Lors de plusieurs discours ou interventions, le récent voyage de Benoît XVI à Paris et Lourdes a mis un coup de projecteur sur une question pastorale et ecclésiale particulièrement brûlante en France : celle des vocations, particulièrement sacerdotales, puisque dans notre pays, un prêtre est ordonné pour plus de dix prêtres qui décèdent. Chacun sait que la situation va devenir chaque année plus difficile au plan pastoral mais aussi vraiment douloureuse au plan spirituel pour l’Eglise, pour chacun de nous, baptisés si conscients de l’apport incomparable des prêtres. L’Eglise – depuis ses origines – ne peut résolument concevoir sa vie et sa croissance sans le ministère ordonné qui en est comme l’épine dorsale, si indispensable pour de multiples raisons sacramentelles, ecclésiales et spirituelles.
Nos pasteurs n’ont en rien oublié le commandement du Seigneur : « Priez le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers, car la moisson est abondante, et les ouvriers peu nombreux ». Face à la situation, nous sommes convaincus que tous nos évêques et avec eux le peuple de Dieu, prient intensément pour que ce lève cette nouvelle génération de prêtres dont l’Eglise a besoin, et beaucoup agissent en ce sens ; leurs appels en vue du sacerdoce se font donc de plus en plus pressants afin que des jeunes ouvrent leur cœur à l’appel du Christ : au travers d’exhortations durant les rassemblements de jeunes, de lettres pastorales, de journées ou de veillées de prière consacrées aux vocations, de la mobilisation de leurs équipes et de leurs services,… cet appel se démultiplie et s’intensifie à nouveau depuis quelques années. Pourtant, hormis quelques diocèses très particuliers, cette relance insistante porte bien peu de fruits, les nouveaux séminaristes chaque année restent très insuffisants pour répondre aux défis à venir. Cette mobilisation, si elle reste stérile, ne risque-t-elle pas finalement d’accentuer encore l’inquiétude, voire le défaitisme des pasteurs et du peuple de Dieu ? Ne risque-telle pas de rejoindre les appels vains et pourtant répétés qu’ont prodigué nombre d’ évêques dans ce sens depuis les années de crise de l’après 68 ?
Sans prodiguer aucunement de leçons et humblement, ne serait-il pas temps de prendre davantage conscience en vérité qu’il est peut être opportun d’aborder autrement cette question si délicate, de réviser une approche pastorale qui a sans doute trop peu évolué, et qui en devient même parfois contre-productive ? Les faits sont là pour nous le rappeler, on ne peut se voiler la face, même s’il faut parfois du courage pour le constater lucidement : des pans entiers de notre Eglise hexagonale ou de nos diocèses ne drainent plus de vocations sacerdotales depuis des années malgré les appels continus de leurs pasteurs, des services et des moyens qui y ont été dédiés. Par contre, le scoutisme maintient un certain courant (dorénavant, essentiellement drainé par les Scouts d’Europe) tandis que le relais provient majoritairement aujourd’hui (certes de manière encore insuffisante) de l’apport direct ou indirect des cercles et groupes charismatiques, des nouveaux mouvements et nouvelles communautés. Ne faut-il pas en tirer des enseignements pour réviser la pastorale des vocations, afin qu’elle porte des fruits bien plus abondants ?
Laissons-nous pour cela interpeller davantage par le Seigneur lui-même : la grâce de Dieu est présente, son Esprit-Saint assiste en permanence son Eglise, nous le croyons, nous le savons , et ne nous a-t-il pas promis « Je suis avec vous jusqu’à la fin du monde » ? Alors que se passe-t-il ? Si nous repartions de l’Evangile, notamment celui de Jean (chapitre 21) : les disciples décident d’aller pécher avec Pierre, mais de toute la nuit, ils ne prirent « rien » ; au petit matin, sur l’invitation de Jésus et malgré leurs doutes, ils obéirent à son injonction : « Jetez les filets à droite de la barque et vous trouverez » et les filets débordèrent…
Et si nous n’en faisions qu’à nos têtes, sans vraiment écouter ce que « l’Esprit dit aux Eglises » ? Même si nous doutons, même si cela dérange nos habitudes, nos schémas, nos manières de faire et de penser, ne faut-il pas agir vraiment autrement à la demande du Christ, réviser notre approche, non seulement méthodologique, mais parfois même théologique et spirituelle ? Laissons-nous donc interpeller par ce signe majeur et surprenant du Printemps de l’Esprit dans l’Eglise dont parlait Jean-Paul II, par cette Parole de Dieu puissante et agissante aujourd’hui illustrée par ces multiples expériences fructueuses et encourageantes du grand « signe d’espérance pour le bien de l’Eglise et des hommes1 » que sont les communautés nouvelles, ces nouveaux groupes et mouvements ecclésiaux : ils « représentent aujourd’hui le signe lumineux de la beauté du Christ et de l’Eglise »2.
