Colloque de Larrazet. La France et l’Algérie, l’histoire et l’avenir en partage. Maison de la culture de Larrazet, 2008, 213 pages, format 25/21. La maison de la culture de Larrazet (Tarn et Garonne) publie les actes du colloque organisé les 10-11 novembre 2006 sous la direction de Alain Daziron. Autour de Gilbert Meynier, qui en fut le pilier, plusieurs historiens connus : Guy Pervillé, Michèle Baussant, Valérie Esclangon-Morin, Claire Mauss-Copeaux, Mohamed Benrabah, et Gérard Noiriel.
L’ambition des organisateurs était de présenter une histoire partagée, affranchie des pressions mémorielles ou institutionnelles. Projet accompli par une partie des intervenants, mais pas totalement, en raison de l’idéologie anticolonialiste, voire antimilitariste qui transparaît dans certains exposés. L’idée d’une histoire citoyenne, revendiquée par Normale Sup de Lyon, évoque immanquablement les manuels scolaires de Lavisse ou de l’Algérie actuelle.
D’une façon générale, les Actes du colloque proposent une bonne analyse du nationalisme algérien, une interprétation honnête de l’histoire des pieds noirs, des harkis et des immigrés, et en particulier des points de vue intéressants sur la double appartenance, la pluralité linguistique et l’acculturation des immigrés. En revanche la politique française, l’administration de l’Algérie et l’action des militaires font l’objet de commentaires discutables. Enfin certains aspects et auteurs importants sont ignorés.
En annexe, les associations (l’Algérie à l’école, les Mémoires méditerranéennes, le Cercle algérianiste, le GAGE-FNACA, la LDH Toulon, Harkis et Droits de l ’Homme, France-Algérie, Coup de soleil) précisent ce que sont leurs objectifs mémoriels.
L’histoire du nationalisme algérien met en lumière les dominations successives du territoire, la fascination pour l’Orient, l’arabité culturelle et le particularisme berbère. Le domaine religieux est caractérisé par le culte des saints, et par les confréries. Le poids de l’islam se traduit par l’absence de liberté religieuse et l’impossibilité de l’assimilation colonisatrice. Spécialiste de l’histoire du FLN, G. Meynier éclaire l’éclatement du MTLD avant 1954, le rôle des élites rurales indépendantistes, francisées par la langue mais hostiles à tout réformisme, la main-mise de l’armée sur le FLN à la fin de 1957 et la course au pouvoir qui s’est poursuivie par l’alliance tactique de Boumedienne avec Ben Bella. Après l’échec du socialisme autogestionnaire, de la réforme agraire, de l’industrie de masse et de l’arabisation de l’enseignement, et l’adoption d’un Code de la famille réactionnaire, le gouvernement Hamrouche s’est efforcé honnêtement de réformer le système, mais a été débordé par les islamistes. La crise des années 1990 a été suivie du retour à l’autoritarisme, à la délation et à l’obscurantisme, à la corruption mafieuse et à la neutralisation des opposants. Le débat actuel est instrumentalisé en vue de la réconciliation nationale, alors que la revendication de repentance unilatérale constitue selon Pervillé une absurdité juridique. Une partie de la société actuelle, ouverte à l’extérieur grâce à internet et aux paraboles, reste opposée au pouvoir.
Les relations entre les deux communautés étaient caractérisées selon Jean-Robert Henry et Michèle Baussant par la dialectique attirance-répulsion, l’ambivalence des liens avec la métropole et un certain aveuglement politique. Ayant perdu leurs terres et leurs morts, confrontés à la politique du silence et de l’oubli, les rapatriés se partagent, selon Valérie Esclangon, entre victimes, nostalgiques du passé, et méditerranéens adeptes d’un certain métissage culturel. Les associations, les voyages en Algérie et les stèles commémoratives ravivent la nostalgérie.
Alors que Djemila Berritane exalte la mémoire de son père, ancien engagé volontaire et animateur d’association harkie, Mohamed Benrabah montre que l’arabisation était fondée sur un nationalisme exclusif et hégémonique ; les lycéens oranais, au terme d’une enquête approfondie, se prononcent pour le trilinguisme réunissant l’arabe littéraire pour la liturgie, l’algérien (ou le tamazigh) support de l’identité et le français langue de la modernité.
Deux millions de double-nationaux témoignent de la complexité des relations intercommunautaires. La double appartenance des immigrés est pour Hanifa Cherifi, experte en intégration, une réalité. Leur acculturation entraîne des réactions de révolte contre les traditions et l’autorité patriarcale. Les mariages mixtes favorisent la promotion sociale.
