L’escale à l’aéroport de Moscou dure 4 h : pas grand chose à faire mais le billet d’avion est beaucoup moins cher avec cette escale que le vol direct. Et puis le passage par la Russie est une bonne introduction à la suite du voyage : après tout, l’Asie centrale, récemment indépendante, reste encore dans l’orbite russe, comme les récents événements géorgiens nous l’ont rappelé.
Arrivée à Astana, la nouvelle (depuis 10 ans) capitale du pays. L’impression d’être à Légoland : des constructions partout avec des fantaisies architecturales étonnantes. Le Vicaire général, le père Jean-Marc Stoop (un Suisse) qui est venu me chercher me montre que la plupart des immeubles et bureaux du centre-ville sont vides pour le moment. Beaucoup se demandent ici combien de temps ces constructions, réalisées à la va-vite, tiendront !
Au Kazakhstan, il y a 130 nationalités. Zone naturelle de passage, le pays a aussi servi de terrain de déportation pour les Russes depuis l’époque des tsars, ce qui fait que la population est à peu près divisée en deux grandes parties : les autochtones kazakhs, asiatiques et qui ressemblent aux tribus mongoles d’où ils viennent, et les Européens, russes pour la plupart mais également ukrainiens, polonais et allemands.
D’ailleurs, l’Église a commencé ici avec des gens qui avaient des racines catholiques, la plupart d’extraction allemande. Maintenant, elle doit se tourner vers les autres, c’est-à dire les Kazakhs. En réalité, le pays a déjà connu l’Église au premier millénaire mais les communautés, nestoriennes pour la plupart, ont ensuite disparu avec l’islam.
Cette identité allemande de l’Église, on l’a retrouve partout y compris dans les chiffres : on estime à un million le nombre de « Kazakhstanais » qui sont partis pour l’Allemagne en réussissant à prouver des racines allemandes, dont 30 % de catholiques. Ce sont là 300 000 catholiques en moins pour le pays qui en comptait 500 000 il y a 18 ans et qui n’en compte plus que 150.000 ! La population totale du pays à également diminué de 17 à 15 millions durant cette même période (depuis 1989).
Des Kazakhstanais continuent à quitter le pays, ceux d’extraction européenne s’entend. Ils ont la possibilité de partir et estiment qu’ils ont plus d’avenir ailleurs, malgré les richesses potentielles d’un pays qui dispose de gisements de pétrole énormes et de mines d’uranium, entre autres. Mais aujourd’hui, il faudrait, connaître la langue kazazkhe, ce qui n’est pas le cas des Russes qui préfèrent donc rejoindre la Russie. L’évêque catholique d’Astana, Mgr Tomash Peta, n’a pas peur que le nombre des pratiquants baisse. Ce qui compte pour lui, c’est le témoignage individuel des catholiques et les fruits que cela portera. Devant nous, il ouvre un courrier qui vient du Vatican : il apprend qu’il vient d’être nommé consulteur de la congrégation pour le clergé !
Toujours est-il que la population va être de moins en moins européenne (Allemands et Russes s’en vont – aujourd’hui les Kazakhs sont 60 %) et le Président fait venir les Kazakhs de Mongolie et de Chine (10.000 $ de prime d’installation). Des Kazakhs avaient en effet quitté le Kazakhstan dès la famine des années 30 et d’autres avaient réussi à fuir l’Union soviétique à divers moments. Maintenant, on invite leurs descendants à revenir.
L’Église ctholique doit donc faire face dans un premier temps à un rétrécissement, ce qui n’est pas toujours facile au quotidien. Tel curé nous dit que l’année dernière, dix piliers de la paroisse sont partis. À Koktchetav, 18 paroissiens sont partis (3 familles), d’où deux bancs en moins… Quelques nouveaux aujourd’hui… mais qui ne compenseront pas les 350 000 départs…
Au Kazakhstan, il y a un avant et un après « visite Jean-Paul II », qui a touché tous les habitants, même les musulmans. C’était en 2001, onze jours après le 11 septembre et la chute des tours jumelles à New York. Tout le monde respectait le vieux Pape malade. Après 70 ans de propagande, ils n’attendaient pas un prédicateur mais un témoin ! Il semblerait qu’il n’ait jamais été aussi bien accueilli.
Mais, malgré les ouvetures et les bonnes paroles du régime à l’égard des religions, un projet de loi actuel inquiète les catholiques. La mise en œuvre de ce projet dans l’état qu’on en connaît, ferait qu’il n’y aurait plus de prêtres étrangers, ni de financement étranger pour la mission au Kazakhstan (il ne resterait donc que les orthodoxes et les musulmans). Qui est derrière de telles idées, censées viser le prosélytisme agressif des sectes anglo-saxonnes ? Même si, sur place, les relations avec le clergé orthodoxe sont sympathiques, on est tenté de soupçonner une mauvaise influence russe, car c’est également ce qui se trame dans les autres ex-satellites soviétiques et même en Russie, où la vie devient parfois difficile pour les catholiques.