Au sein de ces nouvelles réalités, au-delà de la diversité extrême de leurs origines et de leurs charismes, ce qui émerge très clairement sur cette question des « vocations », est justement l’absence d’insistance sur telle ou telle voie, sur tel ou tel ministère : tout est centré et orienté prioritairement pour chacun des membres ou des nouveaux accueillis vers la rencontre personnelle du Christ, et la croissance de la vie dans l’Esprit-Saint ; elles seules permettent de goûter une vie résolument nouvelle, dans ce sens qu’elle prend alors une saveur incomparable. Cette conviction, cette priorité est ancrée dans une juste vision du baptême qui porte en lui cet appel universel à connaître le Christ, à L’aimer et à Le choisir, et ce pour le plus grand des bonheurs.
Quelle que soit la diversité de leurs approches pédagogiques, l’intuition pastorale de ces mouvements et communautés est finalement similaire : elle est avant tout baptismale – le Salut nous est personnellement donné, « ce qui change toute ma vie » – et charismatique – l’Esprit est répandu en nos cœurs et vient y déposer ses dons puissants de vie et d’amour. Cette pédagogie conduit tôt ou tard chacun à poser explicitement (ou à refuser pour certains) un acte vital et fondateur : « Christ, je te reconnais comme le Fils du Dieu vivant et mon Sauveur, je t’accueille aujourd’hui comme mon Maître et mon Seigneur, je te choisis comme la Pierre d’Angle de ma vie. Conduis-moi vers la Vie » ! Ainsi, leur approche des vocations auprès des jeunes est avant tout assise sur la découverte de la vraie vie baptismale, distinguant ainsi clairement 2 étapes : celle de LA vocation chrétienne qui est l’accueil et le choix central du Christ pour qui on veut donner sa vie; celle de telle ou telle voie liée à des états ou choix de vie, à des spiritualités, à des ministères correspondant à des appels différents.
Pendant toutes ces années où nous avons eu la joie d’accompagner nos propres enfants et de nombreux jeunes dans leur cheminement, nous avons vu les fruits d’une pédagogie pastorale qui conduit à distinguer dans le temps l’étape du don de sa vie au Seigneur, et celle du discernement puis du choix de telle ou telle voie – « d’incarnation » pourrait-on dire – de cette vocation. A trop lier directement vocation et célibat, vocation et sacerdoce, … on conduit souvent nombre de jeunes à redouter a priori telle ou telle voie, à se décourager ou à se détourner d’authentiques appels à mûrir l’appel du Christ (et parfois même, cela conduit à de graves erreurs de discernement). Pour un jeune, l’étape première et essentielle – au-delà de laquelle il est important de ne surtout pas se projeter avant qu’elle n’ait été franchie – est de réveiller en lui les dons de la foi et de la vie spirituelle, de lui permettre de découvrir en jeune adulte l’incomparable puissance de transformation et de vie pour qui « renaît de l’Eau et de l’Esprit3 », la richesse infinie pour qui aime et se donne au Christ : une telle pastorale conduit ainsi nombre de jeunes baptisés à poser tôt ou tard cet acte libre et fondateur du choix premier du Christ quoiqu’il arrive.
La seconde caractéristique pastorale de ces nouvelles communautés ou mouvements est leur reconnaissance théologique et spirituelle (et leur mise en pratique concrète) que « tout donner au Christ » peut vraiment se réaliser de bien diverses manières, sans renoncer à la radicalité du « Oui au Seigneur », même si la nature des appels est différente : mariage ou laïcat consacré, vie religieuse ou monastique, sacerdoce.
