Ce vendredi 10 octobre, le Collège des Bernardins donnait l’image de l’avènement d’une figure politique longtemps regardée de haut. Se pressaient autour de Christine Boutin, devant un parterre de près de quatre cents participants, d’éminentes personnalités du monde politique. Certes, le ministre du Logement et de la ville se bat actuellement dans un contexte difficile pour faire passer son projet de loi sur le logement. Et, ironie du sort, elle n’est pas épargnée par de grandes associations humanitaires d’inspiration chrétienne. Qui ne lui reconnait cependant le courage d’avoir porté dans le débat public son souci de cohérence, sans craindre d’irriter son camp ? Avec elle, le respect de l’embryon, celui du plus pauvre et celui du prisonnier constituent une seule et même exigence de l’humanisation de notre société. Une posture chrétienne rare et précieuse.
Contestée peut-être, Christine Boutin est ministre de plein exercice. Et ce fut tout un symbole de voir le tout nouveau président du Sénat, Gérard Larcher, second personnage de l’État, s’exprimer comme chrétien dans ce Colloque, à l’invitation de celle qui fut pendant de nombreuses années sa concurrente puis sa partenaire politique à Rambouillet. Il y avait également le président du Parlement Européen, l’allemand Hans-Gert Pöttering, le ministre tchèque Cyril Svoboda ainsi que des parlementaires de plusieurs nations européennes, France comprise, et les anciens ministres Xavier Emmanuelli (fondateur du Samu social) et Christian Pierret. Ce dernier, socialiste, ancien ministre de l’Industrie, avouait d’entrée les critiques qu’il avait reçues de son camp pour sa participation au colloque. Beaucoup de ses camarades, expliquait-il, considèrent qu’il y a presque une incompatibilité entre le christianisme, jugé régressif, et l’engagement à gauche. Sa présence, à elle-seule, manifestait le tour de force de Christine Boutin.
La réunion, programmée de longue date, est tombée un matin où la Bourse chutait d’entrée de 10 %. L’effondrement des « cathédrales financières » était donc dans tous les esprits, et dans toutes les bouches. Pain béni pour redécouvrir la doctrine sociale de l’Eglise. Des dirigeants chrétiens plaidaient pour un « changement de paradigme » avec une entreprise non plus « créatrice de richesse » mais d’abord productrice de biens au service de l’homme.
L’Église catholique affichait sa cohérence. Elle était représentée par des ecclésiastiques comme Mgr Gianpaolo Crépaldi, secrétaire du Conseil pontifical justice et paix, ou Mgr Claude Dagens, évêque d’Angoulême et académicien, mais aussi par des laïcs emblématiques comme le professeur Andrea Riccardi, fondateur de la communauté Sant’Egidio, qui sut réconcilier des nations en guerre. Les représentants d’autres Églises chrétiennes allaient dans le même sens.
Dans une France tétanisée par ce laïcisme que l’actuel président veut faire évoluer en « laïcité positive », et dans une planète meurtrie par l’ultralibéralisme, la sagesse chrétienne apparaît soudain comme un recours. Certes, en comparaison de certains propos convenus flirtant avec un humanisme de salon, le discours du député européen slovaque Miroslav Mikolasik pouvait sembler abrupt lorsqu’il exprimait son engagement déterminé contre l’avortement sur le ton de l’évidence. Du moins pour ceux qui ont cru devoir négocier avec les principes que l’Église estime « non négociables ». Mais, pour beaucoup d’intervenants, on n’est plus au temps où un chrétien en politique peut se contenter de se référer, plus ou moins timidement, à quelques valeurs.
Dans plusieurs discours marquants, que ce soit celui des chefs d’entreprises ou de leaders politiques, on décelait la personne même du Christ comme guide pour l’action, et la prière comme lieu de discernement. Christine Boutin, dans une conclusion appelant à l’engagement des chrétiens en politique, les exhortait à agir non pas « en tant que chrétien » mais « en chrétien ».
Finalement, se dessinait bien davantage une perspective de coopération fructueuse entre les chrétiens, « sel de la terre », et le monde, que celle de la confrontation stérile qui peut tenter des deux côtés. N’en déplaise à ceux qui analysent le fait religieux comme une simple réalité institutionnelle, productrice de rapports de forces fondés sur la défense d’intérêts catégoriels, on prônait la fécondité d’un tout autre chemin. Celui où la logique chrétienne permet l’inversion évangélique. La douceur, l’écoute, la non-violence, le don gratuit, le courage de la vérité concourent à instaurer un monde où la paix peut se construire. La justice également, autre mot-clé de la journée, autre mobile des politiques chrétiens.
Dans l’élan de l’initiative du Cercle Lamartine, Christine Boutin annonçait de nouvelles éditions de ce Congrès européens, la prochaine en République Tchèque. Quelle que soit l’issue de la crise planétaire, et celle de l’expérience gouvernementale de Christine Boutin, on reconnaitra à cette dernière d’avoir montré un christianisme qui s’affirme et sait rassembler. Osant agir dans le monde, sans s’y noyer. Décomplexé.
Tugdual DERVILLE