Déterminé quoique pessimiste, impassible, méfiant, secret, attentionné mais coléreux, sensible mais pudique, dominateur, charmeur, narquois, intuitif, pragmatique mais intransigeant, hostile aux escrocs, attaché à la morale mais rusé, impatient mais… fataliste : tels sont les angles divers de la personnalité complexe de Charles de Gaulle, que Michel Tauriac nous fait connaître, à partir des témoignages des cent dernières personnalités qui l’ont connu.
Ce livre évoque le croyant discret mais convaincu qu’était De Gaulle : la religion était « très importante pour lui », mais il n’en faisait pas étalage, à la fois par respect de Dieu et des autres. Il aurait jugé honteux d’utiliser la foi chrétienne à des fins politiques. Mais il s’est inspiré de l’enseignement social de l’Église pour la « participation », voulant l’intéressement des ouvriers à la marche des entreprises, idée incomprise et inappliquée. Le Père Jean Daniélou lança un jour à Jacques Foccart : « Vous n’avez pas suffisamment su mettre en valeur le régime chrétien social du Général ».
Capable de duplicité, comme il l’a montré dans le drame algérien, cette tragédie grecque grandeur nature, De Gaulle a pourtant confié à de rares privilégiés son secret désarroi : après avoir figuré une Antigone du patriotisme le 18 juin 1940, il revêtait soudain le rôle d’un Créon de la raison d’État.
Grâce au travail patient de Michel Tauriac, on assiste à des scènes ahurissantes : Michel Debré Premier ministre pique une colère contre le Général qui l’a taquiné, et qui… se tient coi ! Annonçant sa démission face aux élans vindicatifs de De Gaulle vis-à-vis des officiers révoltés par la « solution algérienne », Jean Foyer obtient plus de clémence.
D’origine irlandaise, le « grand Charles » est un virtuose de l’humour grinçant. Méprisant l’argent, il exige de payer les charges de son appartement à l’Elysée, mais il connaît mal le coût de la vie du Français moyen…
L’impassibilité de De Gaulle devant le danger n’a rien d’une légende : « Savoir se dominer soi-même », c’est « le fruit d’une gymnastique constante de la volonté », écrit-il à 26 ans. De l’orgueil s’y introduit, mais le résultat impressionne : « Un calme olympien » après les attentats de Pont-sur-Seine et du Petit-Clamart, où il a frisé la mort.
La première rencontre avec André Malraux, ce « communiste », devait durer cinq minutes : elle durera deux heures, et fera « embaucher » l’écrivain comme ministre de la Culture. « C’est un homme de génie, mais un excité », qui « ne devrait pas s’occuper de politique », dira Mme de Gaulle…
En 1965, « Tante Yvonne », courageuse mais vigilante, veut convaincre son mari de ne pas se représenter : elle essaye de faire intervenir quelques proches du Général, qui hésite un peu… Il sera désarçonné par Mai 68. Puis c’est le Non au référendum de 1969 : certains pensent qu’il espérait partir ainsi, mais d’après son fils, il ne s’en remettra jamais. « Les chênes qu’on abat… », écrira Malraux…
Denis LENSEL
Michel Tauriac, Vivre avec De Gaulle, Plon, 609 pages, 24 euros.
Pour aller plus loin :
- La guerre d'Algérie et les médias. Questions aux archives. Paris Sorbonne nouvelle, 2013, 183 pages, 18 pages-photos, 1 DVD, 34 euros.
- UNE VIE DE QUINZE ANS, de Michel Séonnet, Desclée de Brouwer, 115 pages, 12 euros.
- Les dix enfants que madame Ming n’a jamais eus, Éric-Emmanuel Schmitt, Albin-Michel, 115 pages, 12 euros.
- Marie-Madeleine Martinie, "Le port d'attache, Le Mané à Lanester", éditions du Jubilé, 302 pages, 19 euros.
- De Gaulle et l'Algérie, 1943-1969. Maurice Vaïsse (sous la direction de), Armand Colin, 2012 , 353 pages, 27,5 euros.