Là encore, on peut parler à propos de ces nouvelles réalités d’une vraie « Génération Jean-Paul II » : dans la ligne impulsée par Vatican II, son enseignement a été nouveau par sa très grande clarté, puisque pour lui il n’existe vraiment entre ces vocations aucune concurrence, aucune subtile hiérarchie, mais des réponses diverses à des appels, et de multiples synergies et charismes complémentaires pour que se construise le Corps du Christ qu’est l’Eglise. Jean Paul II a sans doute été le plus grand « recruteur » de séminaristes de l’histoire contemporaine, et il a pourtant, comme aucun autre pape avant lui, défendu et valorisé la diversité et la richesse des vocations et des ministères dont aucun n’est au rabais aux yeux de Dieu. Les jeunes le sentaient, ils percevaient sa liberté et la liberté qu’il leur donnait en vérité, et non par simple tactique : en cela, il ne les a jamais ni trompés, ni manipulés, ni utilisés.
Benoît XVI en France a relayé ce message à l’adresse directe des jeunes : « Tous, vous cherchez la vérité et vous voulez en vivre ! Cette vérité, c’est le Christ. Il est le seul Chemin, l’unique Vérité et la vraie Vie. Suivre le Christ signifie véritablement ‘prendre le large’, comme le disent à plusieurs reprises les Psaumes. La route de la Vérité est en même temps une et multiple, selon les divers charismes de chacun, tout comme la Vérité est une et à la fois d’une richesse inépuisable » 4. « À votre tour, chers jeunes, n’ayez pas peur de dire oui aux appels du Seigneur, lorsqu’Il vous invite à marcher à sa suite. Répondez généreusement au Seigneur ! Lui seul peut combler les aspirations les plus profondes de votre coeur. (…). Que Marie aide ceux qui sont appelés au mariage à découvrir la beauté d’un amour véritable et profond, vécu comme don réciproque et fidèle ! À ceux, parmi vous, que le Seigneur appelle à sa suite dans la vocation sacerdotale ou religieuse, je voudrais redire tout le bonheur qu’il y a à donner totalement sa vie pour le service de Dieu et des hommes. Que les familles et les communautés chrétiennes soient des lieux où puissent naître et s’épanouir de solides vocations au service de l’Église et du monde »5
L’Eglise en France et ailleurs a ainsi besoin pour sa mission que les baptisés appelés au mariage forment des couples qui consacrent leur amour et leur vie au Christ afin de témoigner de l’amour trinitaire, de la fidélité et de la fécondité de Dieu, de l’accueil de la vie…; l’Eglise manque tout autant de la radicalité des religieux et des moines qui ont tout quitté pour le Christ et l’Evangile, afin de se livrer dans la prière, d’intercéder pour le monde, de se donner entièrement dans la charité et de former des communautés où déjà rayonne le Royaume des Cieux ; naturellement, l’Eglise a aussi un besoin vital de prêtres séculiers et réguliers pour révéler le Christ à ce monde, pour construire, nourrir et conduire nos communautés chrétiennes. L’Eglise, pour résumer, a besoin avant tout de sainteté : comme « par surcroît », vocations et ministères naissent de ce seul terreau, il est bon de le rappeler !