Une difficulté supplémentaire pour l’Église, c’est l’extrême éparpillement des communautés. Avec très peu de ressources, matérielles et humaines, quelle priorité l’Église doit-elle se donner ? Investir là où il y a un peu de monde au détriment des fidèles isolés ? La parabole de la brebis égarée dit autre chose mais ce n’est qu’une parabole… Très concrètement, une paroisse en ville compte 2 000 fidèles et une autre, dans un village, en compte 20. L’AED a de l’argent pour une église : que fait-on ? L’idée, c’est d’aider la grande qui à son tour, aidera la petite.
Le problème des langues : jusqu’à présent, la langue de l’Église est le russe, même si la plupart des prêtres sont polonais. Mais il faut maintenant apprendre le kazakh, ce qui est une autre paire de manches ! (En Ouzbékistan, les prêtres ne parlent pas ouzbek, c’est délibéré. Ils ne veulent pas apparaître prosélytes).
Apprendre le kazakh est difficile : personne ne peut l’expliquer pour le moment (pas l’expérience) et pourtant, la langue est assez simple par rapport au russe (grammaire, mots qui se déclinent par famille de même sens).
Mais, une fois la langue apprise, les problèmes demeureraient nombreux :
1 – dans le Nord, personne ne parle kazakh (même les Kazakhs parlent russe !),
2 – les autorités ne verraient pas d’un si bon œil que les catholiques se mettent au kazakh et accroissent ainsi leur influence…
3 – enfin, les Kazakhs, contrairement à ce qu’on pourrait espérer, ne sont pas forcément les bienvenus dans l’Église (c’est inédit et en gros, les « Russes » reprochent aux Kazakhs la politique actuelle de « kazakhtanisation », principe de remplacer les Européens par des Kazakhs à tous les niveaux).
Depuis 1995, l’apprentissage du kazakh est obligatoire dans les écoles. En 2008, les documents officiels sont uniquement en kazakh (quelques-uns). Ceci donne l’impression que les Russes ne sont plus les bienvenus (on pense aux enfants..). On ne veut pas être les derniers à partir… Une vieille dame dit : « j’ai déjà été déportée deux fois ! ».
Au Kazakhstan, les prêtres proviennent de 17 pays et les religieuses de 18. Sur 80 prêtres, six ou sept sont de nationalité kazakhe, mais pas d’origine kazakhe, même si l’ordination du premier kazakh est pour bientôt. L’évêque d’Astana est au Kazakhstan depuis 18 ans et citoyen kazakh depuis cinq ans (c’était le 13 mai, Notre-Dame de Fatima). Le diocèse d’Astana a cinq ans.
Faut-il de grandes églises (comme à Karaganda) ? « Oui, c’est important pour les gens, mais il y a le problème du coût. Tout coûte plus cher. On ne va pas pouvoir construire des églises partout » nous répond l’évêque. La cathédrale (gigantesque) de Karaganda, c’est un peu le centre de l’Église catholique au Kazakhstan, et aussi le lieu des camps ! Les camps de déportation soviétique représentaient une superficie égale à celle de la France … « Cette cathédrale pourra devenir un lieu de pèlerinage dans l’avenir ».
Les sœurs de la Charité que nous visitons préparent une distribution de repas (deux fois par semaine) et vont visiter les familles pauvres. Elles sont indiennes et dénotent un peu entre les Russes et les Kazakhs mais après tout, on est en Asie ! Les religieuses, d’une manière générale sont, comme partout, le pilier de la mission. Sœur Bernadeta nous confie : « sans votre support spirituel et matériel, on n’aurait pas la force de remplir notre mission ici. Vous êtes les premiers missionnaires ! Par votre prière, vous faites plus chez vous que ce que nos bras font ici ». Ces mots sont bien sûr adressés avant tout à nos bienfaiteurs !
Ozernoye, le village du miracle des poissons
La piste est détrempée : y va-t-on malgré le risque d’être coincés, sachant que notre avion pour Tachkent est le lendemain ? Finalement, on y va mais avec le 4×4 de la paroisse, ce qui nous oblige à nous serrer beaucoup (six dans la Lada) ! La route est très mauvaise, mais il fait beau et cela a déjà séché un peu. Nous arrivons en fin de journée, la lumière est très belle.
Ce village est au milieu de nulle part ! En 1936, des déportés polonais et ukrainiens ont été abandonnés là. Ils ont fait ce qu’ils ont pu mais en 1940, avec la réquisition des récoltes pour l’armée, les gens mouraient de faim. C’est alors qu’au printemps 1941, lors de la fonte des neiges, un lac se forme au bord du village et les poissons pullulent ! Le village est sauvé et plus tard exportera même du poisson dans les républiques soviétiques avoisinantes. La paroisse est dédiée à la Vierge Marie sous le vocable : Notre-Dame de la pêche miraculeuse !