Les points de vues discutables mériteraient une longue analyse. Je me contenterai d’en citer quelques exemples, dans le désordre :
– contrairement à l’affirmation de G. Meynier, nombreuses ont été les occasions manquées de rapprochement franco-algérien, depuis les Bureaux arabes de 1840 jusqu’au statut de 1947 et à la loi-cadre de Lacoste. Elles ont été compromises par la méconnaissance gouvernementale française des réalités algériennes et par l’opposition des adeptes de l’identité arabo-islamique,
– on ne peut pas affirmer que la domination française fut plus atroce qu’ailleurs ; Mohamed Harbi confirme qu’il n’y eut pas d’extermination des indigènes, contrairement aux exemples américains et australiens,
– l’admiration que l’on peut éprouver pour des historiens célèbres n’interdit pas que l’on relève certaines erreurs factuelles (CA Julien, Nouschi, Rey-Goldzeiger),
– le rôle fondamental des islamo-arabes dans la transmissios des idées vient d’être contredit par les études savantes de Sylvain Gouguenheim,
– la politique française de 1954 n’avait pas pour but une reconquête coloniale ; les réformes de Soustelle, Lacoste et Delouvrier visaient à créer une Algérie nouvelle,
– la scolarisation des musulmans fut refusée par certaines autorités coloniales, mais aussi par les oulémas qui y voyaient l’école du diable ; ces critiques n’ont pas empêché des recteurs éminents de la développer sous l’impulsion de J. Ferry ; plus tard, les centres sociaux éducatifs de G. Tillion et les écoles de l’armée ont permis en 1961 d’atteindre un taux de scolarisation de 68% (Comité des Affaires algériennes) ; ce résultat fut compromis en 1962 par l’exode des instituteurs français, remplacés en partie par des enseignants égyptiens idéologiquement orientés ; la scolarisation totale fut réalisée vers 1972,
– quelques évaluations numériques sont surestimées : – la conscription des musulmans en 1914 et 1940 ne fut pas massive (taux de mobilisation de 2% comparé à 15% de pieds noirs) – sont exagérés : le million de morts de 1830 à 1872, les dizaines de noyés dans la Seine le 17 octobre 1961 (voir JP Brunet), 150.000 harkis massacrés en 1962, 90.000 harkis rapatriés (66.000 en réalité), l’enfermement interminable dans des camps (16% en 1965, 3% en 1974),
– la victoire politique du FLN fut largement facilitée par les concessions gaulliennes ; ensuite, la coopération ne fut pas sabotée par le gouvernement, mais de Gaulle s’est fermement opposé à l’immigration algérienne (voir les archives inédites de la politique algérienne, que j’ai publiées en 2000),
– la mission de l’armée est de rétablir l’ordre, selon les directives du gouvernement (Thiers en 1871, de Gaulle en 1945, Mitterrand en 1954) ; c’est Max Lejeune qui a décidé l’arraisonnement de l’avion des chefs historiques ; des violences condamnables ont été commises dans le feu de l’action, mais R.Branche n’a découvert aucune directive politique ou militaire recommandant la torture. L’armée d’Afrique n’était pas raciste, mais sans doute paternaliste, conformément à la structure patriarcale de la société musulmane (le colonel est le père du régiment), ce que ne montre pas le film Les Indigènes.
– la nature de la guerre d’Algérie conduisait les deux partis à considérer que l’enjeu de la lutte était la conquête des populations. L’ennemi n’était pas le peuple algérien, mais une minorité révolutionnaire qui voulait soumettre le peuple à un régime totalitaire. D’où la combinaison de deux actions, pas faciles à concilier, action de force contre les rebelles et leur organisation politique, action de protection et de pacification conduite par les unités territoriales , les SAS, les EMSI et le SFJA. Selon le général Ely, les militaires étaient les seuls à avoir le contact. Il faut rappeler ici le jugement de Lacouture, parcourant le Constantinois en septembre 1958 : ce que l’armée est en train de faire ressemble à un travail révolutionnaire.
– Claude Paillat, observateur avisé, décrit les officiers de 1958 comme « des enfants de la Révolution française : on apporte la liberté, on va régénérer les gens. Ils se voyaient comme la pureté, avec un côté missionnaire américain en Chine, naïfs parfois, mais d’une générosité fantastique. Ils sortaient des ténèbres et se disaient : on va refaire une autre société que ces colonies un peu pourries…La société française les a un peu devinés, mais pas compris. Ils sont tombés dans une aventure qui les a broyés ». N’est-ce pas le drame de l’OAS ?
Il a peut-être manqué un Hélie de Saint-Marc pour expliquer cela au colloque de Larrazet. D’autres auteurs importants ont été oubliés : Xavier Yacono, Boualem Sansal, René Mayer. La condamnation du terrorisme par JP Lledo n’a pas été évoquée. On semble avoir oublié : l’élection de musulmans à l’Assemblée nationale et au Sénat, les conseils musulmans des Communes mixtes, la fraternisation de mai 1958, les enlèvements de 2000 Français en 1962 (réhabilités par le mur des disparus de Perpignan), la décroissance numérique des immigrés due aux naturalisations. Mais il est évident qu’en 48 heures, on ne pouvait pas tout dire.
Maurice Faivre, acteur et historien, le 6 août 2008.