Notre expérience depuis 25 ans, dans des cadres divers de mouvements, de communautés, de diocèses, de paroisses, d’écoles de vie spirituelle et missionnaire… nous a démontré combien l’émergence des vocations authentiques s’ancre avant tout dans l’appel baptismal, accueilli peu à peu dans son enthousiasmante radicalité et fécondité. Alors comme grandissent puis mûrissent les fruits dans les vergers, les vocations se précisent dans leur diversité au cœur de l’Eglise : laïc, marié, religieux, moine, prêtre. Convaincus que le Seigneur veut pour chacun le plus grand bonheur, beaucoup de jeunes ainsi préparés prennent de plus en plus le temps de discerner leur appel devant chaque « option », en saisissant toute la beauté et la particularité de chacune6 ; l’appel personnel s’épanouit progressivement et comme « naturellement » au regard des personnalités, des situations diverses, des rencontres mais aussi des besoins de l’Eglise (sachant toutefois que Dieu écrit droit avec des lignes courbes !). Dans ces groupes structurés autour de telles pédagogies de croissance de la vie baptismale et spirituelle, c’est souvent une part non négligeable des jeunes (10, 20% voire plus) qui s’orientent vers le célibat consacré : sacerdoce, vie religieuse ou monastique. Nous connaissons même des groupes où certains « candidats » au mariage s’inquiètent (!) devant les nombreuses vocations au célibat consacré qui en émergent !…
Ainsi, au regard de la situation de l’Eglise de France qui reste certes complexe, il est sans doute opportun de mieux discerner afin de tenir compte bien davantage de l’expérience très instructive de ces nouveaux groupes, mouvements et communautés dont les vocations sont en croissance, quoique certainement insuffisantes au regard des besoins. Il est aussi très utile de relire également les écrits de Jean-Paul II aux jeunes sur son approche résolument équilibrée et renouvelée des questions relatives aux vocations..
A quand dans nos diocèses, des « journées des vocations » qui présentent tous les états de vie et ministères consacrés au Seigneur ? A quand le développement (aux côtés des propédeutiques de séminaire) de vraies « écoles de vie baptismale » diocésaines ou inter-diocésaines pour jeunes adultes, garçons et filles7, véritables incubateurs et pépinières de vocations chrétiennes dans toute leur merveilleuse diversité ? A quand un nouveau foisonnement d’initiatives courageuses et innovantes qui portent en germe les vocations de demain, afin de relayer l’appel même de Benoît XVI dans ce sens à Lourdes : « informé des initiatives qui sont prises avec foi en ce domaine, je tiens à apporter tout mon soutien à ceux qui n’ont pas peur, tel le Christ, d’inviter jeunes ou moins jeunes à se mettre au service du Maître qui est là et qui appelle (cf. Jn 11, 28) » et à « remercier chaleureusement et encourager toutes les familles, toutes les paroisses, toutes les communautés chrétiennes et tous les mouvements d’Église qui sont la bonne terre qui donne le bon fruit (cf. Mt 13, 8) des vocations »8.
Ancrons beaucoup plus fondamentalement la pastorale des jeunes et des vocations dans celle du renouveau profond de la vie baptismale, et le Seigneur donnera en abondance, et « par surcroît », comme Il sait aujourd’hui nous le prouver en de si diverses manières.
Alex et Maud LAURIOT-PREVOST*
*co-fondateurs aux côtés de Daniel-Ange de l’école internationale d’évangélisation Jeunesse-Lumière en 1984, auteurs de divers ouvrages sur le couple et la vie de foi (dont Mariage, Mystere Trinitaire, Editions du Jubilé, 2006), délégués diocésains à la pastorale familiale du diocèse d’Avignon, prédicateurs lors de sessions et rassemblements… ils exercent également une activité professionnelle de consultants indépendants depuis 12 ans.
Ce texte est également publié sur le site de la Fondation de Service Politique
http://www.libertepolitique.com/
et sur http://www.anuncioblog.com/
http://www.anuncioblog.com/index.php?post/2008/09/27/Vocations-%3A-quelle-vision-pastorale-en-France
(1) Benoît XVI citant Jean-Paul II aux mouvements ecclésiaux et communautés nouvelles (2/6/2006)
(2) Benoît XVI – idem
(3) Parvis de Notre Dame de Paris – 12 septembre
(4) cf. Nicodéme en Jn 3
(5) Homélie à Lourdes, 14 septembre
(6) comment nous l’avons toujours exprimé à nos enfants ou auprès de nombreux jeunes: avant de poser un choix de vie, il est bon et il est sain que chaque baptisé soit finalement attiré et interpellé tôt ou tard dans son cheminement par chacune des diverses vocations possibles : chacune est un trésor et promet une si belle aventure.
(7) on pense par exemple à l’Ecole de la Foi de Coutances pour les diocèses de l’Ouest, ou à Jeunesse-Lumière à caractère plus international, ou à des écoles créées par des communautés comme l’Emmanuel, le Chemin Neuf, Fondacio, …
(8) Discours aux évêques à Lourdes – 14 septembre