Chaque été dans ce petit village (600 personnes), il y a un rassemblement de jeunes catholiques qui viennent de tout le pays, avec des intervenants illustres : Daniel-Ange, Jo Croissant et Nicolas Buttet, pour ne citer qu’eux, sont déjà venus.
Le lendemain, la piste a séché, mais la pluie tombe juste après notre retour. On est vraiment passé entre les gouttes ! Visite à la communauté des Béatitudes. Sœur Anna Kazakhova est née au Turkménistan de parents russes, partis au moment de la Révolution, en Crimée puis au Turkménistan. Une partie de la famille est ensuite partie en Yougoslavie puis en Australie. Ses parents sont eux venus au Kazakhstan. D’origine orthodoxe, elle a été convertie par des protestants avec lesquels elle est restée cinq ans avant de découvrir la plénitude de la foi catholique.
OUZBEKISTAN
Le vol Astana – Tachkent passe par Alma-Ata, l’ancienne capitale kazakh au pied des contreforts de l’Himalaya. On passe d’un pays de 15 millions d’habitants avec 150.000 catholiques à un pays de 25 millions avec 650 catholiques. Autant dire qu’avec notre arrivée, nous augmentons presque la population catholique de 1 % à nous 4 !
Il y en avait plus avant mais, comme au Kazakhstan, ils sont tous partis. Dans la capitale, on compte 300 catholiques (4 messes le dimanche, une dans chaque langue (polonais, russe (150), anglais (50), coréen (70). Samarcande compte 50 catholiques dont 20 à la messe. En tout, il y a cinq paroisses dans le pays, ce qui est toujours mieux que le Kirghizistan (3 paroisses), le Tadjikistan (2) et le Turkménistan où l’unique lieu de culte se trouve à la Nonciature ! L’Église essaie de faire enregistrer officiellement deux nouvelles paroisses depuis deux ans mais ça piétine. Les autorités ont conservé des réflexes soviétiques de contrôle religieux et il faut dire que l’activisme musulman est tout particulièrement surveillé. Toute expression religieuse est donc très strictement confinée. Le pays est à 90 % musulman, mais pas pratiquant. Y a-t-il vraiment une menace islamique pour justifier l’absence de liberté religieuse ?
Mgr Jerzy Maculewicz, évêque de Tachkent, est un franciscain polonais, comme les huit autres prêtres du pays. Il est le dernier évêque nommé par Jean-Paul II (1er avril 2005), à la veille de sa mort. Sa mission : garder la présence de l’Église dans le pays, même si elle est symbolique, pour l’avenir. Dans vingt ans, il espère que les deux paroisses auront été enregistrées et qu’il y aura 3.000 catholiques dans le pays. Il faut beaucoup d’espérance dans ce pays …
Le lendemain, départ pour Samarcande, une merveille architecturale avec de vieux minarets turquoise. Les touristes commencent à débarquer en masse, surtout des Italiens et des Français. On est au pied des montagnes, l’irrigation fonctionne bien, les champs sont verts et les arbres fruitiers partout.
Le frère Stanislas a le droit de sortir en habit, les musulmans non ! « Ils contrôlent plus l’islam que les chrétiens », nous dit-il. Selon lui, « il faudra 50 ans avant qu’on puisse vraiment faire quelque chose ici ». De l’espérance, je vous dis !
L’Église catholique est ultra-minoritaire mais de dimension internationale. Le gouvernement ne regarde pas trop les camps-retraites organisés discrètement par les franciscains. Des Églises protestantes ont été expulsées pour moins que ça. En même temps, ils surveillent quand même de très près, et surtout le nombre d’Ouzbeks à la messe. Si le nombre d’Ouzbeks s’intéressant à l’Église augmentait fortement, il y aurait sans doute plus de soucis.
Les orthodoxes sont là aussi particulièrement « accueillants » vis-à-vis des catholiques. L’évêque métropolite orthodoxe, à qui on demandait ce qu’était la Caritas, répondit que c’était une organisation catholique franc-maçonne qui payait les gens pour devenir catholiques ! Il regrette ouvertement que le gouvernement autorise la présence de l’Église catholique en Ouzbékistan. Selon lui, il n’y a que deux religions traditionnelles en Ouzbékistan, l’islam et l’orthodoxie, et la religion la plus proche de l’orthodoxie, c’est l’islam ! Oui, il faut beaucoup d’espérance, et de charité !
Dimanche à la messe dominicale : il y a vingt personnes. Quel est l’avenir de l’Église catholique dans ce pays ? Je crois que Dieu va devoir intervenir lui-même… Nous rentrerons à Tachkent par le train.
Lundi : lever 4 heures. Une longue journée de retour, via Moscou et Düsseldorf …
Mot de la fin
Dans Isaïe au chapitre 35, il est dit : « que la steppe exulte et fleurisse ». Dans ces pays, Mgr Peta, évêque d’Astana, nous confie avec un peu d’humour que l’Église doit avancer « step by step in the steppe » (pas à pas dans la steppe, en anglais). N’oublions pas ces Églises dans nos prières, elles comptent sur nous !