Depuis l’initiative prise par Jean-Paul II de faire de 2005 une année consacrée à l’Eucharistie, un mouvement réel s’est diffusé dans toute l’Eglise, qui remet en valeur la contemplation de la Présence concrète du corps du Christ. Il paraît que certains liturgistes n’apprécient guère et s’étonnent de la vogue, chez beaucoup de jeunes catholiques, de cette dévotion qui ne serait apparue que tardivement dans l’Histoire chrétienne. Comme s’il n’appartenait pas à l’Eglise de dispenser généreusement le don reçu du Seigneur ! Celui qui perpétue le miracle eucharistique, qui est le signe même de la permanence de l’Incarnation d’un Dieu qui a voulu sensiblement habiter au milieu de son peuple ! Nous avons laissé perdre, dans les années 70, la saveur de l’adoration et nous avons durement payé le prix en perte de ferveur, en éloignement de la pratique sacramentelle, en dispersion mondaine et en ralliement idolâtre aux idéologies du temps.
Il est bon que nous renoncions à certaines abstractions pour retrouver, expérimentalement et doctrinalement, la centralité eucharistique qui fait du monde lui-même et de toutes nos vies des lieux habités par le Verbe incarné. D’où la nécessité de l’adoration eucharistique. Lors du congrès qui vient de se tenir à Paray-le-Monial sur ce sujet, Mgr Henri Brincart, évêque du Puy-en-Velay, expliquait que, se rendant un jour en taxi à la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, il avait indiqué à son chauffeur musulman qu’il était un adorateur de Dieu. Cet homme avait refusé que l’évêque lui paye sa course. L’évêque ne s’était pas exprimé fonctionnellement mais mystiquement sur son identité et il avait ainsi acquis l’estime de son interlocuteur. L’exemple a valeur de parabole. Nous ne sommes pas d’abord des dialecticiens habiles à développer une conception de l’existence, même si nous avons à apporter la lumière de la Révélation dans les obscurités du sens et les impasses de la recherche du bonheur. En tant que chrétiens, c’est en témoins de la Présence agissante, transformante et vivifiante du Seigneur que nous avons à rendre compte d’une espérance qui est bien autre chose qu’un système riche d’avenir meilleur.
Le Dieu que nous aimons et adorons est, hier, aujourd’hui et demain. Etant, selon la révélation du Buisson ardent à Moïse, Celui qui est, il est cet amour incandescent où notre humanité se ressource sans cesse. La contemplation, loin de nous distraire de nos tâches et de nos responsabilités, nous confère la liberté et l’intelligence des choix existentiels. De notre face à face, résulte une plus grande conscience de nous-mêmes et de nos liens familiaux, civiques, économiques, écologiques. Mgr Dominique Rey, évêque de Toulon, le soulignait également au congrès de Paray-le-Monial : “l’adoration est un acte intimiste, mais aussi missionnaire, évangélisateur”. N’est-elle pas l’acte où se révèle que le monde a un cœur et que ce cœur vibre de l’amour qui transforme tout ?
Gérard LECLERC