimement la cause de l’euthanasie. Certes, Bertrand Delanoë est annoncé à la réunion publique que prépare Jean-Luc Romero le 31 octobre à l’Hôtel de ville de Paris, et de nombreuses personnalités médiatiques s’affichent à ses côtés. Mais les plus écoutées maintiennent leur prévention, à l’image de l’ancien Garde des Sceaux Robert Badinter ou du professeur Axel Kahn, également proche du maire de Paris. Dans son dernier livre L’ultime liberté ? (Plon, octobre 2008), l’emblématique généticien, tel Raminagrobis, prend soins de croquer tout autant les militants de l’euthanasie que leurs adversaires, taxés de jusqu’auboutisme. Selon lui, « la présence fréquente » à ses conférences de « catholiques fervents pour lesquels poser la question du droit à mourir est un blasphème au bon Dieu et une atteinte aux Dix commandements complique l’analyse sereine. »
Cette façon de caricaturer le discours des croyants est typique du débat français où les convictions religieuses sont vite assimilées à de l’obscurantisme désincarné. Comme si l’Église n’avait pas une expertise millénaire en matière d’accompagnement des personnes en fin de vie ou en deuil, et de lutte contre la douleur, qu’elle soit physique, morale ou spirituelle. Comme si elle était pour l’acharnement thérapeutique alors que le mouvement des hospices qui inventa les soins palliatifs modernes fut fondé par des chrétiens.
Axel Kahn se décerne donc un brevet d’objectivité en récusant résolument tout « doute métaphysique [ou] religieux » et en croyant devoir professer une « non-croyance […] dépourvue de toute hésitation et de tout remords ». Au moins, son opposition à l’ADMD n’en sera que plus crédible.
Paradoxalement, les partisans de l’euthanasie n’hésitent pas à utiliser le vocabulaire chrétien : Jean-Luc Romero vient encore de dire de Marie Humbert qu’elle était « une vraie martyre ».