A l’heure où nous mettons sous presse ce numéro de France Catholique, nous demeurons dans l’attente de l’intervention du président de la République sur l’avenir de la laïcité française. Que retiendra Jacques Chirac du rapport de la commission Stasi ? Adoptera-t-il ses propositions sur un projet de loi interdisant les signes religieux “ostensibles” ? Fera-t-il sienne l’idée de créer deux journées de congé, pour célébrer les fêtes du Kippour et de l’Aïd-el-Kebir ? On en viendrait d’ailleurs à craindre trop de précipitation sur un terrain à risques. Il n’est pas sûr que la réflexion menée à terme par la commission nous livre “clés en main” les solutions de tous les problèmes évoqués. Nous en voulons pour preuve les réactions contradictoires qui se sont exprimées ces jours derniers et qui manifestent souvent le désarroi des familles spirituelles et intellectuelles les plus diverses. On peut même parler de véritable cacophonie.
Tout le monde est inquiet. Tout le monde pense ses propres valeurs menacées. D’un côté, on déplore une régression par rapport à la doctrine de la laïcité à la française. De l’autre, on dénonce une nouvelle crispation de type laïciste. Les uns et les autres ont raison à leur manière. La commission Stasi accorde beaucoup au “communautarisme” et il est vraisemblable que ses concessions se feront au détriment de la tradition chrétienne. Mais il y aurait aussi beaucoup à dire sur une laïcité à la française dont les principes ne sont pas si évidents que le prétendent ses défenseurs. Notre ami Emile Poulat a suffisamment montré dans ses derniers livres (1) qu’à partir d’un passé très conflictuel, la législation française et la pratique de l’Etat par rapport aux religions s’étaient beaucoup plus définies de façon pragmatique qu’en fonction d’une théorie d’ordre idéologique. Certes, des principes de la liberté de conscience et du libre exercice du culte émergent de deux siècles d’histoire française et devraient inspirer aujourd’hui les décisions des politiques.
Mais notre République se trouve quelque peu déstabilisée par l’enjeu de l’intégration massive d’une minorité d’origine musulmane. Si pénible qu’ait pu être le conflit entre “les deux France”, il s’inscrivait dans une histoire commune, et la laïcité la plus anticléricale ne s’en réclamait pas moins du développement d’une pensée du libre arbitre qui était le bien propre des grands docteurs du christianisme. N’est-ce pas de ce côté-là qu’il faudrait aujourd’hui se tourner, à l’invitation d’un Paul Thibaud qui désigne “l’urgence de réanimer ce foyer de valeurs communes pour répondre à un appauvrissement spirituel dont relèvent aussi bien les désinvoltures “foularistes” que “l’intégrisme laïc” (Le Figaro, 15 décembre). L’idée est judicieuse. Il faudra la travailler.
Gérard LECLERC