Jean-Frédéric Poisson, 44 ans, est député des Yvelines. Sa formation philosophique et son expérience du terrain social et politique lui donnent une belle connaissance de la nature humaine… Son dernier livre fait une analyse critique des actes de prise en charge médicale de tous les grands moments de la vie. C’est dire sa brûlante actualité…
« Bioéthique : l’homme contre l’Homme ? » n’est pas le premier livre que vous publiez sur les enjeux bioéthiques : d’où tenez-vous cet intérêt pour ce domaine très spécifique ?
Jean-Frédéric Poisson : La bioéthique est au confluent des principales thématiques modernes liées à la dignité humaine. J’avais, à l’Université, travaillé en philosophie sur des sujets scientifiques (l’évolution des espèces) et politiques. La bioéthique est une synthèse des deux.
Et puis j’ai travaillé plus de dix ans auprès de Madame Christine Boutin, dont l’engagement sur ces sujets est connu et ferme. C’est elle qui m’a permis d’entrer pleinement dans la dimension juridique de ces questions et de disposer aujourd’hui d’une vision – je crois – complète.
Dans votre ouvrage, vous vous réjouissez de l’émergence de solutions alternatives à l’utilisation de cellules souches embryonnaires : ce progrès technique participe-t-il d’une prise de conscience éthique ?
J’aimerais qu’il en soit ainsi mais je n’en suis pas vraiment convaincu. Je pense que c’est plutôt l’efficacité scientifique qui a conduit ces recherches.
D’ailleurs, en dépit des progrès spectaculaires et très prometteurs des techniques de clonage sur les cellules souches adultes, des laboratoires continuent de travailler à partir du clonage embryonnaire. À nous, maintenant, de faire converger efficacité et éthique : la bataille sera encore longue.
Il ressort de votre essai que l’Homme cherche à repousser sans cesse ses propres limites. Cela se vérifie dans les lois votées dans le monde occidental, qui se trouvent être de plus en plus permissives : comment stopper et/ou inverser la tendance ?
C’est l’histoire de l’autonomie humaine. Et l’illusion que cette conquête se fait nécessairement contre l’ordre, contre la limite, parfois directement contre Dieu. C’est une illusion car, contrairement à ce qu’il croit, l’homme est un être foncièrement et profondément dépendant.
Devenir autonome, et pleinement libre, c’est pour certains s’affranchir de tout ce que l’on refuse ou rejette. Pour les autres, c’est apprendre à vivre dans un réseau de contraintes et de dépendances sans lesquelles la condition humaine ne se conçoit pas. La permissivité relève de la première école. Mais je pense que la réalité rattrapera ces illusions : cela a d’ailleurs déjà commencé.
Vous soulignez que notre société entretient de nombreux paradoxes : déni de la vie humaine mais individualisme, défense des animaux mais pas des embryons, peur de la mort mais recherche de ses images… entre philosophie et politique, vous menez un combat pour la vérité. Êtes-vous optimiste ?
Oui. Sinon j’arrêterais tout immédiatement ! Et puis, même si l’évolution globale de la société ne se fait pas toujours dans le sens que je souhaite, je me dis qu’il y a des gens qui sont attentifs – non pas à ce que je dis mais – à la vision que je défends. La noblesse du politique est aussi de savoir que parfois, on ne parle que pour quelques-uns. Il est normal qu’ils soient également représentés, et que l’on parle également pour eux. Par ailleurs, la vision des rapports entre l’homme et la science que je présente est tout aussi valide que n’importe quelle autre… Elle est argumentée, et assise sur un effort de la raison, auquel chacun peut accéder s’il le souhaite.
Autre paradoxe : vous avez à cœur de défendre le « petit », dans un haut lieu de la décision des lois : comment avez-vous découvert cette « grandeur des petitesses » ?
De façon théorique, en étudiant la philosophie et en particulier la fondation du droit : pour faire place aux faibles contre les forts. C’était déjà dans la Grèce antique un débat fréquent – à en croire Platon.
Et de façon pratique, en n’oubliant pas les difficultés rencontrées dans les lieux où j’ai grandi, et – très jeune – travaillé à rendre service aux autres. Cette réflexion et cette expérience m’ont sans cesse guidé.
La bioéthique participe-t-elle selon vous de la politique de civilisation que notre Président a appelée de ses vœux le 20 décembre dernier au Vatican ?
Oui elle le devrait, même si je ne suis pas sûr qu’elle en fasse spontanément partie dans son esprit. Ce qui est incontestable, c’est que la bioéthique est un des lieux par excellence de la protection de l’humain, du petit, du faible. Que ce soit en lui-même (les malades, les personnes qui n’ont pas de quoi se soigner, etc.) ou en relation avec la science (clonage, congélation des embryons, etc.). De sorte que la bioéthique porte des enjeux de civilisation majeurs qui peuvent se résumer en une question : veut-on donner à la science un pouvoir illimité sur l’homme, ou l’homme doit-il garder le pouvoir sur la science ? C’est une authentique question de civilisation, qui – c’en est un des meilleurs signes – traverse toute l’histoire de l’humanité.
Vous avancez à maintes reprises l’argument de la foi dans votre réflexion. Vos visions de la bioéthique n’ont-elles pas pourtant vocation à être intelligibles pour la personne agnostique, athée, que vous côtoyez par ailleurs régulièrement dans le monde politique ?
Je crois avoir plutôt rappelé les positions des chrétiens et des autres croyants qu’utilisé des arguments de foi. Je serais d’ailleurs bien en peine de le faire, parce que les positions chrétiennes en cette matière sont très souvent de raison naturelle, même si elles peuvent trouver une assise et une résonance dans les familles spirituelles, et même si les croyants veulent légitimement intervenir dans ces questions.
Même si les publications d’origine religieuse sont nombreuses en matière de bioéthique, ces débats ne sont pas d’abord religieux : ils sont avant tout philosophiques, juridiques et scientifiques. Il importe qu’ils soient menés de la manière la plus neutrement rationnelle, pour faire converger des gens qui ne partagent pas de convictions religieuses.
Benoît XVI a publié en décembre Spe Salvi Facti Sumus. « Sauvés par l’espérance. » Cette encyclique vient concomitamment aux résultats d’une étude de l’institut « Kairos-Future fondation » hissant les jeunes Français au premier rang des pessimistes sur 17 pays. Où trouver l’espérance ?
Au Ciel ! Votre question porte sur « l’espérance ». Pas sur la joie ou le sourire, ou la décontraction. Par définition, l’espérance – cette vertu si difficile, selon Charles Péguy – ne peut se trouver que dans la relation avec Dieu : la seule qui offre une perspective de bonheur illimité, et pour tous, sans exclusion. La politique, la sphère de l’action humaine, pour essentielles qu’elles soient, ne peuvent remplacer cette relation à la transcendance. C’est ce que je crois.